Contrairement au changement de sexe des transsexuels, la jurisprudence est restée relativement discrète concernant le changement de sexe des personnes intersexuées, rattachant jusqu’à présent toujours ces dernières au sexe masculin ou féminin.
A la différence d’un transsexuel qui a « le sentiment d’appartenir au sexe opposé à celui que marquent ses caractères sexuels primaires et secondaires »[1], une personne intersexuée ne s’inscrit pas dans la binarité sexe masculin ou sexe féminin car elle présente des qualités chromosomiques, hormonales et/ou anatomiques qui ne correspondent pas aux définitions médicales strictes d’une personne de sexe masculin ou féminin. Son ambiguïté sexuelle induit une absence d’appartenance totale à l’un ou l’autre des deux sexes, ce qui pose des difficultés au moment de la rédaction de son acte de naissance.
Ce dernier doit contenir le sexe de l’enfant (C. civ., art. 57), mais il n’est pas mentionné expressément que ce sexe doit être masculin ou féminin. Toutefois, selon la jurisprudence, « tout individu, même s’il présente des anomalies organiques, doit être obligatoirement rattaché à l’un des deux sexes, masculin ou féminin, lequel doit être mentionné dans l’acte de naissance » (CA de Paris, 18 janvier 1974). Par ailleurs, la circulaire du 10 janvier 2000 précise que le sexe doit être indiqué sur l’acte de naissance par la lettre F (féminin) ou M (masculin).
En présence d’une ambiguïté sexuelle, la solution s’avère identique car la circulaire du 28 octobre 2011 précise que « lorsque le sexe d’un nouveau-né est incertain, il convient d’éviter de porter l’indication de « sexe indéterminé » dans son acte de naissance, les parents doivent se renseigner auprès de leur médecin pour savoir quel est le sexe qui apparaît le plus probable compte tenu, le cas échéant, des résultats prévisibles d’un traitement médical. C’est ce sexe qui sera indiqué dans l’acte, sauf à le faire rectifier judiciairement par la suite en cas d’erreur ». Comme cela a été reconnu pour les personnes transsexuelles[2], il est donc possible pour un individu intersexué de changer de sexe à l’état civil sous certaines conditions (CA Versailles, 22 juin 2000). Toutefois, ce changement de sexe s’inscrit toujours dans le cadre de la binarité sexuelle traditionnelle avec un rôle très important dévolu aux médecins.
I- L’admission d’un « sexe neutre » à titre provisoire
Selon le §55 de la circulaire de 2011, si, dans certains cas exceptionnels, le sexe d’un enfant intersexué ne peut être déterminé avec précision à la naissance mais si celui-ci peut être déterminé définitivement dans un délai d’un ou deux ans à la suite de traitements appropriés, il est possible, à certaines conditions, de ne pas le rattacher au sexe masculin ou féminin à titre provisoire avec l’accord du Procureur de la République. Le législateur n’envisage donc pas l’hypothèse où le sexe de l’intéressé ne peut être déterminé avec précision à titre définitif.
II – La reconnaissance juridique d’un sexe neutre à titre définitif
La binarité sexuelle française semble être désormais ébranlée puisque le 20 août 2015, le tribunal de grande instance de Tours, saisi d’une demande de rectification de l’acte d’état civil sur le fondement de l’article 99 du Code civil, a ordonné la substitution de la mention « de sexe neutre » à la mention « de sexe masculin », inscrite dans l’acte de naissance d’un être intersexué. Ce dernier, qui avait été déclaré comme étant de sexe masculin à la naissance, avait vécu avec une ambiguïté sexuelle médicalement constatée et, se trouvant dans l’impossibilité de se définir sexuellement, revendiquait une identité intersexuée.
Le tribunal a commencé par rappeler qu’aucune disposition légale n’imposait une binarité sexuelle et que cette question relevait de la « sphère du droit plutôt que de celle de la médecine » de telle sorte qu’il n’a exigé aucune expertise médicale.
Ensuite, il a constaté le vide juridique décrit précédemment en cas d’impossibilité de déterminer durablement le sexe d’une personne.
Puis, ayant constaté l’impossibilité de rattacher le requérant à l’un ou l’autre des deux sexes, il a ordonné la substitution au motif que le sexe qui lui avait été imposé dès sa naissance était une « pure fiction qui lui avait été imposée pendant toute son existence sans que jamais il ait pu exprimer son sentiment profond ». Il en a déduit que cela contrevenait à l’article 8 alinéa 1er de la Convention Européenne des Droits de l’Homme concernant le droit au respect de la vie privée. Or, selon la Cour Européenne des Droits de l’Homme, la vie privée englobe l’identité sexuelle (CEDH, 10 mars 2015 Y. Y. c. Turquie).
Enfin, cette demande ne se heurte pas à des dispositions d’ordre public car la situation du requérant est suffisamment rare pour ne pas ébranler le principe de binarité des sexes. Il ne s’agit donc pas de la reconnaissance d’un « troisième sexe » mais du constat de l’impossibilité de rattacher le requérant à l’un des deux sexes et du caractère erroné de la mention figurant dans son acte de naissance. Cette décision, limitée au seul requérant, ne crée pas un droit de se prévaloir d’un « sexe neutre » se définissant comme « n’appartenant à aucun des genres masculin ou féminin ». Selon le tribunal, ce terme est préférable à « intersexe » qui, d’une part, conduit à une « catégorisation » que le juge souhaite éviter car il ne s’agit pas de « reconnaître un nouveau genre » et, d’autre part, qui apparaît « davantage stigmatisant ».
Le ministère public a interjeté appel de ce jugement.
III- Le refus de la cour d’appel de consacrer un sexe neutre
Dans un arrêt du 22 mars 2016, la cour d’appel d’Orléans a infirmé ce jugement et a rejeté l’inscription de la mention « sexe neutre » dans l’acte de naissance.
Elle a considéré que la recherche du juste équilibre entre la protection de l’état des personnes et le respect de la vie privée des personnes présentant une ambigüité sexuelle conduit à leur « permettre d’obtenir soit que leur état civil ne mentionne aucune catégorie sexuelle, soit que soit modifié le sexe qui leur a été assigné ». Selon elle, l’identité sexuée est principalement fondée sur le comportement social et l’apparence physique, laquelle déterminerait l’assignation au sexe « masculin » ou « féminin » à l’état civil.
En outre, elle considère que permettre l’inscription d’un sexe neutre dépasse le pouvoir dévolu aux juges et que la création d’une autre catégorie sexuelle relève de la seule appréciation du législateur.
Les avocats du requérant ont indiqué qu’ils formeraient un pourvoi en cassation à l’encontre de cet arrêt.
Par ailleurs, une demande d’auto-saisine a été présentée au Comité consultatif national d’éthique visant à lui permettre de rendre un avis concernant les problèmes éthiques posés par le traitement juridique et médical des êtres intersexués.
IV- La reconnaissance d’un genre neutre en droit comparé
Certains pays d’Europe prévoient l’hypothèse d’un sexe neutre ou indéterminé dans l’enregistrement des certificats de naissance comme le Royaume-Uni, la Lettonie, les Pays-Bas le Portugal ou encore l’Allemagne depuis une loi du 7 mai 2013.
Par ailleurs, en 2014, la Haute Cour d’Australie a admis l’inscription sur les registres de l’état civil de la mention « sexe non spécifique » au profit d’une personne ayant entrepris des actes médicaux de conformation sexuée[3] ayant échoué i.e. n’ayant pas permis d’éliminer les ambiguïtés sexuelles.[4]
La conception binaire de l’identité sexuée est également rejetée en droit international comme en témoignent certains textes de l’Organisation des Nations Unies, du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne mais également par certaines organisations internationales comme la Commission internationale de l’état civil qui reconnaît l’existence d’un sexe indéterminé.
Une proposition de loi relative à la mention du sexe à l’état civil a été déposée le 29 septembre 2015. Elle vise à faciliter le changement de sexe des personnes transsexuelles mais elle reste muette concernant la détermination d’un sexe neutre au profit des êtres intersexués ayant une ambigüité sexuelle permanente.
Par ailleurs, une question ministérielle sur la nécessité d’une modification de l’article 57 du Code civil concernant le sexe de l’enfant a été posée.[5] Le Ministère de la justice n’a, pour l’heure, pas répondu à cette question.
Manon de Fallois
Doctorante à l’Université Paris I
Pour en savoir plus :
- Décision du TGI de Tours du 20 août 2015, D. 2015, p. 2295 ; D. 2016, p. 20.
- Arrêt de la CA d’Orléans du 22 mars 2016.
- B. Moron-Puech, Le respect des droits des personnes intersexuées. Chantiers à venir ?
- Commission européenne, Les personnes trans et intersexuées, la discrimination fondée sur le sexe, l’identité de genre et l’expression de genre envers, juin 2011, 116 p.
- M. Peron, « Intersexualisme, l’admission d’un troisième genre au regard des exemples étrangers », La Revue des droits de l’homme, 8 | 2015,
- « L’Allemagne, premier pays européen à reconnaître un troisième genre », Le Monde, 19 août 2013
[1] Dictionnaire de l’Académie française, 1992.
[2] Cass. Civ. 1ère, 16 décembre 1975, n°73-106.15, Cass. Ass. Plén., 11 décembre 1992 n° 91-11.900; Cass. Civ. 1ère, 7 juin 2012, n° 10-26.947.
[3] Actes destinés à conformer un corps au sexe masculin ou féminin.
[4] B. Moron-Puech, « Création d’un sexe « non spécifique » par la Haute Cour d’Australie », La Revue des droits de l’homme, Actualités Droits-Libertés, 10 avril 2014.
[5] Question écrite n° 18533 publiée dans le JO Sénat du 29/10/2015, p. 2536.