Le droit strictement personnel au mariage d’un majeur sous mesure de tutelle

Avant même la réforme de la protection juridique des majeurs opérée par la loi n°2007-308 du 5 mars 2007, la solution était déjà connue : « le mariage d’un majeur en tutelle [sic] nécessite, préalablement, le consentement du majeur » (Civ. 1ère, 24 mars 1998, n°97-11.252). Depuis la réforme, « le mariage d’une personne en tutelle n’est permis qu’avec l’autorisation du juge ou du conseil de famille » (art. 460 al.2 C.civ.). Cette nouvelle disposition ne faisant pas disparaître la jurisprudence antérieure, la Cour de cassation a eu à définir l’articulation entre autorisation et consentement.

En l’espèce (1), une mesure de tutelle avait été ouverte suite à un accident de la voie publique ayant plongé la victime dans un état végétatif chronique. La charge tutélaire avait été attribuée à sa concubine, mère de ses deux enfants, qui a par la suite demandé au juge des tutelles de l’autoriser à contracter mariage avec le majeur protégé, conformément à l’article 460 du Code civil. Suite à une divergence entre la sœur , la mère du majeur sous tutelle et la tutrice, l’affaire a été portée devant la Cour d’appel de Versailles qui a autorisé le mariage. La sœur et la mère du majeur protégé ont alors formé un pourvoi en cassation afin de contester la recevabilité de la demande de l’article 460 du Code civil lorsqu’elle est effectuée par la tutrice.

La Cour de cassation a fait droit à la demande des requérantes, au visa des articles 458 et 460 du Code civil, en énonçant que « si le mariage d’un majeur en tutelle doit être autorisé par le juge des tutelles, il constitue un acte dont la nature implique un consentement strictement personnel et qui ne peut donner lieu à représentation ». Ainsi « la demande d’autorisation, présentée par la tutrice, était irrecevable ». Cette position est étonnante car en se référant aux actes strictement personnels (art. 458 C.civ.), impliquant des droits nécessitant une protection supérieure du fait de leur caractère particulier, la Haute juridiction prive à tout jamais le majeur protégé de contracter mariage eu égard à son état végétatif chronique.

À travers l’analyse du moyen annexe, la Cour de cassation se prononce également sur la capacité à mariage du majeur en tutelle (art. 146 C.civ.). Cette démarche tend à lier les articles 146 et 458 du Code civil alors que la capacité au mariage n’induit pas systématique l’obtention de l’autorisation requise par la mesure de protection. Le premier article est relatif à une condition de fond du mariage, alors que le second est une mesure de protection des intérêts du majeur protégé. Réciproquement, l’autorisation éventuellement accordée ne présage pas la constatation du consentement des époux par l’officier d’état civil lors de la célébration du mariage. Le résultat est contestable puisque, par ce raisonnement, la Cour de cassation a ajouté une condition à l’exercice des droits strictement personnels : le consentement du majeur protégé. Or, par définition, l’ouverture d’une mesure de protection répond à la condition que la personne soit « dans l’impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison d’une altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté » (art. 425 C.civ.).

À suivre le raisonnement de la Cour de cassation, une interrogation survient. Comment un majeur placé sous une mesure de protection peut-il exprimer son consentement à l’exercice de ses droits strictement personnels si, par définition, il n’est pas en mesure d’exprimer sa volonté ? L’esprit de l’article 458 du Code civil est de renforcer les droits les plus sensibles, en offrant une protection particulière. Le second alinéa de ce texte énumère des droits réputés strictement personnels qui ne concernent que les relations entre la personne protégée et ses enfants. La logique de protection n’est pas la même en ce qui concerne le droit au mariage puisqu’il renvoie à une relation entre la personne protégée et un tiers. Le législateur a pris le parti de fixer comme condition de fond du mariage le consentement personnel des époux (le consentement au mariage ne peut être donné que par les intéressés afin de lutter contre la pratique des mariages forcés). En cela, le mariage est un droit strictement personnel qui n’en porte pas le nom. Or, en ajoutant le droit au mariage dans la catégorie des droits strictement personnels, le législateur tend à ajouter de nouvelles conditions, qui plus est inadaptées, aux droits de l’article 458 du Code civil. S’il est loisible à la Haute juridiction de dégager de nouveaux droits strictement personnels, il semblerait que le droit au mariage soit un mauvais candidat.

Cette solution est d’autant plus contestable à l’aune du mariage posthume. L’article 171 du Code civil permet au Président de la République, d’« autoriser la célébration du mariage en cas de décès de l’un des futurs époux, dès lors qu’une réunion suffisante de faits établit sans équivoque son consentement ». La concubine et tutrice du majeur protégé faisait valoir au soutien de son pourvoi qu’ils « avaient communément émis le souhait de se marier en suite logique (…) au concubinage qui les liait » avant d’apporter un certain nombre de témoignages allant en ce sens. À comparer la situation donnant lieu à cet arrêt et celle d’un mariage posthume, la personne décédée ne jouit plus de ses droits et ne peut donc plus les exercer, même par l’intermédiaire d’autrui, alors que le majeur protégé conserve la jouissance de ses droits qui sont exercés par sa tutrice. Partant, empêcher la tutrice d’exercer ces droits en les réservant au majeur sous tutelle, plongé dans un état végétatif chronique, revient à le priver de l’exercice de ses droits. Or la jouissance d’un droit ne prend son sens que par son exercice. Le majeur protégé se retrouve alors juridiquement dans la même position que la personne décédée, c’est-à-dire privé de la jouissance de ses droits. Curieusement, il est toujours possible de contracter mariage avec une personne décédée, aux conditions de l’article 171 du Code civil, alors que le présent arrêt l’interdit au majeur protégé plongé dans un état végétatif chronique. La situation en devient absurde car, juridiquement, le décès du majeur sous tutelle faciliterait le dessein de sa concubine à obtenir le mariage.

La difficulté sous-jacente de cette affaire tient à l’aspect patrimonial du mariage. La personne décédée « peut » encore « se » marier parce que le mariage posthume « n’entraîne aucun droit de succession ab intestat au profit de l’époux survivant et aucun régime matrimonial n’est réputé avoir existé entre les époux » (art. 171 al.3 C.civ.). La question des conséquences patrimoniales est prégnante pour la tutrice qui a fait valoir au soutien de son pourvoi qu’« il n’est pas démontré que ce mariage serait préjudiciable aux intérêts financiers et/ou patrimoniaux [du majeur sous tutelle] dont les biens sont gérés depuis 2009 par [la tutrice], sans qu’il ne soit fait état de la moindre anomalie dans cette gestion ». En matière de mariage, la défense des droits extrapatrimoniaux du majeur protégé s’avère être au service de la défense de ses droits patrimoniaux. Empêcher le mariage du majeur protégé pour des raisons patrimoniales revient à consacrer une présomption irréfragable de cupidité à l’égard de sa concubine.

La difficulté, tenant à l’aspect patrimonial du mariage, pourrait être effacée en dissociant les droits extrapatrimoniaux des droits patrimoniaux en cas de causes graves. Pour ce faire, deux possibilités s’offrent au législateur. La première alternative consiste à s’inspirer de l’article 171 du Code civil, relatif au mariage posthume, en consacrant un mariage sans conséquences patrimoniales. Cette alternative s’avère particulièrement intéressante lorsque la demande est guidée par des raisons d’ordre sentimental. En l’espèce, le moyen annexe exposait que le majeur protégé « avait abordé le fait qu’il voulait se marier avec [sa concubine], afin de légaliser leur union et que [sa concubine] porte le même nom que [ses enfants] ». L’absence de conséquences patrimoniales pourrait alors aboutir à la réalisation de leur projet matrimonial.

La seconde alternative consiste à s’inspirer de l’article 21-2 du Code civil, relatif au droit de la nationalité acquis par mariage. L’obtention de droits serait alors conditionnée à un délai assorti d’obligations. Ainsi, les conséquences patrimoniales apparaîtraient après quelques années de mariage, ce qui reviendrait à ramener la présomption de cupidité à une présomption simple. En tout état de cause, la solution dégagée par le présent arrêt n’est pas satisfaisante tant sur le plan de l’exercice des droits strictement personnels du majeur sous tutelle que sur le celui de l’interprétation des textes.

 

          Thibault CAMPAGNE

(1) Civ. 1ère, 2 décembre 2015, n°14-25.777

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