Souvent considéré comme figé et inadapté aux évolutions sociétales, le droit commun des contrats et des obligations se devait d’être modernisé. Faisant suite à de nombreuses années d’effervescence (avant-projets de réforme du Professeur Catala en 2005 et de la Chancellerie en 2008 et 2011, projet Terré et projet d’ordonnance[1] de la Chancellerie le 25 février 2015), l’ordonnance n° 2016-131[2], rendue le 11 février 2016, porte réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.
Cette ordonnance fut rendue possible par la loi n°2015-177 du 16 février 2015[3], permettant au Gouvernement de prendre les mesures nécessaires afin de modifier le contenu du Livre III du Code civil, dans une perspective de modernisation et de simplification du droit en la matière.
Destinée à entrer en vigueur le 1er octobre 2016, cette réforme répond à trois objectifs principaux : simplicité, efficacité et protection[4]. De cette manière, le droit des contrats est rendu tout à la fois plus attractif, plus accessible et plus prévisible, tant pour les particuliers que pour les acteurs économiques, au niveau national et international[5].
Nous aborderons principalement ici l’apport de cette ordonnance en matière de négociations précontractuelles.
Un changement en profondeur de la phase précontractuelle
Incluse dans une sous-section, intitulée « les négociations », et s’étendant de l’article 1112 à 1112-2 du Code civil, ce changement s’articule autour de plusieurs éléments.
Le principe de bonne foi et la réparation du préjudice résultant de la faute commise dans les négociations
Palliant au silence du Code civil, l’ordonnance a souhaité fixer les solutions jurisprudentielles en la matière.
L’accent est mis sur la liberté « d’initiative, de déroulement et de rupture des négociations précontractuelles », sous la limite du respect du principe de bonne foi, ce dernier étant d’ordre public.
Quant à la réparation du préjudice né d’une faute commise dans les négociations, la jurisprudence « Manoukian » [6] du 26 novembre 2003 et du 28 juin 2006[7] est reprise. Ainsi, la réparation n’a pas pour nature de compenser « la perte des avantages attendus du contrat non conclu » (article 1112, alinéa 2). Sont donc exclus du préjudice réparable les avantages que permettait d’espérer la conclusion du contrat.
Cette solution répond clairement à l’exigence de liberté contractuelle, les pourparlers devant être distingués des engagements contractuels. En effet, la rupture des négociations dans la phase précontractuelle, lorsqu’elle est déloyale, est répréhensible quant à la manière de rompre les négociations mais non pas quant à la rupture elle-même. La priorité reste toujours la liberté contractuelle, qui inclue parallèlement la liberté de ne pas contracter.
Le devoir général d’information
Afin d’assurer, notamment, un équilibre contractuel, l’information est rendue nécessaire entre les parties aux négociations. Ce devoir d’information fait son entrée dans le Code civil.
Plusieurs conditions se posent :
- L’importance de l’information doit être « déterminante pour le consentement» de la partie (article 1112-1, alinéa 1).
« Ont une importance déterminante, les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties » (article 1112-1, alinéa 3).
- Ensuite, cette obligation d’information ne supprime pas le devoir de l’acheteur de s’informer. Ainsi, l’ignorance de l’information ne doit pas être le fait de la carence de l’acheteur dans son devoir de s’informer. Ce n’est que lorsque l’acheteur ne pouvait « légitimement » pas connaître cette information ou qu’il faisait « confiance à son cocontractant » que ce devoir s’applique.
- Enfin, ce devoir d’information ne peut pas porter « sur l’estimation de la valeur de la prestation » (article 1112-1, alinéa 2). Cette condition vient rappeler une jurisprudence bien connue en la matière[8], selon laquelle l’acheteur est dispensé du devoir d’informer le vendeur de la valeur de la chose.
Il est à noter que « les parties ne peuvent ni limiter, ni exclure ce devoir » (article 1112-1, alinéa 5), ce qui signifie que le devoir général d’information est d’ordre public.
La sanction encourue en cas de défaut à ces règles est « outre la responsabilité de celui qui en était tenu (…) l’annulation du contrat dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants[9] », c’est-à-dire l’annulation pour vice de consentement (et en particulier la réticence dolosive, le nouvel article 1137 énonçant dans son second alinéa que « constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie »).
L’obligation de confidentialité entre les parties
L’obligation de confidentialité est instaurée par l’article 1112-2 de l’ordonnance et vise les parties aux négociations.
Cet article énonce ainsi que « celui qui utilise ou divulgue sans autorisation une information confidentielle obtenue à l’occasion des négociations engage sa responsabilité dans les conditions du droit commun ».
D’autres innovations sont portées par la réforme du droit des obligations :
|
Ainsi, de l’ensemble des propositions apparues au fil des années est née une réforme complète du droit des contrats et des obligations, poussant à la modernisation du Code civil napoléonien.
Reste à savoir si ces apports permettront au plus grand nombre d’appréhender la matière avec plus d’aisance et de quiétude.
Laetitia Maroussie
[1] V. l’article relatif au projet d’ordonnance portant réforme du droit des obligations
[2]Ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations ; J.O. du 11 févr. 2016, n° 0035, texte n°26
[3]Loi relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures
[4]www.justice.gouv.fr/le-garde-des-sceaux-10016/reforme-du-droit-des-contrats-28738.html
[5]V. notamment pour une analyse critique des articles de l’ordonnance
[6] Ch. com. 26 nov. 2003, pourvois n° 00-10.243 et 00-10.949 ; Bull. civ. 2003, IV, n° 186, p. 206
[7] Civ. 3e, 28 juin 2006 , pourvoi n° 04-20.040 ; Bull. civ. 2006, III, n° 164, p. 136
[8] V. Cass. 3e civ. 17 janv. 2007, pourvoi n° 06-10.442 : « l’acquéreur, même professionnel, n’est pas tenu d’une obligation d’information au profit du vendeur sur la valeur du bien acquis ». Ainsi, si le propriétaire a « mal
vendu » son bien par ignorance du prix exact, il ne peut en blâmer l’acquéreur, même si celui-ci, en tant que professionnel, connaît la valeur réelle du bien.
[9]Art. 1112-1, al. 6