Si l’avancée des droits de l’Homme est un sujet qui suscite un intérêt particulier en matière juridique, le débat autour de la question du droit de vote des étrangers reste encore frileux. Sa constitutionnalisation, quand bien même elle aurait une portée limitée, permettrait toutefois d’apporter une pierre à cet édifice en construction.
Dans un contexte politique tendu, la question de la constitutionnalisation du droit de vote des étrangers est remise au goût du jour et soulève toujours autant la polémique.
Inscrite dans le programme électoral du président actuel François Hollande, elle est aujourd’hui reportée, si ce n’est complètement écartée des débats qui sont mis sur la table. En effet, le droit de vote des étrangers n’est pas présent de manière explicite dans la loi. Les défenseurs des droits de l’Homme le regrettent, la participation des personnes étrangères sur le sol français à la vie sociale, politique et économique ne pouvant être ignorée. La modification de la Constitution à ce sujet permettrait alors son inscription dans la législation française, soit par un vote du Parlement réuni en Congrès, à la majorité qualifiée des 3/5e, soit par une consultation par référendum, sans passer par le vote du Congrès.
Mais quel impact juridique la constitutionnalisation du droit de vote des étrangers aurait sur la promotion des droits de l’Homme ? L’entrée dans la Constitution du droit de vote des étrangers favoriserait l’avancement des droits de l’Homme en ayant toutefois un impact limité.
Un pas favorable vers la promotion des droits de l’Homme
« L’égalité devant l’urne électorale est pour nous la condition première de la démocratie (…) la base la plus indiscutable du droit »[1]. La citoyenneté fonde le socle de base du système démocratique français et même si, au fil du temps, le concept de la citoyenneté est venu englober de plus en plus d’individus, l’étranger en a toujours été exclu. L’assimilation du « citoyen » au « national » en est l’explication première.
En effet, le droit de vote est un droit politique non reconnu aux étrangers sur le sol français. Une exception s’est profilée à la suite du Traité de Maastricht, adopté et ratifié en 1992 par la France. Un nouvel article 88-3 de la Constitution est alors ajouté et permet aux citoyens étrangers membres d’un État de l’Union européenne résidant sur le sol français de voter et d’être élus aux élections locales. Les étrangers concernés – puisque cet ajout n’était pas global mais limité aux citoyens des États membres de l’Union européenne – ont de ce fait pu participer pour la première fois au scrutin en 1999 pour les élections européennes et en 2001 pour les élections municipales.
C’est à l’occasion de la réforme constitutionnelle que la question du droit de vote des étrangers a refait surface. Benoît Hamon, député à l’Assemblée Nationale après avoir été Ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche au sein du gouvernement Valls I, a intégré la commission des Affaires étrangères en septembre 2014. Il dépose le mercredi 3 février 2016 un amendement sur le droit de vote des étrangers pour en discuter en assemblée le vendredi suivant. Par conséquent, il s’agissait de la modification de l’article 3 de la Constitution en y insérant la phrase suivante : « Peuvent également être électeurs aux scrutins locaux, (…) les étrangers majeurs des deux sexes, (…) non ressortissants de l’Union européenne et résidant régulièrement en France ».
Ce changement fait peur et pour cause, il contrevient à de nombreuses traditions constitutionnelles françaises menaçant les équilibres électoraux nationaux en place.
Il aurait pourtant de nombreuses conséquences en faveur de la promotion des droits de l’Homme concernant les étrangers vivant sur le sol français. L’auteure Yasemin Soysal, également professeure à l’Université d’Essex (Royaume-Uni), voit ce changement comme un glissement de la notion de nationalité vers celle de résidence et de droit de la personne comme source de légitimité de l’appartenance à la communauté politique. La dissociation du critère de nationalité et de la conception de la citoyenneté permettrait ainsi à chaque personne résidant sur le sol français de participer à la vie politique en votant ou en étant élue aux élections locales, au béné ce notamment des résidents étrangers. Se mettrait en place une sorte de « dénationalisation » des droits de citoyenneté, soit par l’octroi de droits nationaux à des non-nationaux, soit par la formation de droits extra-territoriaux. Car la question profonde est finalement l’intégration des personnes d’origines étrangères dans la société dans laquelle elles vivent.
En admettant le droit de vote des étrangers citoyens d’un État membre de l’Union européenne, la France institue une distinction entre les individus-mêmes qui n’ont pas la nationalité française. Par ailleurs, la citoyenneté ne se résumant pas au seul droit de vote mais faisant référence plus largement aux droits civils et sociaux, il apparaît que les étrangers non ressortissants de pays membres de l’Union européenne en jouissent d’ores et déjà en quelque sorte. Par exemple, toute personne présente en France se voit reconnaître des libertés fondamentales, comme la liberté d’expression ou d’association. Ainsi, l’octroi du droit de vote à une nouvelle catégorie spéci que de personnes ne viendrait pas fragiliser cette notion de citoyenneté dont les contours et la consistance sont voués à évoluer.
A travers l’octroi du droit de vote aux étrangers, c’est la participation civique qui serait encouragée. En effet, au niveau local, une personne d’origine étrangère, installée depuis plus de 20 ans se voit dénier sa participation active à la vie de la commune dans laquelle elle réside, qui la concerne directement, et cela met à mal toute initiative de réelle intégration. Obtenant les faveurs du Défenseur des droits, Monsieur Jacques Toubon, cette évolution tendrait ainsi vers la promotion des droits de l’Homme, élargissant un peu plus les perspectives juridiques dont peuvent se prévaloir les individus résidant sur le sol français, abstraction faite de leur nationalité.
Néanmoins, quand bien même la constitutionnalisation du droit de vote des étrangers aboutirait, sa portée en serait limitée par la nécessité de réciprocité.
Un impact limité par la nécessité de réciprocité
La portée du projet proposé par Monsieur Benoît Hamon est mise en doute, soulevant la question de la réciprocité entre les États. L’unité formée à travers l’Union européenne a permis une avancée en ce sens, permettant à certains étrangers de voter localement. Ainsi, la Constitution française est déjà légèrement teintée de la possibilité d’octroyer le droit de vote aux étrangers, à condition d’être ressortissants d’un pays membre de l’Union européenne, comme le proclame l’actuel article 88-3 de la Constitution : «sous réserve de réciprocité et selon les modalités prévues par le Traité sur l’Union européenne signé le 7 février 1992, le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales peut être accordé aux seuls citoyens de l’Union résidant en France.(…)».
Dans cette perspective européenne, la question de la réciprocité est placée au centre de l’analyse. Or, toute la difficulté porte sur le traitement de la réciprocité de manière plus globale. Ainsi, la France serait légitime d’exiger que le pays d’origine de l’étranger résidant sur son sol et à qui elle accorderait le droit de vote aux élections locales fasse de même avec les ressortissants français sur son propre sol. Aussi la constitutionnalisation du droit de vote des étrangers en France s’inscrit-elle dans une question bien plus large qu’un traitement au plan national ou européen et vient donc en limiter la portée.
Par ailleurs, la corrélation entre droit de vote accordé aux étrangers et verrouillage de la naturalisation en France pourrait apporter une explication à la réserve de son octroi. En effet, dans une dynamique cohérente, consentir le droit de vote aux étrangers tout en limitant l’accès à la nationalité française mettrait à mal la politique gouvernementale en place. La rigidité des règles françaises concernant la naturalisation trouverait compensation dans l’acceptation pour ces non-nationaux de participer à la vie locale en votant, tout en n’étant pas français.
Toutefois, il semblerait que cette corrélation ne soit pas vérifiée, certains pays étant réfractaires à la reconnaissance du vote local et n’étant pas plus favorables à l’accès à la nationalité ; et d’autres, au contraire, choisissant d’ouvrir largement le droit de vote local et l’accès à la nationalité par une politique libérale de la naturalisation, comme en Suède.
Lauriane Hauchard,
Doctorante en droit public
Paris Descartes
1. Pierre Rosanvallon, Le Sacre du citoyen. Histoire du suffrage universel en France, Paris, Gallimard, 1992, p.11
Pour en savoir plus
• Strudel Sylvie
“ Polyrythmie européenne : le droit de suffrage municipal des étrangers au sein de l’Union, une règle électorale entre détournements et retardements”, Revue française de science politique 1/2003 (Vol. 53), p.3-34
• Catherine Wihtol de Wenden
« Le vote des étrangers non-communautaires : un droit », Tribune du 21/12/2012 dans « tnova.fr », p.1-4