Selon l’article L. 111-2-2 du Code de la sécurité sociale, « sont affiliées au régime général de sécurité sociale, quel que soit leur lieu de résidence, toutes les personnes exerçant sur le territoire français une activité pour le compte d’un ou de plusieurs employeurs, ayant ou non un établissement en France. »
Dans un arrêt du 9 février 2017[1], la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation traite de l’assujettissement de l’employeur étranger ne disposant d’aucun établissement en France à la législation de la sécurité sociale française au titre de l’emploi d’un salarié exerçant une activité sur le territoire français pour son compte. La Cour était invitée à se positionner sur les conditions de déclaration et de paiement des cotisations et contributions sociales dues dans cette hypothèse. La haute juridiction a énoncé pour la première fois que l’employeur ne disposant pas d’établissement en France ne peut désigner un salarié de l’entreprise responsable des opérations déclaratives et du versement des sommes dues, éliminant ainsi le risque que la responsabilité du paiement des cotisations sociales ne repose sur le salarié en France.
Si les employeurs ne disposant pas d’établissement en France sont tenus d’accomplir leurs obligations en matière de déclarations et de paiement de cotisations et contributions au régime général de sécurité sociale auprès d’un guichet unique avec la possibilité de faire appel à un représentant (I), la Cour énonce que ce dernier ne peut être un salarié, contrairement à la position de l’administration (II). L’arrêt s’inscrit toutefois en cohérence avec l’intention du législateur telle qu’énoncée lors de l’adoption de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2004 (III).
I- Le rappel des règles légales applicables aux employeurs étrangers
Les obligations de l’employeur dont le siège social est à l’étranger et employant des salariés en France diffèrent selon l’existence ou l’absence d’établissement sur le territoire français :
- lorsque l’entreprise dispose d’un établissement en France, ce dernier remplit les obligations relatives aux déclarations et versements des cotisations et contributions sociales incombant à l’employeur pour le personnel salarié auprès de l’Urssaf compétente dans les conditions de droit commun[2];
- en revanche, pour l’entreprise n’ayant pas d’établissement en France, un dispositif de guichet unique a été mis en place. L’employeur sans établissement en France est tenu d’accomplir l’ensemble des formalités déclaratives liées à l’emploi de personnel salarié relevant du régime français de sécurité sociale auprès du Centre national des firmes étrangères (CNFE) mis en place au sein de l’Urssaf du Bas-Rhin[3]. L’employeur doit remplir un formulaire dit « E0 » lui permettant d’effectuer, en une seule fois, plusieurs formalités liées à l’inscription de son entreprise, en la faisant connaître auprès du CNFE qui procède à l’ensemble des démarches administratives. A l’issue de cette inscription, l’employeur se voit attribuer un numéro SIRET par l’INSEE qui permet les échanges avec le CNFE, après déclaration préalable à l’embauche. L’employeur est tenu de déclarer au CNFE le nombre de salariés de l’entreprise, le montant des rémunérations versées, et celui des cotisations dues.
L’employeur ne disposant pas d’établissement en France a la faculté de désigner par convention un représentant résidant en France, en joignant la convention au formulaire E0. Ce représentant sera personnellement responsable des obligations déclaratives et financières incombant normalement à l’employeur[4]. Il est nécessaire de préciser que selon l’article L. 241-8 du Code de la sécurité sociale, la contribution de l’employeur aux cotisations et contributions de Sécurité sociale reste exclusivement à la charge de celui-ci, tout convention contraire étant nulle de plein droit.
II- Une solution de principe inédite, contraire à l’avis de l’administration
En l’espèce, l’employeur ne disposant pas d’établissement en France avait conclu avec une de ses salariées travaillant en France une convention la désignant comme mandataire de l’employeur chargée des déclarations sociales et des cotisations et contributions patronales relativement aux sommes perçues par celle-ci ou par tout autre salarié de la société appelé à exercer une activité en France. La convention précisait néanmoins que l’employeur resterait, in fine, seul responsable de ses obligations.
La Cour de cassation, après avoir rappelé au visa de l’article L. 241-8 du Code de la sécurité sociale, rend une décision assortie d’un attendu de principe inédit au terme duquel « la convention par laquelle l’employeur dont l’entreprise ne comporte pas d’établissement en France désigne un salarié de son entreprise pour remplir ses obligations déclaratives et de versement des cotisations sociales est nulle de plein droit et ne peut produire aucun effet, quand bien même elle prévoit que le salarié ne supportera pas définitivement la charge résultant de ce versement ».
Cette possibilité pour les employeurs n’ayant pas d’établissement en France d’y désigner un représentant pour remplir ses obligations déclaratives et de versement des cotisations de sécurité sociale a été permise par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2004. Une lettre-circulaire ACOSS[5] du 29 juin 2004 a ensuite précisé les modalités pratiques de désignation d’un tel représentant en indiquant que « le salarié peut, à cet égard, être désigné en tant que représentant ». La Cour de cassation dans son arrêt du 9 février 2017 condamne cette interprétation.
III- Une solution cohérente au regard de l’intention du législateur
L’interdiction posée par la Cour de désigner un salarié en qualité de représentant s’inscrit dans la lignée de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2004[6] qui avait mis un terme à la réglementation, prévue à l’ancien article R. 243-4 du Code de la sécurité sociale, selon laquelle « les assurés relevant d’un employeur dont l’entreprise ne comporte pas d’établissement dans la métropole sont responsables de l’exécution des obligations incombant à leur employeur et, notamment, du versement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales[7]». A l’appui de la réforme, le rapport de M. Pierre Morange sur la loi de financement de la sécurité sociale pour 2004[8] constatait que l’article antérieur à la réforme avait pour effet de faire « peser sur le salarié la responsabilité de l’exécution des obligations incombant à son employeur, notamment le versement des cotisations patronales correspondant à son emploi ». Ainsi, si la Cour de cassation avait admis une telle possibilité, cela aurait eu pour conséquence la résurgence du régime antérieur auquel le législateur souhaitait mettre fin.
La solution retenue par la Cour de cassation dans cet arrêt a pour conséquence d’alourdir les charges administratives pour les employeurs ne disposant pas d’établissement en France. Dorénavant, les employeurs n’ayant pas d’établissement en France devront faire appel à un prestataire de services de paye ou mandater un expert-comptable pour remplir leurs obligations déclaratives et de versement des cotisations et contributions sociales ou procéder eux-mêmes depuis l’Etat du siège de l’entreprise aux déclarations à l’étranger auprès du CNFE.
Diane Rousseau, Etudiante en master DPSE, Ecole de droit de la Sorbonne, Apprentie à l’UIMM
Karen Ozingi, Etudiante en master DPSE, Ecole de droit de la Sorbonne, Apprentie chez Safran
[1] Cass. 2e civ., 9 févr. 2017, n°16-10.796
[2] CSS, article L.243-1
[3] CSS, article L.243-1-2
[4] CSS, article L. 243-1-2
[5] ACCOS : Agence Centrale des Organismes de Sécurité Sociale
[6] Loi n° 2003-1199 du 18 décembre 2003 de financement de la sécurité sociale pour 2004
[7] Ancien article R. 243-4 CSS, abrogé le 29 août 2004
[8] Assemblée nationale , Rapport n°1157au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2004 (n° 1106), TOME I Recettes et Equilibre Général de M. Pierre Morange (tome 1- 2e partie), article 57.