Le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires est un principe séculaire issu de la Loi des 16-24 août 1790 et du Décret du 16 fructidor an III. Comme tout principe, il connaît toutefois des exceptions. L’une d’elles a trait à la spécificité du droit de l’Union européenne et s’illustre précisément dans un arrêt récent, rendu par la Cour de cassation le 30 septembre 2013 (Cass. soc. n° 12-14. 752 « Opéra national de Paris »).
En principe (T.C. 16 juin 1923 « Septfonds » n° 00732), le juge judiciaire n’est pas compétent pour apprécier la légalité d’un acte administratif, fut-ce au regard d’un Traité (T.C. 19 janvier 1998 « Union Française de l’Express » n° 3084). Il doit donc surseoir à statuer et adresser une question préjudicielle au juge administratif.
Cependant, dans une décision du 17 octobre 2011 (« SCEA du Chéneau » n° 3828), le Tribunal des Conflits est venu apporter une exception notable à ce principe s’agissant du cas particulier du droit de l’Union européenne.
Et précisément, en consacrant à son tour la spécificité de ce droit par rapport au droit international dit « classique », la Cour de Cassation confirme en 2013 que les exigences inhérentes au droit de l’Union relativisent désormais une autonomie institutionnelle et procédurale nationale pourtant chère aux Etats membres.
En effet, dès avant la décision du Tribunal des Conflits de 2011, la Cour de cassation voyait en l’article 55 de la Constitution une habilitation implicite du juge national à l’effet de faire primer les Traités sur les lois et elle considérait en conséquence que celle-ci s’étendait donc à l’ensemble des traités internationaux, par exemple la C.E.D.H. (Cass. Ass. plén. 22 octobre 2000 n° 98-15.567).
Si cette solution trouva donc un écho enfin favorable dans la jurisprudence du Tribunal des Conflits, celui-ci la fonda cependant sur le seul article 88-1 de la Constitution, mettant ainsi l’accent sur la spécificité du droit de l’Union par rapport au droit international classique. Le choix de l’article 88-1 impose en effet de cantonner l’exception posée à la jurisprudence « Septfonds » au seul cas particulier du droit de l’Union.
« Abdiquant » précisément sur ce point et en se fondant donc exclusivement sur cet article, la Cour de cassation considère en 2013 que « le principe d’effectivité du droit communautaire, dont le respect constitue une obligation constitutionnelle » l’exonère de tout obligation de renvoi préjudiciel au juge administratif « dans le cas où serait en cause devant elle la conformité d’un acte administratif au droit de l’Union ».
L’absence de renvoi devient en effet automatique dès lors que ce droit si « spécifique » est en cause. Et, la raison en est simple : cette absence de renvoi permet en effet d’éviter les renvois préjudiciels successifs attentatoires « aux principes généraux qui gouvernent le fonctionnement des juridictions et en vertu desquels tout justiciable a droit à ce que sa demande soit jugée dans un délai raisonnable ».
Au final, la Cour de cassation avalise donc la nouvelle lecture de la jurisprudence « Septfonds », participant ainsi à sa manière et comme l’avait déjà fait le Conseil d’Etat (23 mars 2012 « Fédération Sud Santé Sociaux » n° 331805) à la redéfinition de la répartition nationale des compétences juridictionnelles dans un contexte résolument européen.
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Elda ETHEVE