La loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites, son décret d’application du 7 juillet 2011 et la circulaire du 28 octobre 2011 mettent en place un dispositif coercitif. Son application pratique soulève de nombreuses interrogations, sources d’insécurité pour les entreprises entrant dans le champ d’application de ces textes. La bonne lecture du dispositif par l’employeur est cependant impérative, sans quoi il risque d’être redevable d’une pénalité financière non négligeable.
I. Entrée en vigueur du dispositif
Une exonération limitée à trois ans.- De plus, la circulaire du 28 octobre 2011 [4] apporte une précision pour le moins contestable quant à l’entrée en vigueur du dispositif qui ne figurait ni dans la loi ni dans son décret d’application[5]. « La pénalité n’entre en vigueur qu’à l’échéance de l’accord indépendamment de son contenu et au plus tard dans un délai de trois ans après la conclusion de celui-ci ». Le lien établi avec l’obligation triennale de négocier en matière d’égalité semble condamnable à plus d’un titre, notamment quant à la volonté des partenaires sociaux. En effet, lorsque l’entreprise était couverte par un accord à durée indéterminée antérieur au 9 novembre 2010, celui-ci cessera d’assurer le report de la date d’entrée en vigueur du dispositif au troisième anniversaire de sa date de conclusion, rendant nécessaire l’ouverture d’une négociation en vue de le réviser ou de conclure un nouvel accord. En outre, cette position de l’administration prive d’effets les accords conclus pour une durée déterminée comprise entre trois et cinq ans : il conviendra de le réviser ou d’en conclure un autre dès la troisième année de son application (ou, à défaut, d’établir un plan d’action) pour être exonéré du paiement de la pénalité financière.
Par ailleurs, doit-on intégrer dans le champ d’application de la pénalité une UES, de cinquante salariés et plus, constituée uniquement d’entreprises situées en dessous de ce seuil et dont les délégués syndicaux sont désignés à ce niveau ? Soit le seuil peut être apprécié au niveau de l’UES, dans le cas où celle-ci serait assimilée à une entreprise au sens de la représentation du personnel[6] ou en retenant le même raisonnement qu’en matière de négociation sur la pénibilité[7]. Soit il conviendra d’appréhender plus strictement l’article L. 2242-5-1 du Code du travail qui ne soumet à la pénalité que les entreprises, comme le suggèrent MM. Daniel et Bailly[8].
En outre, dans l’hypothèse où l’UES est le seul niveau auquel ont été désignés des délégués syndicaux, l’accord conclu avec ceux-ci pourra-t-il exonérer les entreprises constituant l’UES de la pénalité ? En pratique, la NAO se déroulera au niveau de celle-ci et l’on considérera que les différentes entités juridiques formant l’UES auront rempli leurs obligations en la matière. Si la même logique a été retenue en matière de pénibilité où un accord de groupe ou d’UES est considéré comme couvrant les entreprises les constituant au sens de la pénalité, il semblerait que ce raisonnement ne puisse être tenu en matière d’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes. La circulaire du 28 octobre 2011 précise que « la négociation de groupe n’a pas vocation à se substituer à la responsabilité de l’entreprise ». Par analogie avec le groupe, ce qui semble contestable, les deux entités ne pouvant pas avoir le même périmètre[9], l’accord d’UES ne permettra pas d’exonérer de la pénalité les entreprises d’au moins cinquante salariés la constituant. Se posera alors la question de savoir s’il faudra ouvrir la négociation au niveau de chaque entreprise avant d’établir unilatéralement un plan d’action.
III. Gestion du dispositif
Si la NAO est en cours, l’employeur ne pourra élaborer un plan d’action en ce qu’il constituerait une décision unilatérale sans quoi il s’exposerait aux sanctions pénales prévues à l’article L. 2243-2 du Code du travail et à une annulation du plan d’action ce qui aurait pour effet d’assujettir l’entreprise à la pénalité.
Cependant, le décret du 7 juillet 2011[10], en modifiant l’article R. 2323-9 du Code du travail, a créé une certaine confusion en ce qu’il fait référence au « plan d’actions ». En effet, auparavant c’est le plan pour l’égalité professionnelle institué à l’article L. 1143-1 qui était nécessairement visé. Désormais, il semblerait que l’entreprise couverte par un accord devra elle aussi établir un plan d’action. Ainsi, en toute situation, le plan d’action sera intégré au rapport sur la situation économique de l’entreprise (C. trav., art. L. 2323-47) pour les entreprises de moins de 300 salariés ou dans le rapport de situation comparée des conditions générales d’emploi et de formation des femmes et des hommes pour les entreprises de 300 salariés et plus (C. trav., art. L. 2323-57).
On pouvait d’abord se demander si le plan d’action devait être élaboré en priorité au niveau central ou si chaque établissement devait le faire. L’article L. 2327-2 du Code du travail dispose que « le comité central d’entreprise exerce les attributions économiques qui concernent la marche de l’entreprise et qui excèdent les limites des pouvoirs des chefs d’établissement ». Ainsi, lorsque le contenu du plan d’action est décidé au niveau central, on présumera qu’il relève de la compétence du chef d’entreprise et qu’il convient donc de consulter le comité central d’entreprise. Par ailleurs, le rapport dans lequel sera intégré le plan d’action est soumis, pour avis, au comité d’entreprise. Or, dans une entreprise à établissements multiples, ce sont les comités d’établissement qui exercent les attributions du comité d’entreprise dans la limite de ce qui relève des pouvoirs des chefs d’établissement. Le rapport sur la situation économique ou de situation comparé doit donc donner lieu à la consultation des comités d’établissement sans quoi les chefs d’établissement s’exposent à une condamnation pénale pour entrave.
Dès lors, on peut s’interroger sur l’ordre de la consultation : la circulaire retient de l’application de l’article L. 2323-58 du Code du travail[11] que la consultation des comités d’établissement est préalable à celle du comité central d’entreprise. Il semble alors pertinent que ce dernier soit informé sur un rapport qui aura pu être modifié à la suite des avis des différents comités d’établissement.
La circulaire va même plus loin en ce qu’elle considère que le plan d’action, lorsqu’il est conçu au niveau de l’entreprise, doit être adapté dans chacun des établissements. En effet, c’est l’entreprise qui est débitrice de l’obligation d’être couverte par un accord collectif ou un plan d’action. Un pas supplémentaire est franchi en ce que chacun des établissements doit être doté d’un plan d’action. Si un seul d’entre eux n’est pas couvert, l’entreprise est soumise à la pénalité financière. Cette dernière doit alors être calculée sur la totalité des gains et rémunérations versés aux salariés de l’entreprise et non sur la seule masse salariale de l’établissement défaillant.
IV. Articulation du dispositif
Ce dispositif est, à dessein, exigeant quant au contenu de l’accord, sans quoi les objectifs fixés et les actions mises en place seraient réduits à de simples déclarations de principe. Le décret, dans un souci d’efficacité, subordonne donc la validité de l’accord à un chiffrage, lequel est sensé photographier la situation de l’entreprise au regard de l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes.
Dans ce bilan, induit par le contenu de l’accord, réside un véritable piège pour l’entreprise. Tel est le cas lorsque l’entreprise choisit l’embauche comme domaine d’action et se fixe comme objectif d’obtenir un effectif constitué à 50% de femmes[12]. Si elle s’engage à le faire dans le futur, pourquoi ne pas l’avoir fait plus tôt ? En ce sens, l’accord pourrait prouver implicitement que l’entreprise a discriminé les femmes au profit des hommes.
A la lecture de ce texte, il ne fait pas de doute que les règles de preuve en matière de discrimination sont plus favorables au salarié. Cette dérogation à l’article 9 du Code de procédure civile impose seulement au salarié d’établir une différence de traitement significative[13], renversant ainsi la charge de la preuve, l’employeur étant tenu de se justifier et d’apporter à l’appui de sa démonstration des éléments objectifs et matériellement vérifiables.
Le dispositif issu de la loi du 9 novembre 2010 est, à cet égard, propre à faire peser la totalité de la charge de la preuve sur l’employeur. Grâce aux indicateurs chiffrés que l’employeur a fait figurer dans l’accord ou dans le plan d’action en faveur de l’égalité, tout salarié et toute organisation syndicale (par le jeu de leur pouvoir de substitution en matière de discrimination sexuelle[14]) peut, à l’occasion d’une action contentieuse, établir une différence de traitement. La publicité[15] de ces indicateurs[16] par le biais de l’accord lui-même ou de la synthèse du plan d’action[17] pourrait s’avérer dangereuse, tant au regard d’un éventuel contentieux en matière de discrimination que d’un éventuel risque de ranking des entreprises par l’administration, susceptible de classer les bons et mauvais élèves. D’ailleurs, en dépit des indicateurs mis en place dans le plan d’action, le décret prévoit que la synthèse doit au minimum faire apparaître la situation respective des femmes et des hommes par rapport au salaire médian ou au salaire moyen, à la durée moyenne entre deux promotions ainsi qu’à l’exercice de fonctions d’encadrement ou décisionnelles[18].
Il est clair, à la lecture des textes, que l’employeur serait tenu de faire état d’objectifs et d’actions accompagnés d’indicateurs témoignant d’un déséquilibre en faveur des femmes, donc d’une discrimination prohibée par le Code du travail.
V. Sanction du dispositif
Geoffrey Gury
étudiant au sein du Master Droit et pratique des relations de travail
Université Panthéon-Assas (Paris II)
Etienne Devaux
étudiant au sein du Master Droit et pratique des relations de travail
Université Panthéon-Assas (Paris II)
Notes
[1] J-F. Cesaro, Le Code du travail est pavé de bonnes intentions. L. n°2006-340, 30 mars 2006 relative à l’égalité salariale entre les femmes et les hommes : JCP S 2006, 1273.
[2] Pour une étude du dispositif dans son ensemble, cf. J. Daniel et M. Bailly, « L’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans l’entreprise : la confusion des genres », JCP S 2011, 1409.
[3] L. n°2010-1330 du 9 nov. 2010 portant réforme des retraites. (JO 10 novembre 2010).
[4] Circ. DGT/RT3 du 28 oct. 2011 relative à la mise en œuvre du dispositif de pénalité financière et matière d’égalité entre les femmes et les hommes : JCP S 2011, 1516.
[5] D. n°2011-822 du 7 juill. 2011 relatif à la mise en œuvre des obligations des entreprises pour l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes. (JO 9 juill. 2011).
[6] Cass. soc. 3 juill. 1985, n°85-60.060. [7] Circ. DGT n°08 du 28 oct. 2011 relative aux accords et plans d’action en faveur de la prévention de la pénibilité prévus à l’article L. 138-29 du Code de la sécurité sociale : JCP S 2011, 1517.
[8] J. Daniel et M. Bailly, préc.
[9] Cass. soc., 20 octobre 1999, n° 98-60398.
[10] D. n°2011-822 du 7 juill. 2011, préc.
[11] Article qui ne concerne que les entreprises de 300 salariés et plus, pour autant il s’agit d’un problème de recodification. Avant, cela s’imposait aussi les entreprises de moins de 300 salariés, la recodification s’étant faite à droit constant, c’est encore le cas aujourd’hui, peu important le nouveau placement de cet article dans le Code du travail.
[12] V. par exemple l’accord interbranche triennale de la coopération agricole conclu le 12 octobre 2011 qui prévoit, parmi une quarantaine d’actions possibles, la mixité de recrutement.
[13] Cass. crim., 3 avr. 2007 : JurisData n° 2007-038633 ; JCP S 2007, 1493, note J.-F. Cesaro.
[14] C. trav., art. L. 1144-2.
[15] La circulaire du 28 octobre 2011 fait état d’un « mécanisme de transparence des informations essentielles en la matière ».
[16] C. trav., art. D. 2323-9-1.
[17] Celle-ci doit être portée à la connaissance des salariés, par voie d’affichage sur les lieux de travail et, éventuellement, par tout autre moyen adapté aux conditions d’exercice de l’activité de l’entreprise.
[18] C. trav., art. D. 2323-9-1.
[19] C. trav., art. L. 1142-4.
[20] Circ. DGT/RT3 du 28 oct. 2011, préc.
[21] L. n°2010-1330 du 9 nov. 2010, préc.
[22] D. n°2011-822 du 7 juill. 2011, préc |