Les directives anticipées, créées par la loi du 22 avril 2005, posent de nombreuses interrogations quant à leur valeur ainsi qu’à l’importance qu’elles pourront prendre dans la relation médecin – patient, dans les cas où celui-ci se retrouverait dans un état d’inconscience ne lui permettant pas d’exprimer une volonté expresse quant à l’acceptation, ou la renonciation, des soins qui devraient lui être prodigués.
« Le médecin attend de son patient qu’il lui obéisse tel un serf à son seigneur », tel était décrit le colloque singulier entre le soignant et le soigné, d’après Guy De Chauliac au XIVème siècle. Aujourd’hui, sous l’impulsion d’un courant favorable aux patients, cette relation a évolué pour devenir quasi-égalitaire, le patient n’étant plus seulement un souffrant, mais bel et bien un agent, un acteur, de la relation de soin. La loi du 22 avril 2005 n°2005-370, dite « Léonetti », s’inscrit dans ce courant évolutif de la relation de soin en créant les directives anticipées, moyen d’expression différé du consentement à l’apparition d’un évènement médicalement redouté. Mais il convient de noter que le législateur a pris soin de qualifier ces directives, non pas de consentement, mais de souhait, comme l’énonce l’article L.1111-11 du Code de santé publique, en disposant que « ces directives anticipées indiquent les souhaits de la personne relatifs à sa fin de vie ».
Dans un souci de meilleure protection du patient, ce dernier doit désormais être impérativement consulté par l’équipe médicale le prenant en charge avant tout acte. Cependant, dans de nombreux cas, notamment dans le cadre des services d’urgence, les patients se trouvent dans un état d’inconscience et ne peuvent, de fait, exprimer leur volonté. Le législateur a donc souhaité pallier cette difficulté, en donnant la possibilité au patient d’exprimer sa volonté, a priori, par le biais des directives anticipées, qui ne concernent que les cas dans lesquels le patient se retrouverait en état d’inconscience, en phase terminale d’une affection grave et incurable.
Une directive anticipée peut ainsi se définir, selon Laurence Cimar, comme « les instructions que donnent par avance des personnes en bonne santé ou se sentant atteintes par l’âge ou par une maladie incurable, sur la conduite à observer au cas où elles seraient dans l’incapacité d’exprimer leur volonté ».
Ce nouveau droit, accordé au patient, soulève de multiples interrogations, tant au regard de la validité du consentement exprimé de manière différée, que de la place accordée au patient dans la relation de soin.
Ces directives prennent comme fondement les droits reconnus au patient dans la relation de soins pour créer de manière artificielle un consentement anticipé soulevant également la question du comportement du médecin face à ces directives.
I – Une rédaction encadrée des directives anticipées
A – Des conditions quant à la forme
L’article L.1111-11 du Code de la santé publique, issu de la loi du 22 avril 2005, dite « Léonetti », expose le cadre légal des directives anticipées. Ce dispositif législatif est complété par le décret n°2006-119 du 6 février 2006 qui insère, dans le Code de la santé publique, l’article R.1111-17, qui vient conditionner les conditions de forme des directives anticipées.
Il convient ainsi de noter que ces directives anticipées doivent prendre la forme d’un document écrit, signé et daté par la personne concernée, mentionnant ses volontés quant à une éventuelle limitation ou un arrêt de traitement dans le cas où elle se retrouverait hors d’état d’exprimer sa volonté. Toutefois, si cette personne était dans l’incapacité physique de rédiger ce document, elle pourrait faire appel à deux témoins, sans qu’il soit mentionné expressément d’exigence quant à leur qualité (proches, famille, amis, etc…), qui devront attester que le document rédigé de leur main est bien l’expression éclairée du consentement de la personne concernée par ces directives.
Ainsi, au delà des conditions de forme posées par l’article R.1111-17 du Code de la santé publique, le législateur a expressément énoncé des restrictions quant à la qualité des personnes pouvant valablement rédiger ces directives anticipées.
B – Des restrictions quant à aux personnes concernées
Aux termes de l’article L.1111-11 du Code de la santé publique, les directives anticipées sont susceptibles de concerner « toute personne majeure » en état d’exprimer valablement son consentement lors de la rédaction de ces directives.
Ainsi, il convient de noter qu’en imposant expressément que la personne concernée doit être en état d’exprimer un consentement juridiquement valable au moment de la rédaction des directives, le législateur a souhaité exclure certaines catégories de personnes de la possibilité de rédiger celles-ci. Catégories que sont les mineurs, ainsi que les majeurs protégés, personnes qui ne peuvent donc, aux termes de la loi, rédiger de tels documents.
Le législateur a ainsi exclu, de fait, la possibilité, pour un représentant légal, pour les majeurs protégés, ou un détenteur de l’autorité parentale, pour les mineurs, de rédiger une directive au nom de la personne protégée. La définition des directives anticipées, exposée à l’article L.1111-11 du Code de la santé publique, pouvant se regarder comme une définition d’interprétation stricte, ne semble pas susceptible d’extrapolation quant aux personnes concernées par leur rédaction.
II – Les fondements des directives anticipées
A – Le consentement comme principe fondateur des directives anticipées
Comme il a pu être fait état dans l’introduction, le colloque singulier liant le soignant au soigné s’est rééquilibré au profit du patient depuis le milieu du XXème siècle, notamment sous l’impulsion jurisprudentielle. L’arrêt de la Cour de Cassation du 20 mai 1936, dit « Mercier », est à cet effet notable puisqu’il énonce que la relation de soin résulte d’une convention entre le praticien et son patient, indiquant, de fait, que, dans cette relation, le patient doit exprimer son consentement quant aux traitements qui lui seront prodigués.
Ainsi les rapports de force, qui étaient auparavant à l’avantage du praticien, se sont rééquilibrés, permettant ainsi au patient de devenir un agent de la relation de soin et non plus un acteur passif de celle-ci. Cette nouvelle responsabilisation du patient fait de son consentement le fondement de la relation de soins, cherchant à s’imposer à tous les niveaux, y compris sous des nouvelles formes d’expressions, qualifiées d’a priori, que sont les directives anticipées. Cette prise en compte accrue du consentement responsabilisant le patient induit, de fait, de nouvelles obligations à la charge du praticien, notamment celle énoncée à l’article L.1111-4 du Code de la santé publique qui impose au médecin l’obligation de recueillir le consentement du patient préalablement à tout acte médical.
Ainsi quelle valeur attribuer aux directives anticipées, dans ce contexte particulier qu’est l’état d’inconscience du patient ?
B – Une valeur juridique ambiguë
Les directives anticipées ont été strictement encadrées par le législateur à l’article R.1111-17 du Code de la santé publique qui énonce expressément que l’acte comporte une « volonté », à son deuxième alinéa, permettant ainsi d’en déduire que le législateur a souhaité rapprocher ces directives de la notion de consentement libre et éclairé, tirée de l’article 1109 du Code Civil, comme pour tout autre acte juridique, même s’il semblerait toutefois que de vifs débats doctrinaux ont pu naître quant au rapprochement entre consentement au contrat et consentement à l’acte médical. De plus, et dans ce sens, le législateur a imposé un contrôle de la validité de l’acte. En effet, selon l’article R.1111-18 du Code de la santé publique, l’acte n’est valable que pour une durée de 3 ans, le terme de « validité » faisant référence inéluctablement aux actes juridiques. Le législateur semble ainsi avoir voulu donner une protection juridique aux directives anticipées.
Toutefois, l’article L.1111-11 du Code de la santé publique fait expressément mention du terme de « souhaits », ce qui, par essence, éloigne ces directives de toute qualification juridique, un acte juridique étant par définition et sous peine d’invalidité l’expression d’une volonté, notion beaucoup plus ferme. L’arrêt de la Cour d’Appel de Nantes du 30 juin 2010 rappelle dans son attendu de principe que ces directives anticipées ne sont que l’expression d’un souhait et non d’une volonté, marquant ainsi la distinction entre ces deux notions. Finalement, les directives anticipées sont réduites par le législateur lui-même à un simple élément de fait, ne leur conférant ainsi aucune valeur juridique, malgré une certaine ambiguïté due à leurs conditions de validité, ainsi qu’aux différents termes utilisés dans les dispositions qui leur sont relatives. Elles ne sont donc pas contraignantes et ne peuvent alors garantir le principe d’autonomie.
III – Les directives anticipées : l’expression d’un simple avis ?
A – Le consentement du patient préservé par les directives anticipées
Le souhait du patient, assimilé à un consentement, tel qu’évoqué dans l’article 1109 du Code Civil, qui est contenu dans les directives anticipées, doit être libre, éclairé et non-équivoque au moment de sa rédaction. Le critère de consentement libre ne pose, en pratique, pas réellement de problème, l’hypothèse d’une rédaction de telles directives sous la contrainte semblant difficilement réalisable. De plus, l’article L.1111-11 du Code de la santé publique disposant qu’« elles sont révocables à tout moment », le caractère libre du consentement ne semble pas souffrir de contestation.
Le critère non-équivoque s’appréciera, quant à lui, au moment de la lecture de l’acte.
Concernant le critère du consentement éclairé, il sous-entendrait que le patient ait pris connaissance de toute évolution possible de son état, ainsi que de tous les traitements pouvant permettre son rétablissement, dans le cas où il se retrouverait en état d’inconscience. Ceci sous-entend que le patient ait reçu une information suffisante, remplissant les conditions de l’article L.1111-10 du Code de la santé publique, lui permettant de donner un consentement éclairé à un acte médical hypothétique sur sa personne. Toutefois, ce critère, au regard des difficultés liées à l’information du patient au moment de l’apparition de sa pathologie, semble être à l’origine d’une remise en cause de la validité de ces directives.
B – Le consentement prisonnier de l’état d’inconscience du patient
Par nature, le souhait du patient, contenu dans les directives anticipées, concerne un événement futur et imprévisible. Ce « consentement » ne peut donc pas être considéré comme réellement éclairé. Quand bien même ces directives auraient été rédigées avec l’assistance d’un médecin, conférant au consentement le caractère d’éclairé, celui-ci n’aurait de valeur qu’au moment de la rédaction et non au moment de l’intervention médicale, puisque le patient, en état d’inconscience, se retrouverait dans l’incapacité de s’exprimer, et, de facto, dans l’incapacité éventuelle de révoquer ses directives.
Par principe, tout patient se retrouvant en institution hospitalière, pour une raison le mettant en péril, est présumé vouloir tous les soins nécessaires à sa survie. Les directives anticipées viennent renverser cette présomption. En effet, elles ont pour but premier, d’exprimer la volonté du patient de voir arrêter ou limiter les soins qui devraient lui être prodigués. Quid de la volonté du patient à cet instant de vouloir renoncer à ces directives alors qu’il se trouve dans un état ne lui permettant pas d’exprimer cette renonciation.
Le danger de ce consentement a priori se situe dans le fait qu’entre la rédaction des directives et la survenance de l’événement redouté, les soins qui lui sont proposés peuvent évoluer, permettant un traitement moins lourd et/ou une meilleure chance de guérison. Ainsi, au moment de la survenance de son état d’inconscience, le patient ne saurait être en état de recevoir une information claire et loyale de la part de son médecin, il peut ainsi y avoir un écart entre le refus de soin exprimé et la réalité des soins proposés, caractérisant la notion d’erreur, comme énoncé à l’article 1109 du Code Civil.
Pour tout acte juridique, les vices du consentement permettent l’annulation du contrat, or en l’espèce et pour cette situation particulière l’annulation est de fait impossible. Ces questions soulevées par la validité de ce « consentement » formulé a priori n’ont-elles pas trouvé leur réponse dans la valeur qu’a souhaité donner le législateur à ces directives anticipées ?
IV – Le médecin et les directives
A – Une obligation de consultation
Selon les articles L.1111-11 et R.1111-20 du Code de la santé publique, tout médecin prenant en charge une personne en état d’inconscience doit chercher l’existence d’éventuelles directives anticipées et, le cas échéant, est tenu de les consulter. La lettre de l’article L.1111-11 du Code de la santé publique énonce à cet effet dans son alinéa 2 que : « le médecin en tient compte pour toute décision d’investigation, d’intervention ou de traitement » concernant le patient, permettant, de fait, d’affirmer que le législateur n’a aucunement voulu donner de valeur contraignante à ces directives anticipées, ne leur offrant qu’une simple valeur consultative.
Le danger quant à la valeur d’un consentement anticipé a ainsi pu inciter le législateur à restreindre la valeur de telles directives. Toutefois, cette restriction peut être nuancée puisque l’article L.1111-11 prévoit que le médecin doit consulter les directives pour « toute décision d’investigation, d’intervention ou de traitement », ce qui laisse un champ d’application relativement large aux directives anticipées.
Contrairement à la France, plusieurs pays ont fait le choix contraire de donner à ces directives anticipées valeur contraignante pour les médecins. C’est notamment le cas aux Etats-Unis ainsi qu’en Angleterre, où la question avait été soulevée devant les tribunaux. Dans ces deux pays, les juges avaient répondu que « tout traitement pouvait être interrompu, y compris l’alimentation et l’hydratation par sonde pour des malades dans le coma qui avaient exprimé auparavant qu’ils ne voulaient pas être maintenus en vie dans cet état ».
Ainsi, malgré le flou juridique quant à la valeur de ces directives, en France, serait t-il envisageable d’engager une quelconque responsabilité du médecin vis-à-vis des obligations qui lui incombent ?
B – La responsabilité du médecin
Au regard des obligations entourant les directives anticipées, cette responsabilité pourrait revêtir deux formes. Une première responsabilité relative à l’obligation de consultation par le médecin de celles-ci, et une seconde relative à leur aspect non contraignant.
Concernant l’obligation de consultation, l’article R.1111-20 du Code de la santé publique dispose que : « Lorsqu’il envisage de prendre une décision de limitation ou d’arrêt de traitement en application des articles L.1111-4 ou L.1111-13, et à moins que les directives anticipées ne figurent déjà dans le dossier en sa possession, le médecin s’enquiert de l’existence éventuelle de celles-ci auprès de la personne de confiance, si elle est désignée, de la famille ou, à défaut, des proches ou, le cas échéant, auprès du médecin traitant de la personne malade ou du médecin qui la lui a adressée. »
Ainsi s’il était possible d’extrapoler cet article, il conviendrait de reconnaître, à la charge du médecin, une obligation de moyens quant à la recherche de l’existence de tels documents. Cette obligation de moyens est entendue comme l’obligation dans laquelle le médecin s’engage à faire son possible, en mettant en œuvre toutes les diligences pour accomplir sa tâche. Le médecin ne s’engageant qu’à employer tous les moyens possibles, sans s’engager à atteindre le résultat visé.
Ainsi, pour engager la responsabilité du médecin, et conformément au régime de responsabilité de droit commun vis-à-vis de l’obligation de moyen, il conviendrait d’apporter la preuve que l’inexécution est due à la faute contractuelle du médecin, l’appréciation de cette faute se faisant in abstracto, au regard des diligences qu’aurait adoptées un bonus pater familias.
Concernant le caractère seulement informatif des directives anticipées, le médecin qui outrepasserait celles-ci n’adopterait aucunement le comportement d’un abus de droit. En revanche, le patient pourrait supporter un préjudice du fait de la non-conformité de la décision du médecin à sa volonté. L’exemple le plus probant serait celui dans lequel le médecin pratiquerait une opération ayant pour but de sauver le patient malgré lui, opération qui mettrait le patient dans un état de santé très limité, état qu’il voulait manifestement éviter.
Juridiquement, le médecin n’aurait commis aucune faute lors de sa prise de décision puisque ayant consulté les directives anticipées de la personne malade pour arrêter sa décision conformément à la loi. Faudrait-il alors accorder une responsabilité sans faute au profit du patient ?
Conséquence directe de la force relative des directives anticipées, la reconnaissance d’une responsabilité sans faute semble abusive vis-à-vis du médecin. Celui-ci n’a en effet comme seule obligation légale que celle de devoir consulter ces directives si elles existent, ces dernières ne lui étant en rien opposables.
Pour en savoir plus
Articles L.1111-11 et R.1111-17 et suivants du Code de la santé publique.
Cass. Civ. 20 mai 1936.
CA Nantes 30 juin 2010.
Circulaire ministérielle du 20 octobre 2011 relative à la mise en œuvre de la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie et de traitement judiciaire des affaires dites de « fin de vie ».
« La situation juridique du patient inconscient en fin de vie » par Laurence Cimar in RDSS n°03 du 15 mai 2006 p.470.
« Droits des malades – Fin de vie » par Anne-Marie Leroyer in RTD Civ. 2005 p.645.
« Information et consentement » par Gildine Croize in Les grandes décisions du droit médical 2009 p.127.
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Thomas Chastagner
Master I Droit et gestion de la santé, Université Montpellier 1
Et
Robin Mor
Master I Droit et gestion de la santé, Université Montpellier 1