Le 26 juin 2017, l’association Henri Capitant a remis au Ministère de la Justice un avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux. Ce dernier s’inscrit dans un mouvement de modernisation du droit privé français, et suit notamment la grande réforme du droit des contrats qui est intervenue le 10 février 2016. Il vise à simplifier le droit des contrats spéciaux, le rendre plus accessible et l’adapter aux évolutions intervenues dans la société et la jurisprudence depuis le XIXe siècle.
Tout comme le droit des contrats qui était demeuré presque inchangé depuis 1804, le droit des contrats spéciaux a plus de 200 ans. Trois objectifs motivent cette possible évolution :
- De nombreux arrêts sont intervenus pour préciser l’application de ce droit des contrats spéciaux. La jurisprudence importante qui s’est dégagée pour interpréter toutes les dispositions a créé une sorte de décalage entre des dispositions du Code civil datées et l’importance croissante des contrats spéciaux à notre époque (commerce électronique, contrat de crédit-bail …).
- De plus, au XIXe siècle, certains contrats spéciaux avaient un rôle mineur puisqu’ils étaient vus sous l’angle d’une relation informelle (comme le contrat de prêt ou de mandat qui étaient considérés comme des contrats faits entre amis et effectués titre gratuit). Aujourd’hui, ces opérations se sont professionnalisées, notamment par l’intermédiaire des banques et du développement du crédit. Par ce biais, ces contrats sont passés au premier plan et méritent des dispositions plus précises.
- Enfin, dans le fil conducteur de la réforme du droit des contrats intervenue l’année dernière, il est évidemment nécessaire de réformer le droit des contrats spéciaux qui en découle. C’est en poursuivant ces trois objectifs que l’association Henri Capitant a rédigé cet avant-projet de réforme
I. La modernisation d’un droit apparu désuet
Deux éléments apparaissent comme symboliques :
Concernant la vente, l’avant-projet de réforme distingue entre les règles communes à toutes les ventes et les règles propres à certaines ventes : il pose donc un régime normal et un régime spécial. Cette dichotomie a d’ailleurs été reprise pour la plupart des contrats. De plus, on relève un certain nombre d’innovations, notamment l’actualisation de la promesse synallagmatique de vente (deux personnes s’engagent, l’une à vendre, l’autre à acheter, et retardent le transfert de propriété à l’accomplissement d’une formalité) au regard de la jurisprudence ou la vente de la chose d’autrui qui n’est plus sanctionnée par la nullité mais par la résolution. Par conséquent, celui qui a vendu la chose d’autrui en laissant un délai avant le transfert de propriété pourra racheter cette chose avant le transfert de propriété. Cela permet donc une simplification de cette opération.
Concernant le bail, il est remplacé par le terme « contrat de location », qui apparaît plus moderne et adéquat au vocabulaire actuel. Dans la même idée, le projet souhaite moderniser les termes tels que les « baux à ferme » ou « le curage des puits et des fosses d’aisance » qui ne semblent plus adaptés.
II. L’apparition d’un nouveau contrat aléatoire : la tontine
L’avant-projet de réforme a souhaité consacrer un contrat aléatoire qui existait en pratique mais qui ne figurait pas dans le Code civil : la tontine. Ce contrat est ajouté aux contrats aléatoires déjà présents dans le Code civil, à savoir le jeu, le pari et la rente viagère.
Ce contrat concerne l’achat d’un bien par plusieurs acquéreurs et dans lequel il sera stipulé que le survivant sera réputé propriétaire depuis le début du contrat par le jeu d’une condition rétroactive.
Prenons un exemple : trois personnes achètent un bien et stipulent une clause selon laquelle le survivant ne sera seul propriétaire du bien que lorsque les deux autres contractants seront décédés. Tant que les contractants sont en vie, ils sont co-indivisaires, c’est-à-dire qu’ils sont chacun propriétaires d’une partie du bien. Ce n’est qu’une fois que deux des trois co-indivisaires seront décédés, que le dernier survivant deviendra propriétaire par rétroactivité.
Ce contrat assez original se voit donc doté d’un corps de règles par l’avant-projet de réforme.
III. L’insertion d’un corps de règles générales communes à plusieurs contrats spéciaux
L’innovation la plus importante de cet avant-projet de réforme semble être l’insertion d’un titre « Des droits et obligations spéciaux » venant consacrer les dispositions communes à plusieurs contrats spéciaux. Dans une optique de réduction du volume des articles relatifs aux contrats spéciaux, l’association Henri Capitant a consacré et défini certaines notions qui se retrouvaient éparpillées dans les différents chapitres du Code civil, ce qui alourdissait le volume des articles. Dans ce titre, figureront notamment le droit personnel de jouissance, commun aux contrats de location et de prêt, ainsi qu’à de nombreux contrats innomés, ou encore l’obligation de restitution, commune aux contrats de dépôt, de bail et de prêt par exemple.
Ce titre vient également fixer des définitions de notions fondamentales du droit des contrats spéciaux. Par exemple, en ce qui concerne l’obligation de délivrance, elle est définie par l’avant-projet comme « l’obligation de conserver le bien jusqu’à ce qu’il soit retiré ou livré » (article 5 de l’avant-projet de réforme).
L’avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux proposé par l’association Henri Capitant propose donc une vision moderne et simplifiée de ce droit.
Nota bene : cet avant-projet de réforme sera présenté par l’association le 17 novembre 2017 à l’Université de Grenoble Alpes.
Clément CARPENTIER
M1 Droit de l’Entreprise, Université de Lorraine
Pour en savoir plus :
Pour une présentation synthétique de cet avant-projet et ses objectifs : Recueil Dalloz 2017, p.1660, « Avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux », Association Henri Capitant.
Sur la présentation détaillée de la réforme et les articles proposés : www.henricapitant.org è onglet « travaux » è avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux.