Il n’y a pas plus aveugle que celui qui refuse de voir que le changement climatique n’est pas une chimère. De la Convention-Cadre des Nations-Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC) en 1992 à la 21ème Conférence des parties à la CCNUCC (COP 21) de Paris en 2015, les États du monde se sont progressivement engagés à accroître leurs efforts dans la lutte contre ce phénomène, notamment par la réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre. S’il est admis qu’il est de la responsabilité des États de lutter contre les sources du réchauffement climatique, rien ne laissait présager qu’ils puissent un jour voir leur responsabilité engagée pour ce fait. Une décision rendue par le juge néerlandais le 24 juin 2015 constitue une révolution, en ce qu’elle retient la responsabilité d’un État du fait de son inaction face au changement climatique, qualifiée de violation des droits de l’homme[1].
La consécration d’un principe de responsabilité climatique des États : L’avènement d’une « justice climatique »
L’admission de la responsabilité des États a permis de faire éclore une « responsabilité climatique », souhaitée par les environnementalistes. La responsabilité des États pourra ainsi être engagée toutes les fois où ils n’auront pas fait assez d’efforts pour atteindre les objectifs de réduction du réchauffement climatique.
Selon Ingrid Metton, avocate, « la décision juridique est trop récente pour qu’on puisse en tirer des conclusions. Mais c’est déjà une avancée considérable que de faire comprendre aux États que l’action contre le réchauffement est la base du respect des droits humains. Et que c’est leur devoir de la conduire »[2].
La rétention de la responsabilité individuelle des États au plan national empêchera ces derniers de se prévaloir d’une source globale de réchauffement climatique. En d’autres termes, ils ne pourront plus s’exonérer de leur responsabilité individuelle en arguant de l’inaction collective. Seule sera prise en compte leur responsabilité individuelle par rapport aux efforts fournis dans la lutte contre le phénomène du changement climatique. L’immobilité ou l’inertie d’un État, autre que celui dont la responsabilité est engagée, ne saurait constituer une cause exonératoire. L’État répondra seul de ses agissements.
Les perspectives jurisprudentielles : Un futur entre espérance et crainte
L’admission de la responsabilité de l’État néerlandais, suivi de celle de l’État pakistanais, ou de celle de l’État de Washington, balise la mise en œuvre de cette responsabilité.
Le jugement du Tribunal de La Haye a ouvert une voie intéressante et prometteuse pour accroître la protection climatique. Des ONG étudient actuellement cette nouvelle option, dans le monde entier. Pour Georg Klingler de Greenpeace, il faut « (…) utiliser tous les instruments possibles avant que le climat ne devienne totalement hors de contrôle ».
En Belgique, une action similaire devrait être étudiée par la justice d’ici fin 2016 à l’initiative de l’association Klimatzaak, tandis que les Verts démarrent avec Greenpeace une action pour la justice climatique en Suisse[3].
En France, une ONG dénommée Notre affaire à tous, se prépare également à engager une action contre l’État français[4]. L’association Notre Affaire à tous a engagé le 4 décembre 2015 un processus en vue d’un recours contre l’État pour défaut de protection des générations présentes et futures et défaillance dans la lutte contre le dérèglement climatique.
Dès lors, on peut s’interroger sur l’utilité de créer un tribunal international de Justice climatique dédié à la question, hypothèse également envisagée par certains environnementalistes. Selon Mathilde Boutonnet, maître de conférence et chercheuse, « (…) aujourd’hui, plus que le juge international c’est le juge interne qui prend le pouvoir ! (…) » [5]. La compétence et les pouvoirs du juge interne apportent une vraie solution car, en imposant au niveau local aux Etats de prendre des mesures climatiques, ces juges rendent des décisions qui ont des conséquences au niveau international. Les mesures climatiques prises ont des impacts réels sur la communauté internationale elle-même et non uniquement pour les demandeurs à l’action. La décision néerlandaise l’illustre assez bien.
Parallèlement, si la justice peut aider à la lutte contre le climat, elle peut également la ralentir. La Cour suprême des États-Unis, saisie par les représentants de 27 États, a infligé un sévère camouflet au Président des États-Unis en gelant son plan de lutte contre le réchauffement climatique, baptisé « Clean Power », visant à réduire de 30%, à l’horizon 2030, les émissions de CO² produites par le secteur de la production d’électricité[6]. Par une décision du 9 février 2016, la plus haute instance judiciaire américaine a suspendu l’exécution du « Clean Power Plan », compte tenu du doute pesant sur la légitimité des mesures contenu dans le plan, et des possibles impacts néfastes sur l’économie américaine. En pratique, les nouvelles règles que l’Environmental Protection Agency (EPA) aurait souhaité mettre en vigueur sont suspendues, jusqu’à ce qu’une cour d’appel examine les arguments avancés par les Etats frondeurs. Malgré cette déconvenue judiciaire, la Maison Blanche a réaffirmé sa « confiance » dans la légalité de son plan de lutte contre le changement climatique[7].
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Pour aller plus loin :
-M. Hautereau-Boutonnet (dir.) , L. Fonbaustier et autres « Propositions pour un droit au secours du climat », Recueil Dalloz, 12 novembre 2015, n° 39. (Ces propositions sont issues des pistes de réflexion apportées par différents contributeurs au dossier « Quel droit face au changement climatique ? »)
[1] http://www.lemonde.fr/planete/article/2015/06/25/la-justice-condamne-les-pays-bas-a-agir-contre-le-rechauffement-climatique_4661561_3244.html
[2] http://tempsreel.nouvelobs.com/planete/cop21/20151204.OBS0735/rechauffement-climatique-l-etat-francais-traine-devant-la-justice.html
[3] http://www.notreaffaireatous.org/justice-climatique-un-mouvement-mondial/
[4] http://tempsreel.nouvelobs.com/planete/cop21/20151204.OBS0735/rechauffement-climatique-l-etat-francais-traine-devant-la-justice.html
[5] http://www.village-justice.com/articles/Lutte-contre-changement-climatique,20982.html
[6] http://www.latribune.fr/economie/international/le-plan-climat-d-obama-retoque-par-la-cour-supreme-des-etats-unis-550078.html
[7] http://www.sciencesetavenir.fr/nature-environnement/climat/20160210.OBS4346/la-cour-supreme-americaine-suspend-le-plan-d-obama-pour-une-energie-propre.html