Les élections professionnelles, c’est-à-dire les élections des représentants du personnel, sont aujourd’hui une source majeure de contentieux pour les entreprises au regard de leur impact en matière de représentativité syndicale.
Les élections du personnel permettent aux salariés d’élire, au travers d’un vote à bulletins secret, les délégués du personnel ou les membres des comités d’entreprise qui les représenteront au sein de leurs entreprises, dans le secteur privé. Ce type d’élections doit être organisé tous les quatre ans par l’employeur. Le type d’élections professionnelles varie en fonction de l’effectif de l’entreprise qui les organise. Ainsi, les entreprises de 11 salariés et plus sont tenues de mettre en place des délégués de personnel tandis que celles qui disposent d’un effectif minimum de 50 salariés doivent élire un comité d’entreprise. Cependant, les entreprises dont l’effectif est compris entre 50 et 200 salariés ont la possibilité de fusionner ces deux institutions par la mise en oeuvre d’une délégation unique du personnel.
Face à ces enjeux, le bon déroulement de ces élections professionnelles constitue une préoccupation permanente et une source de stress importante pour les employeurs souhaitant légitimement préserver le climat social et respecter la procédure électorale.
Mais que se passe t-il dans un contexte spécifique, lorsque les élections professionnelles ont lieu pendant une grève au sein de l’entreprise. L’organisation des élections des délégués du personnel est-elle envisageable alors qu’un mouvement de grève est suivi par certains salariés de l’entreprise ? A contrario, les élections professionnelles doivent-elles être annulées ? La Cour de cassation apporte des réponses dans un arrêt de la chambre sociale du 28 janvier 2015 (1).
Un contrôle sur la régularité des élections professionnelles
En l’espèce, une entreprise procédait à l’organisation des élections des délégués du personnel dans un climat social délicat, et ce, concomitamment à un mouvement de grève d’une durée de 47 jours.
Le syndicat à l’origine de cette grève avait saisi le tribunal d’instance afin d’obtenir l’annulation des élections professionnelles, considérant que l’organisation des élections, dans ce contexte particulier, avait empêché l’information et la participation des salariés grévistes. Le syndicat soulignait que cette grève, suivie par cinq salariés, représentait près de 20 % des effectifs de l’entreprise et que la grève avait été particulièrement longue, puisqu’elle avait duré 47 jours. Elle avait pour effet d’exclure de ces élections le syndicat le plus actif de l’entreprise, ce qui caractérisait la mauvaise foi de l’employeur et constituait une entrave à l’exercice du droit syndical et au droit de grève des salariés. À ce titre, il est nécessaire de rappeler que le droit syndical et le droit de grève sont constitutionnellement garantis par le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 aux alinéas 6 et 7, « Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l’action syndicale et adhérer au syndicat de son choix » et « Le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent ».
Une organisation syndicale peut invoquer l’irrégularité de la procédure électorale devant les juges mais il faut alors être en présence de réelles irrégularités dans le déroulement des élections. En effet, toute irrégularité dans le déroulement des opérations de vote justifie l’annulation d’une élection dès lors que cette irrégularité est susceptible d’exercer une influence sur le résultat des élections ou, s’agissant du premier tour des élections, dans la reconnaissance de la qualité représentative d’un syndicat ou du droit d’un candidat à être désigné comme délégué syndical.
Afin d’éviter ces irrégularités, l’employeur doit rigoureusement respecter la procédure relative à la mise en place des élections professionnelles des délégués du personnel et doit notamment veiller au respect des formalités d’informations des organisations syndicales et des salariés, conformément aux articles L2314-2 et L2314-3 du code du travail (2) (3).
Une grève partielle ne fait pas obstacle à l’organisation des élections professionnelles
Le tribunal d’instance par un jugement en premier et dernier ressort, en date du 14 mars 2014 (4), déboute le syndicat de l’ensemble de ses demandes, et déclare les élections professionnelles régulières. Le syndicat va donc former un pourvoi en cassation.
La Cour de cassation rejette le pourvoi. Elle refuse l’annulation des élections professionnelles organisées durant une grève de longue durée. Après avoir mis en évidence le fait que l’employeur ait bien procédé aux formalités d’information des syndicats et des salariés relatives à l’organisation des élections professionnelles, la Cour de cassation a estimé que, dans la mesure où les salariés étaient largement présents dans les locaux de l’entreprise et que le mouvement de grève ne touchait pas l’ensemble des salariés, les élections étaient régulières.
Afin de fonder sa décision, la Haute Juridiction a retenu que les opérations électorales étaient régulières dans la mesure où la note de service fixant le calendrier des élections et invitant les organisations syndicales de salariés à se manifester pour la négociation du protocole pré-électoral était accessible et visible de l’ensemble des salariés sur le tableau présent dans la salle de repos de l’entreprise.
La Cour de cassation en déduit donc logiquement que l’employeur a bien respecté ses obligations tenant à l’invitation des syndicats et à l’information des salariés sur les élections professionnelles. De plus, elle souligne qu’une pétition émanant de dix-huit salariés révélait qu’ils étaient largement présents dans les locaux de l’entreprise et que le mouvement de grève ne touchait donc pas l’ensemble des salariés mais tout au plus cinq personnes. En effet, elle affirme dans son attendu de principe que : « Attendu, enfin, qu’ayant constaté qu’il résultait des pièces versées aux débats, notamment de la note de service du 13 septembre 2013 fixant le calendrier des élections et portant invitation aux organisations syndicales de salariés de se manifester pour la négociation du protocole préélectoral et de la pétition des salariés de l’entreprise émanant de dix-huit salariés, que l’affichage était accessible et visible de l’ensemble des salariés pour avoir été apposé sur le tableau destiné à cet effet, dans la salle de repos de l’entreprise et que, s’agissant du contexte social, il résultait de la pétition des salariés que ces derniers étaient largement présents dans les locaux de l’entreprise et que le mouvement de grève ne touchait pas l’ensemble des salariés, tout au plus cinq personnes, le tribunal a légalement justifié sa décision quant à la régularité des élections professionnelles ». (5)
Ainsi, des élections professionnelles peuvent être valablement organisées pendant une grève, et ce, sans que l’employeur ne soit obliger de reporter la procédure, si le mouvement de grève est suivi par peu de salariés au sein de l’entreprise. Un mouvement de grève n’entache donc pas, à lui seul, le processus électoral, notamment si la majorité des salariés n’ont pas participé et étaient présents sur le lieu de travail.
A contrario, il semble possible d’imaginer que la solution de la Cour de cassation aurait été bien différente si la grève avait été suivie par l’intégralité ou une grande majorité des salariés. L’élection professionnelle aurait alors pu être entachée d’irrégularité.
Florian Colombi
(1) Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 28 janvier 2015, n°14-14345
(2) Article L2314-2 du code du travail « L’employeur informe tous les quatre ans le personnel par affichage de l’organisation des élections. Le document affiché précise la date envisagée pour le premier tour. Celui-ci doit se tenir, au plus tard, le quarante-cinquième jour suivant le jour de l’affichage, sous réserve qu’une périodicité différente n’ait pas été fixée par accord en application de l’article L2314-27. »
(3) Article L2314-2 du code du travail « Sont informées, par tout moyen, de l’organisation des élections et invitées à négocier le protocole d’accord préélectoral et à établir les listes de leurs candidats aux fonctions de délégués du personnel les organisations syndicales qui satisfont aux critères de respect des valeurs républicaines et d’indépendance, légalement constituées depuis au moins deux ans et dont le champ professionnel et géographique couvre l’entreprise ou l’établissement concernés.
(4) Décision attaquée : Tribunal d’instance de Fort-de-France, 14 mars 2014
(5) Attendu de principe de la Cour de cassation, 28 janvier 2015
Pour en savoir plus:
www.village-justice.com ->articles->Organisation des élections professionnelles pendant une grève
www.juritravail.com-> Grève et élections professionnelles font-elles bon ménage?