L’obligation contractuelle de bonne foi : état des lieux

L’obligation contractuelle de bonne foi prend une place importante et son influence croît dans la matière du droit civil et cela tout particulièrement avec l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, qui entrera en vigueur au premier octobre 2016.

La notion de bonne foi, dans le cadre du droit des obligations, présente une dualité intéressante : elle dispose à la fois d’un fort potentiel théorique qui se trouve être exploité depuis la seconde moitié du XXème siècle et elle acquiert une place importante dans la pratique contemporaine des affaires économiques.

I- La notion et l’évolution de l’obligation contractuelle de bonne foi : de la morale au droit

La notion d’obligation contractuelle de bonne foi a toute sa place parmi les meilleures illustrations de standard juridique qui rappellent le Droit à l’Homme.

Le législateur français de 1804 a inscrit cette notion empreinte de morale[1] dans le marbre en qualité d’obligation, cela uniquement au stade de l’exécution du contrat : toute convention devant être exécutée de bonne foi, en vertu de l’alinéa 3 de l’article 1134 du Code Civil.

Pour leur part, la jurisprudence et une partie de la doctrine ont considéré cette notion durant tout le XIXème siècle et la première moitié du XXème siècle comme une forme d’obligation, certes juridique mais de type comportemental, un prolongement des bonnes manières communes dans l’espace contractuel, permettant d’assurer un minimum de coopération entre les parties par l’interdiction de tout comportement malicieux entre elles.

La jurisprudence, depuis le milieu du XXème siècle, a de plus en plus exploité cette notion, autant au stade de l’exécution du contrat qu’à celui de sa formation et en y incluant les négociations pré-contractuelles.

L’avant-projet de réforme du droit des obligations en date du 23 octobre 2013, dans l’optique d’une codification de cette jurisprudence devenue constante précise en son article 3 que les conventions doivent être exécutées de bonne foi, mais de plus formées de bonne foi, celle-ci intéressant alors l’étape de la formation du contrat en plus de celle de son exécution.

L’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, qui entrera en vigueur au 1er octobre 2016, amplifie le mouvement du renforcement de la présence de la notion de bonne foi dans le champ contractuel et pré-contractuel en disposant en son article 1104 que «  Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi », cette disposition étant d’ordre public[2].

II- Du débat purement théorique aux applications dans la pratique des affaires économiques : une dualité dynamique

Le législateur, la jurisprudence et la doctrine majoritaire conviennent que deux obligations découlent de l’obligation contractuelle bonne foi : le devoir de loyauté et le devoir de coopération.

Le devoir de loyauté permet à une jurisprudence prolixe en la matière de condamner certains comportements des parties au contrat, qualifiés de déloyaux et ce même s’ils s’inscrivent dans le respect littéral des stipulations du contrat.

Le devoir de coopération, quant à lui, oblige chaque co-contractant à une « association mutuelle » entre eux. Il s’applique à divers degrés en fonction du type de contrat, le contrat spécial de société étant celui dans lequel le devoir de coopération est a priori le plus présent . Une partie de la jurisprudence et de la doctrine minoritaire est même allée jusqu’à développer qu’en vertu de ce devoir chaque co-contractant doit privilégier les intérêts de l’autre partie au contrat, notamment dans un arrêt de la Cour de cassation du 3 novembre 1992. Néanmoins, la Cour de cassation en son arrêt du 6 mai 2002 a écarté tout devoir d’assistance mutuelle aussi poussé.

L’obligation contractuelle de bonne foi acquiert en parallèle à son fort développement académique une place importante dans la pratique du droit des affaires économiques.

En effet, au stade de l’exécution du contrat, certaines conventions particulières comme le contrat de société ou le contrat de travail ne peuvent s’épanouir et a fortiori survivre, que dans le cadre de rapports contractuels de bonne foi et de confiance mutuelle. Il en est de même concernant les contrats de distribution dans lesquels il est nécessaire qu’entre fournisseurs et distributeurs des rapports de confiance s’établissent pour la pérennité du lien juridique et la pleine exécution des tâches économiques. Alors que dire de la pérennité d’un contrat d’affaires, envisagé de manière abstraite, si au stade de sa formation ou de sa négociation il faisait déjà l’objet d’actes déloyaux ou non-coopératifs.

Enfin, la bonne foi est présente dans le cadre du commerce européen et international, les principes Unidroit édictant que « les parties sont tenues de se conformer aux exigences de la bonne foi dans le commerce international »[3], ce qui est très loin d’être négligeable à l’heure de l’européanisation et de l’internationalisation de la vie économique.

Antoine Dolisi

Étudiant en Droit (Faculté de Droit, de Science Politiques et de Gestion – Université de Strasbourg)

[1] G. Ripert, La règle morale dans les obligations civiles, n°157

[2] J. Mestre, Pour un principe de bonne foi mieux précisé, RLDC, mars 2009, n°58, p. 9

[3] Article 1.7,1 ; Unidroit, Principes relatifs aux contrats du commerce international, 1994, p. 16

SOURCES

Code Civil 2016, édition Dalloz

Ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations

Avant-projet de réforme du droit des obligations (document de travail) en date du 23 octobre 2013

Les obligations – droit civil, précis de droit privé, du Professeur émérite François Terré, du Professeur émérite et Doyen honoraire Philippe Simler et du Professeur Yves Lequette, édition Dalloz, 11ème édition

POUR EN SAVOIR PLUS

Étude complète dans Les obligations – droit civil, précis de droit privé, du Professeur émérite François Terré, du Professeur émérite et Doyen honoraire Philippe Simler et du Professeur Yves Lequette, édition Dalloz, 11ème édition

Étude détaillée dans le Réforme du droit des obligations – Un supplément au Code Civil 2016 (à jour de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016), édition Dalloz

 

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