Les progrès de la médecine ont largement complexifié le constat de la mort d’un individu. Si l’arrêt cardiaque et l’absence d’activité motrice spontanée caractérisent une mort clinique, les fonctions cérébrales peuvent persister grâce aux techniques modernes. Le code de la santé publique tient compte de ces évolutions et exige trois conditions simultanées pour constater un décès : l’absence d’activité motrice, l’abolition des réflexes du tronc cérébral et l’absence de ventilation spontanée. Le décès ne peut donc plus être constaté juridiquement par le seul état de mort clinique. Réciproquement, une personne maintenue cliniquement en vie, par respiration ou battements de cœur forcés, peut être décédée comme le souligne le professeur Étienne Verges (1). Il convient alors de se demander si la mort médicale correspond à la mort juridique. Ceci invite à s’interroger sur la difficile notion de décès aux sens juridique et médical (I). Des problématiques sociétales découlent de cette difficulté, notamment s’agissant du cadre juridique de la fin de vie (II). Ces problématiques engendrent une volonté de faire évoluer l’ordonnancement actuel (III).
I) La notion de décès aux sens juridique et médical
Autrefois, la sanction de mort civile entraînait la considération de certains individus bien vivants comme juridiquement décédés. Elle était prononcée, en droit interne, en cas de condamnation aux travaux forcés à perpétuité ou de déportation ou à la suite d’une condamnation à mort en attente. La loi du 31 mai 1854 abolit cette sanction de mort civile (2).
Dès lors, en principe, la mort légale coïncide désormais avec le décès médical. Il existe des exceptions. Ainsi, lorsqu’une personne ne donne aucun signe d’existence suite à un événement laissant penser qu’elle n’y a pas survécu, alors elle est présumée décédée. C’est le cas de la disparition prévue par le code civil (3). Cependant, ces exceptions sont relatives car la réapparition de la personne mettrait fin à ce statut. Son droit à la vie n’est alors pas remis en cause. Ces situations présentent, in fine, peu de difficultés car le droit n’a alors pas à trancher face à une situation d’incertitude médicale.
Dans une telle situation, qui se définit par l’incapacité d’établir l’avenir par les données présentes, le médecin est en présence d’une personne inconsciente qui ne présente cependant pas les trois critères juridiques de la mort. Cette personne est donc bien vivante au regard du droit, ce qui entraîne un questionnement sur la notion-même de décès. En effet, là où le juriste doit trancher entre la vie et la mort, le médecin est parfois plus nuancé. Si le droit doit définir ce qui doit être fait, les positions de la médecine, comme celles des autres sciences sociales, sont nécessairement plus nuancées. Cette difficulté peut s’expliquer par la vision médicale de la mort telle qu’elle est définie par la psychiatre Elisabeth Kübler-Ross : « le processus de mourir »(4). Le processus se définit ici par opposition à l’acte de mort vu comme instantané. Cependant, le juriste ne saurait se satisfaire de cette définition.
En effet, le décès doit être vu comme un événement instantané afin de poser avec précision l’ouverture de la succession du défunt ou le droit de prélever ses organes, par exemple. Ce souci de précision est visible dans la circulaire Jeannenay du 24 avril 1968. En effet, cette dernière vient compléter la définition juridique de la mort en reprenant mot à mot un discours de deux médecins, Mollaret et Goulon, visant à lever ces incertitudes en 1959. Des contraintes supplémentaires sont alors imposées aux médecins en plus des trois critères définissant juridiquement la mort.
C’est aujourd’hui l’article R1232-2 du Code de la santé publique qui vient préciser les éléments donnés par ces médecins, qui ont alors valeur réglementaire. Il s’agit notamment d’apporter deux encéphalogrammes plats, espacés d’une durée de quatre heures et durant chacun 30 minutes afin d’établir l’absence de stimulation électrique au niveau du cerveau. L’autre technique possible est l’angiographie, visant à établir l’absence de circulation sanguine au niveau du cerveau. Tous ces éléments révèlent à la fois des difficultés à établir l’heure exacte du décès du patient, ce qui est problématique au regard de l’état civil, mais aussi des difficultés à visualiser la frontière entre la vie et la mort.
En effet, il est possible de poursuivre les soins sur les organes d’une personne décédée, afin de les préparer à un éventuel prélèvement, mais aussi de ne pas les poursuivre sur une personne juridiquement vivante. Quid d’une personne dont les chances de survie sont limitées ? Si la vie n’est alors qu’artificielle, existe-t-il un droit à la mort ? C’est pour cette raison qu’un cadre juridique relatif à la fin de vie, frontière entre la vie et la mort, a dû être défini.
II) Le cadre juridique de la fin de vie
Ce cadre a été mis en place au début des années 2000 à la suite d’une affaire très médiatisée. Il s’agit du cas de Vincent Humbert, jeune homme devenu tétraplégique et sans espoir de guérison après un accident de la route. N’étant pas sourd, il réussit, après deux ans de coma, à communiquer son intention de mourir par une lettre adressée à Jacques Chirac, alors Président de la République. Ce dernier se dit incapable d’accepter la demande. La mère et le médecin de Vincent Humbert finissent par mettre fin aux jours du patient, ce qui leur vaut d’être placés en garde à vue. Une ordonnance de non-lieu est finalement prononcée par le juge d’instruction Anne Morvant, le 27 février 2006, soit deux ans après le décès de Vincent Humbert. Cette décision s’explique par un changement de paradigme vis-à-vis de la fin de vie, la société acceptant mal qu’un malade ne pouvant plus espérer mener une vie digne de ce nom ne puisse mourir s’il le souhaite.
Cette évolution a été marquée par la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, la loi Leonetti (5). L’émotion liée à l’affaire Vincent Humbert se ressent dans la philosophie de cette loi, qui vient sanctionner l’ « obstination déraisonnable » dans la poursuite des soins. Il est notable que l’euthanasie n’est pas mentionnée, dans la mesure où seul l’acharnement thérapeutique est prohibé, autorisant ainsi le médecin à ne pas poursuivre un traitement qui n’aurait pour effet que de prolonger artificiellement la vie. Cependant, en aucun cas cela ne lui permet d’achever un patient, mais le débat est loin d’être clos puisque la frontière entre les notions de non-acharnement thérapeutique et d’euthanasie demeure floue.
L’affaire Vincent Lambert (distincte de l’affaire Vincent Humbert précédemment évoquée) remet les discussions quant à la fin de vie sur le devant de la scène. Dans cette affaire, un homme sombre dans un état de conscience minimale après un accident de la circulation. Le CHU de Reims, où il est hospitalisé, engage un processus de « fin de vie » suivant la loi Leonetti avec l’accord de l’épouse mais pas celui des parents. Ces derniers engagèrent alors une action devant le juge administratif. Le Conseil d’État, après la consultation de plusieurs spécialistes, statue le 24 juin 2014 (6) en faveur de l’arrêt des soins et ce, en tenant compte à la fois des expertises médicales et de la volonté présumée du patient. À la suite de cette décision, les parents de Vincent Lambert saisissent la Cour européenne des droits de l’homme. Cette dernière se prononce le 5 juin 2015 (7) et valide l’arrêt des traitements. Bien que le droit à la vie soit protégé par l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme, le cadre législatif fixé par la loi Leonetti a été considéré comme suffisant. Après cette décision, le CHU de Reims a estimé que les conditions de sécurité et de sérénité nécessaires à la mise en place d’une procédure de fin de vie n’étaient pas réunies. Le sort de Vincent Lambert n’est donc pas encore fixé à l’heure actuelle.
Tous ces débats montrent une grande complexité sur la question de la valeur de la vie humaine. S’il existe bien un droit à la vie, certaines vies peuvent ne plus valoir le coup d’être vécues, et un droit à la mort se met alors progressivement en place, bien que les conditions juridiques du décès ne soient pas remplies. Le médecin aurait pu s’arrêter à son devoir fixé par le serment d’Hippocrate et défendre la vie de manière systématique, tout comme le juriste aurait pu se désintéresser de la question, finalement plus philosophique que juridique ou médicale. Lorsqu’il a été interrogé, Jean Leonetti a affirmé sa volonté de ne pas ouvrir un droit à la mort et s’inquiète de l’opinion publique actuelle (8), favorable à la légalisation du suicide assisté. Selon l’ancien député, la société se doit de protéger les plus vulnérables et non de les achever, ce qui ne doit pas être oublié. L’avocat Nicolas Guerrero distingue le « faire mourir » du « laisser mourir ». La loi française prohibe l’euthanasie active, donc le « faire mourir », alors qu’elle autorise le « laisser mourir ». Constatant les souffrances de certains patients même sans acharnement thérapeutique, il affirme qu’une bonne partie de l’opinion est favorable à l’ouverture du « faire mourir » (9).
Ces questions complexes de sociologie juridique soulignent les insuffisances de l’ordonnancement actuel, dont découlent des tentatives d’évolution.
III) Une volonté d’évolution du cadre juridique
Les lacunes de la loi Leonetti ont été soulignées dans le rapport du 21 octobre 2014 (10) du Comité consultatif national d’éthique (CCNE). Ce dernier avait préalablement mené un débat public depuis le mois de juillet 2012, à la demande du président de la République François Hollande. Selon ce rapport, enrichi par l’audition d’un public large comprenant des citoyens, des experts ainsi que des proches des malades, le droit positif ne permet pas un accompagnement suffisant des personnes en fin de vie. En effet, les soins palliatifs sont jugés insuffisants et la volonté des malades est négligée par le corps médical.
Les faiblesses du système instauré par la loi Leonetti sont alors flagrantes. Les directives anticipées émises par les malades dans le cadre de leur accompagnement thérapeutique n’ont pas de caractère contraignant pour les médecins qui, souvent, sont peu favorables à l’idée de mettre fin à l’acharnement thérapeutique.
Si ces problématiques sont essentielles, la faiblesse de la loi sera difficilement surmontable. Les directives émises par les patients sauraient difficilement avoir valeur contraignante, dans la mesure où ces derniers ne peuvent prévoir à l’avance la situation exacte qui est la leur. Les médecins tiennent alors nécessairement à éviter d’entrer dans le domaine de l’euthanasie active qui est prohibée. Or, une méconnaissance du cadre juridique empêche de déterminer au mieux cette frontière floue.
Mais c’est bien cette solution consistant à donner un caractère juridique aux directives anticipées qui est retenue par le CCNE. Cette dernière solution pourrait rentrer prochainement dans le droit positif puisque les députés Leonetti et Claeys ont soumis en 2015 une proposition de loi visant à instaurer de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie (11). Cette proposition a été étudiée par le Sénat en deuxième lecture, du 6 au 29 octobre 2015. Elle a été rejetée dans un premier temps au mois de juin, bien que la haute assemblée soit globalement favorable au texte. La difficulté vient essentiellement des contraintes imposées par la proposition de loi, jugées trop lourdes. Par exemple, selon les sénateurs, les directives anticipées ne devraient pas limiter le droit de prescription du médecin. De même, le renforcement des décisions prises collégialement par les médecins dans le processus de fin de vie est vu avec méfiance. Le texte qui a été soumis au Sénat ne semble pas prendre en compte ces critiques, puisque l’article 8 relatif au caractère contraignant des directives anticipées n’a pas été modifié.
La haute assemblée a discuté de ce texte en séance publique le 29 octobre. Une version modifiée de la proposition de loi a été adoptée pour cette deuxième lecture. La commission chargée de l’étude du texte a notamment modifié l’article 8, afin de permettre d’écarter les directives anticipées lorsque celles-ci sont trop anciennes ou non conformes aux témoignages. Les sénateurs ont ainsi estimé que ces directives anticipées ne reflètent pas parfaitement la volonté des malades. On peut se féliciter de cette décision, dans la mesure où il est dangereux de donner trop d’importance à une volonté exprimée antérieurement, par une personne qui n’a pas pu prévoir sa situation future. De plus, les procédures collégiales visant à examiner la validité de ces directives anticipées sont critiquées par la chambre haute. En effet, ces procédures ne sont pas clairement décrites dans le texte validé par l’Assemblée nationale. S’agit-il de décisions contraignantes ou de simples avis ? Les modalités d’application seraient laissées au pouvoir réglementaire, ce qui est critiquable au regard de l’importance des questions. Ces questions, comme l’ensemble des débats relatifs au texte, devront être tranchées par une commission mixte paritaire composée de sept députés et sept sénateurs.
Tout ceci illustre les difficultés à mieux prendre en compte la volonté des personnes en fin de vie, alors même que ces dernières ne peuvent l’exprimer. Bien qu’il soit possible de renforcer le rôle des directives anticipées pour mieux favoriser un accompagnement personnalisé de la fin de vie, il semble nécessaire de ne pas négliger le rôle du médecin pour interpréter et éventuellement adapter ces directives à la situation du patient.
La notion juridique de mort semble donc intrinsèquement liée aux notions tant médicales que philosophiques autour de ce thème. Autrefois, la mort était une sanction et le juriste incarnait ainsi ce pouvoir absolu qu’avait la société sur la vie et la mort de ses membres. Puis, avec l’abolition de la peine de mort, c’est à une vision plus objective et médicale de la fin de vie que le droit s’est attachée. À l’époque contemporaine, favorable à l’ouverture de droits subjectifs de plus en plus nombreux, le droit s’intéresse à la valeur de la vie et peut, dans certaines conditions, permettre à une personne souffrante de mourir avec l’accord tacite de la société. L’affaire Vincent Lambert montre une évolution de l’opinion et incite à l’élargissement d’un droit à la mort naissant. La proposition de loi de loi Leonetti et Claeys illustre cette tentative d’ouverture.
Antoine Jarlot
(1) Etienne Verges La notion de personne en droit
(2) Loi du 31 mai 1854 portant abolition de la mort civile
(3) Code civil article 88
(4) Kübler-Ross On death and dying
(5) Loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie
(6) CE 24 juin 2014 Mme F…I… et autres
(7) CEDH Lambert et autres contre France n° 46043/14
(8) http://www.la-croix.com/Ethique/Bioethique/Fin-de-vie-l-ouverture-d-un-droit-a-la-mort-pour-Jean-Leonetti-2013-12-16-1076781
(9) http://www.lerotarien.org/les-dossiers-du-mois/fiche/article/existe-t-il-un-droit-a-la-mort.html
(10) Rapport du CCNE sur le débat public concernant la fin de vie (21 octobre 2014)
(11) Proposition de loi Leonetti et Claeys déposée le 21 janvier 2015 en 1e lecture à l’Assemblée nationale