Les recours exercés contre le décret de convocation des électeurs en vue des élections régionales des 6 et 13 décembre 2015 ont été rejetés par le Conseil d’État, d’abord quant à la suspension provisoire de ce décret par une ordonnance du 2 octobre dernier, puis par un arrêt sur le fond de l’affaire en date du 27 octobre. Le Conseil d’État en profite pour confirmer la conformité de la nouvelle carte des régions françaises à la Charte européenne de l’autonomie locale. Ces deux étapes successives du raisonnement du Conseil d’État méritent d’être plus amplement détaillées.
1. L’ordonnance du 2 octobre 2015 : le refus de suspension du décret de convocation
- Les élections régionales, un prétexte pour contester la nouvelle carte des régions françaises
Rappelons tout d’abord les éléments essentiels de cette affaire. En application du code électoral, c’est par un décret du 30 juillet 2015[1] que le gouvernement français a convoqué les électeurs en vue des élections régionales des 6 et 13 décembre 2015. Il faut préciser que ces dernières seront les premières élections à se tenir en fonction la nouvelle carte des régions, adoptée le 16 janvier 2015[2], et que le décret de convocation contesté a donc été pris sur le fondement de cette loi.
Or, des contestations se sont fait entendre au sein de la société civile sur cette nouvelle carte des régions si bien que trois associations, à savoir l’association le Mouvement alsacien Unser Land, l’association Le Parti Lorrain et l’association Le Parti des Mosellans, accompagnées de deux particuliers connus de la sphère publique, le juriste Robert Hertzog et l’ancien ministre Daniel Hoeffel, ont exercé un recours tendant à l’annulation de ce décret de convocation, arguant de la violation de la Charte européenne de l’autonomie locale. Ils ont demandé à ce que les élections régionales soient opérées conformément à la carte des régions issue de l’article L. 4111-1 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction antérieure à sa modification par l’article 1er de la loi du 16 janvier 2015 précitée.
- La demande de suspension provisoire du décret de convocation
En outre, dans l’attente du jugement définitif de l’affaire par la Haute Juridiction administrative française, ces multiples requérants ont demandé au juge des référés du Conseil d’État de suspendre provisoirement le décret d’application. En effet, il faut rappeler que le référé-suspension, régi par l’article L. 521-1 du code de justice administrative, permet d’obtenir rapidement la suspension d’un acte administratif en attendant que le juge se prononce définitivement sur sa légalité. Pour cela, il faut la réunion simultanée de deux conditions. D’une part, le juge doit pouvoir identifier une situation d’urgence qui justifie une telle suspension. D’autre part, un doute sérieux sur la légalité de la décision administrative contestée doit être mis en évidence.
Selon les requérants, la situation d’urgence était caractérisée par la proximité de l’échéance, les élections régionales ayant lieu les 6 et 13 décembre et les candidatures à cette fin devant avoir été déposées entre le 2 et le 9 novembre. De manière logique en tant qu’instigateur de la réforme territoriale, le ministère de l’Intérieur prône le rejet de la requête dans son mémoire en défense affirmant que les moyens des requérants ne sont pas fondés en droit.
- Le rejet de la demande par le Conseil d’État
Le juge des référés n’accueille pas le recours car il affirme, après avoir rappelé la manière dont il apprécie le caractère urgent ou non de la situation, que la formation collégiale pourra se prononcer définitivement sur la légalité du décret au fond dans un bref délai, qui plus est avant l’ouverture du dépôt des candidatures soit avant le 2 novembre. En effet, selon lui, une telle échéance sera respectée car l’examen des demandes d’annulation au fond est déjà bien avancé. Par conséquent, il considère qu’il n’y a pas d’urgence justifiant une suspension provisoire du décret de convocation. Dans ce cadre-là, le juge des référés fait l’économie de l’examen de la seconde condition, ne se prononçant donc pas sur la conformité de la nouvelle carte des régions à la Charte européenne de l’autonomie locale.
Force est de constater que le juge des référés du Conseil d’État conclut alors de façon opportune au rejet de la demande de suspension, ce qui en revanche ne préjuge en rien de la solution quant au fond de l’affaire. La conséquence réside dans le maintien de l’application du décret et la préparation des élections régionales qui y est afférente, jusqu’à l’examen au fond de la question par la juridiction collégiale.
2. L’arrêt du 27 octobre 2015 : le refus d’annulation du décret de convocation
- Un rappel bienvenu du Conseil d’État concernant les dispositions mises en jeu
Dans son arrêt du 27 octobre dernier, le Conseil d’État saisi d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre le décret de convocation en vue des prochaines élections régionales est amené à trancher le fond de l’affaire. Il doit s’intéresser plus particulièrement au moyen des requérants selon lequel la loi du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, qui sert de base au décret de convocation contesté, méconnait la Charte européenne de l’autonomie locale signée le 15 octobre 1985 et conclue dans le cadre du Conseil de l’Europe. Cette dernière en tant que traité international impose en effet aux États signataires d’appliquer les mesures qui y sont prévues et qui permettent notamment de garantir l’autonomie politique, administrative et financière des collectivités locales.
Comme à son habitude, le Conseil d’État rappelle d’abord les dispositions législatives et règlementaires afférentes à la loi, en mentionnant explicitement la modification opérée par la loi du 16 janvier 2015. Ainsi, l’article L. 4111-1 du code général des collectivités territoriales est modifié afin d’instituer à compter du 1er janvier 2016 douze régions métropolitaines, en procédant à leur regroupement. Or, il est prévu dans cette loi que le prochain renouvellement général des conseils régionaux se tiendrait en fonction de ces modifications, ce que contestent les requérants.
Plus précisément, les requérants qui, rappelons-le, contestent la nouvelle carte des régions avancent que la fusion des régions méconnait deux dispositions de la Charte européenne de l’autonomie locale. Les requérants s’intéressent tout d’abord à l’article 4 de la Charte qui affirme que l’exercice des responsabilités publiques doit, de façon générale, incomber de préférence aux autorités les plus proches des citoyens, puis à l’article 5 qui dispose qu’avant toute modification des limites territoriales des collectivités territoriales, ces dernières doivent être préalablement consultées.
- L’examen du moyen issu de l’article 4 de la Charte européenne de l’autonomie locale
Il faut d’emblée mentionner que le Conseil d’État rejette tous les recours. Il rappelle d’abord les conditions dans lesquelles un traité international, tel que la Charte européenne de l’autonomie locale, peut être invoqué par les particuliers : il doit avoir été traduit dans l’ordre juridique interne conformément à l’article 55 de la Constitution et créer des droits dont les particuliers peuvent directement se prévaloir devant le juge. Or selon le Conseil d’État, l’article 4 de la Charte ne régit que les relations entre États signataires et par voie de conséquence, il ne produit pas d’effets à l’égard des particuliers. Les requérants ne peuvent donc pas se prévaloir de cette disposition devant le juge. Il est aussi affirmé dans cet arrêt qu’en tout état de cause, les dispositions de l’article 4 de la Charte ne peuvent être utilement invoquées dès lors que la loi du 16 janvier 2015 n’a pas pour objet ou pour effet le transfert de compétences entre collectivités territoriales de niveaux différents. Le Conseil d’État se positionne ici raisonnablement dans la mesure où, si la carte des régions françaises est aujourd’hui bel et bien transformée, les régions sont maintenues dans leur nature juridique donc il n’y a pas de transfert de compétences.
- L’examen du moyen issu de l’article 5 de la Charte européenne de l’autonomie locale
En ce qui concerne l’article 5 de la Charte, le Conseil d’État souligne que les requérants n’avaient pas la qualité pour contester la conformité de la procédure d’adoption de la loi nationale du 16 janvier 2015 à l’article 5 de la Charte, Charte qui a la nature d’un traité international. Cela semble juridiquement indiscutable dans la mesure où le juge ne contrôle que le contenu de la loi au regard des engagements internationaux de la France, et non sa procédure d’adoption. En revanche, affirmer qu’il est « loisible » au législateur de déroger à l’obligation de consultation des conseils régionaux et départementaux intéressés prévue à l’article L. 4122-1 du code général des collectivités territoriales pour toute modification des limites territoriales des régions peut sembler plus problématique, dans la mesure où cela semble balayer le caractère démocratique de la réforme territoriale initiée par le gouvernement.
Le Conseil d’État a donc entériné la tenue des élections régionales selon la nouvelle carte des régions françaises, dont les résultats seront connus ce soir. Mais l’on peut d’ores-et-déjà estimer que, si cette nouvelle carte des régions remet en cause l’équilibre juridique quant au partage des compétences entre échelons locaux, l’échiquier politique régional français en sera, semble-t-il, lui aussi impacté.
Alix Boulot
[1] Décret n° 2015-939 du 30 juillet 2015 portant convocation des collèges électoraux pour procéder à l’élection des conseillers régionaux, des conseillers à l’Assemblée de Corse, des conseillers à l’Assemblée de Guyane et des conseillers à l’Assemblée de Martinique
[2] Loi n° 2015-29 du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral.