Nul ne l’ignore, l’élection présidentielle américaine se déroule en deux temps. Le premier acte vient de se jouer et s’est conclu par l’élection surprise de Donald Trump comme 45e Président des États-Unis, déjouant ainsi le scénario qui paraissait, il y a quelques semaines encore, le plus probable. Des protestations se sont élevées et d’aucuns comptent sur le second acte, le vote en décembre des grands électeurs, pour renverser la situation.
Acte 1 – L’élection du collège électoral
Le mardi 8 novembre les américains se sont rendus aux urnes pour élire leur Président et leur Vice-Président. Cependant, le système indirect impose à l’électorat populaire de désigner des grands électeurs, qui désigneront à leur tour le Président. Le nombre de grands électeurs varie dans chaque État en fonction de la population et correspond à l’addition du nombre de représentants et de sénateurs, soit 538 au total en y ajoutant les 3 représentants du District de Columbia. Certains États, comme la Californie (55) ou la Floride (29), revêtent une importance particulière en ce qu’ils disposent d’un nombre important de grands électeurs et sont par ailleurs politiquement versatiles. Une des conséquences de ce système indirect est que le candidat vainqueur peut remporter l’élection sans la majorité des votes populaires.
Ce système n’est pas sans ambiguïté car, même si les électeurs élisent avant tout un collège électoral, sur leur bulletin de vote ne figure pas le nom des grands électeurs – à l’exception de quelques États – mais bien ceux des candidats. Aussi, ils mandatent des grands électeurs pour porter leur vote sur un candidat particulier. Se pose alors la question de la liberté de choix des grands électeurs. Peuvent-ils, en dépit du fait qu’ils ont été désignés pour voter en faveur d’un candidat particulier, choisir librement sur qui leur vote se portera ?
Acte 2 – Le vote des grands électeurs : une compétence liée ou un choix libre ?
Les archives révèlent que, depuis 1796, des grands électeurs ont changé leur vote lors d’une vingtaine d’élections. La question du libre choix des grands électeurs a pris de l’importance lorsque des États se sont dotés d’une législation imposant aux grands électeurs de prêter serment avant d’être nommés. En d’autres termes, dans ces États, les grands électeurs doivent promettre de donner leur vote au candidat pour lequel ils ont été désignés par le vote populaire.
Au début des années 1950, Ben Ray, président du Parti Démocrate d’Alabama, et à ce titre chargé de nommer les grands électeurs démocrates de l’État, refusa de nommer Edmund Blair, car celui-ci refusait de promettre de voter pour le candidat que la convention démocrate nationale aurait reconnu comme le candidat du parti. La Cour Suprême de l’Alabama imposa au parti de nommer Blair, qui remplissait par ailleurs toutes les autres exigences d’éligibilité, car le contraindre à prêter ce serment reviendrait à limiter sa liberté de vote protégée par le XIIe amendement. Le débat s’établissant alors sur le terrain des normes fédérales, la Cour Suprême ramena l’affaire à elle. Dans l’arrêt Ray v. Blair[1], la juridiction de Washington a déclaré que « même si une telle promesse est légalement inapplicable en ce qu’elle violerait la liberté constitutionnelle [du grand électeur] de voter comme il le souhaite, l’exigence qu’il prête serment n’est pas par elle-même inconstitutionnelle »[2]. Aussi, les États peuvent requérir de leurs grands électeurs qu’ils prêtent serment, sans qu’il soit possible, in fine, de les contraindre à le respecter.
Cependant, vingt-neuf États ainsi que le district de Columbia ont une législation pénalisant les électeurs « faithless » (déloyaux). En réalité, ces législations n’enfreignent pas la liberté de vote car elles n’obligent pas le grand électeur mais le pénalisent en cas de volte-face ou d’abstention. D’autres États encore (le Michigan ou le Minnesota par exemple) considèrent comme nul le vote d’un grand électeur « faithless ». Par ailleurs, vingt-et-un États ne pénalisent d’aucune manière le changement de vote.
Dans les circonstances actuelles, l’hypothèse d’un changement massif des votes paraît possible, dans la mesure où Donald Trump est loin de faire l’unanimité au sein de son propre parti. Par exemple, Baoky Vu, grand électeur républicain de la Géorgie, avait indiqué avant même le 8 novembre qu’il n’accorderait pas son bulletin à Donald Trump. Pour qu’Hillary Clinton soit désignée vainqueur par les grands électeurs, il faudrait que 42 d’entre eux changent leur vote. Ce scénario semble tout de même peu probable, car la sanction politique qui découlerait d’une telle volte-face serait bien plus importante pour le grand électeur que n’importe quelle sanction pénale. Du reste, jamais les changements de votes, si massifs fussent-ils (63 en 1872, soit plus d’un dixième du collège électoral) n’ont pesé de manière significative sur le résultat final de l’élection du Président des États-Unis.
Alexis Antois
[1] Ray v. Blair, 343 U.S. 214 (1952).
[2] Ray v. Blair, op. cit, (traduction de l’auteur).