Gandhi disait « on reconnaît le degré de civilisation d’un peuple à la manière dont il traite ses animaux ». Il est certain que la perception de l’animal diffère d’un Etat à un autre, d’une personne à une autre. La France a longtemps fait pour sa part de l’animal une chose corporelle pouvant entrer dans le patrimoine d’une personne.
Or, la société française a énormément évolué depuis l’adoption du Code civil de 1804 qui considérait l’animal comme un objet pratique. Aujourd’hui, elle attend et réclame une plus forte considération de l’animal. Ainsi, à travers l’exposé des motifs d’une proposition de loi du 29/04/2014, certains parlementaires ont admis que la comparaison avec d’autres systèmes juridiques relègue « notre droit qui se veut pourtant historiquement comme un modèle rayonnant, au rang des plus rétrogrades et inadaptés du point de vue de la prise en compte de l’animal ».
Pressé par une opinion majoritairement en faveur d’une réforme du statut de l’animal, le législateur français avait déjà amorcé une certaine revalorisation par une loi du 06/01/1999 relative aux animaux dangereux et errants et à la protection des animaux. Par le biais de cette loi, le législateur avait modifié les articles 524 et 528 du Code civil pour distinguer les animaux des choses inanimées. Toutefois, cette loi n’avait pas sorti l’animal de la catégorie juridique des biens et elle ne consacrait pas encore l’animal comme un être sensible. Pourtant, l’évolution du statut de l’animal signifierait la véritable reconnaissance de son caractère sensible et de la nécessité de recourir à des pratiques plus respectueuses à son égard. Pour ce faire, la loi pourrait extraire l’animal de la catégorie des biens ou l’y laisser mais en ajoutant une nouvelle catégorie de biens qui serait alors réservée aux seuls animaux afin d’accroitre leur protection.
Le législateur français a choisi d’offrir à l’animal un nouveau statut juridique par la loi du 16/02/2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans le domaine de la justice et des affaires intérieures. L’article 2 de cette loi dispose notamment que « les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens ». L’animal se trouve donc extrait de la catégorie des biens. Cette nouvelle attention au profit de l’animal se trouve codifiée dans le nouvel article 515-14 du Code civil. Dans un souci de cohérence, pour ne mentionner que cet exemple qui est le plus significatif, l’actuel article 528 du Code civil relatif aux biens meubles ne mentionne plus les animaux (« sont meubles par leur nature les biens qui peuvent se transporter d’un lieu à un autre »).
Si les animaux ont acquis un statut juridique distinct des autres biens, la référence à leur soumission au régime des biens sous réserve des lois qui les protègent semble d’emblée contrarier la bonne intention de la réforme.
Quels sont alors les apports de cette réforme sur la catégorie hybride que représentent les animaux ?
Il est acquis que le statut juridique des animaux est spécifique (I) et c’est peut-être pour cette raison que la réforme n’a pas entrainé les changements tant attendus par les défenseurs de la cause animale (II).
I- La spécificité du statut juridique des animaux
Les animaux ont toujours été mis à l’écart par le principe de la summa divisio présent dans le Code civil (A). La réforme du Code civil conduit plus à une harmonisation des législations françaises qu’à une réelle avancée pour les animaux (B) dans la mesure où le Code rural mais aussi le Code pénal avaient déjà une plus haute considération de l’animal.
Les animaux mis à l’écart par le principe de la summa divisio présent dans le Code civil
Philippe Malinveaud relevait que « l’immense majorité des animaux ne sont pas des biens et ne sont donc pas pris en compte par le Code civil ». En effet, le droit civil des biens français a pour objet d’étude les relations entre les personnes et les choses. Tout doit être classé dans une de ces deux catégories. Seulement, en ce qui concerne les animaux, la catégorisation n’est pas simple. En effet, il est clair que l’animal n’est pas une personne. Toutefois, l’animal rentre-t-il pour autant dans la catégorie des choses ?
Dans la catégorie des choses, se trouvent les biens mais aussi les choses communes, les choses sans maître et les choses abandonnées. Les animaux ne semblent correspondre à aucune de ces dénominations. Pourtant, le Code civil les a longtemps apparentés d’une part à des biens meubles. En effet, l’ancien article 528 du Code civil disposait que « sont meubles par leur nature les animaux et les corps qui peuvent se transporter d’un lieu à un autre, soit qu’ils se meuvent par eux-mêmes, soit qu’ils ne peuvent changer de place que par l’effet d’une force étrangère ».
D’autre part, certains animaux étaient quant à eux classés dans la catégorie des immeubles par destination à l’ancien article 524 du Code civil : « les animaux et les objets que le propriétaire d’un fonds y a placés pour le service et l’exploitation de ce fonds sont immeubles par destination ». Il s’agissait des « animaux attachés à la culture », « les pigeons des colombiers », « les lapins des garennes », « les ruches à miel », « les poissons de certains eaux et plans d’eau ».
Le Code civil avait donc choisi de comparer les animaux à des biens pour l’essentiel. Cela peut bien évidemment paraître surprenant. Toutefois, il est également évident que les animaux ne puissent être classés dans la catégorie des personnes. De ce fait, il ne restait qu’à placer les animaux dans la catégorie des choses.
Le Code civil datant de 1804, il opérait alors une classification pouvant paraître poussiéreuse. En effet, il ne visait principalement que les animaux de ferme, primordiaux dans la France de cette époque.
Cependant, les animaux ont toujours eu un commencement de régime juridique distinct au sein de la summa divisio, et ce même avant la réforme. A côté des personnes mais au sein des choses, l’animal a toujours présenté certaines spécificités propres. Le droit de propriété sur l’animal est plus limité que le droit de propriété sur les autres biens meubles. Pareillement, le propriétaire a toujours été responsable civilement du fait dommageable de son animal depuis 1804 (article 1385 du Code civil) dans la mesure où l’animal demeure dépourvu de la faculté de discernement. Les animaux font également partie intégrante de la jurisprudence bien établie relative aux troubles anormaux du voisinage qui devrait perdurer en dépit de la réforme du 16/02/2015.
De ce fait, le statut juridique de l’animal ne semble pas adéquat à sa situation, ni même au reste de la législation française, d’où une réforme attendue.
Une harmonisation des législations françaises plus qu’une réelle avancée pour les animaux
Antérieurement à la réforme, si l’on se penchait sur les autres législations au sein de notre droit interne, il était possible d’observer l’existence d’un certain décalage entre le statut juridique de l’animal au sens civil et au sens pénal notamment. Ainsi, la loi prend désormais acte de l’évolution des connaissances scientifiques et du contexte social, tout en tenant compte de la différence entre un être vivant et une chose, objet inanimée. La définition juridique de l’animal est désormais donnée comme étant un « être vivant doué de sensibilité ».
Toutefois, dès 1976, le législateur français avait reconnu que l’animal, alors bien meuble ou immeuble par destination, était un « être sensible » qui « doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce » (article L. 214-1 du Code rural et de la pêche maritime). Le législateur français n’avait donc pas totalement négligé l’animal depuis 1804, en évoquant sa particularité propre par rapport aux autres biens et en l’inscrivant dans le Code où il semblait avoir le plus sa place.
Autre illustration, le Code pénal, également, à travers son article 521-1 (loi du 6 janvier 1999), réprime le fait « d’exercer des sévices graves, ou de nature sexuelle, ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité » par une peine pouvant aller jusqu’à deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. Cette infraction est par ailleurs classée dans le Livre consacré aux « autres crimes et délits » et non dans le Livre consacré aux « crimes et délits contre les biens ». Ce texte avait déjà permis de prendre en compte la souffrance animale alors même que l’animal était encore un bien meuble ou immeuble par destination au moment de l’entrée en vigueur de la loi.
Dès lors, le propriétaire d’une chaise et d’un chien pourra détruire la chaise mais ne pourra pas atteindre à la vie de l’animal sous peine de tomber sous le coup de la loi pénale. Ainsi, le droit de propriété sur un animal de compagnie par exemple, est limité par la protection et les bons soins que le propriétaire de l’animal a l’obligation d’assurer.
La réforme entraînant le changement du statut juridique de l’animal met finalement en cohérence le Code civil avec le Code rural et le Code pénal qui avaient déjà distingué l’animal comme ayant une place à part au sein des biens corporels. Elle permet également d’enlever la contradiction qui existait quant à la limitation du droit de propriété sur l’animal alors même que les biens corporels étaient aliénables et modifiables par leur propriétaire. L’animal n’étant plus un bien, la limitation du droit de propriété n’en ressort que plus justifiée juridiquement.
Il était donc logique que le Code civil revoit son appréciation quant au statut juridique de l’animal. En effet, en les considérant seulement comme des biens meubles ou immeubles, le Code civil n’était pas en adéquation avec le Code pénal et le Code rural. La mise en cohérence de la législation interne française était-elle vraiment nécessaire ?
Outre ce nouveau statut juridique, il s’agit plus d’une harmonisation des législations internes voire d’un dépoussiérage du Code civil que d’une évolution majeure. En pratique, le Code rural et le Code pénal géraient déjà des situations impliquant les animaux, plus que ne le faisait le Code civil. En effet, les conditions de détention, de cession et d’usage des animaux sont réglementées par ces deux codes et ce sont ces situations qui posent le plus de problèmes, nécessitant alors le recours à la loi.
Ainsi, cette loi insérant un nouvel article 515-14 du Code civil ne semble pas avoir tous les effets escomptés entre autres, par les protecteurs de la cause animale.
II- Une réforme n’entraînant pas les changements attendus
Si depuis la loi du 16 février 2015 l’animal a changé de statut juridique, il n’en reste pas moins que le régime des biens leur est toujours applicable (A). Il semblerait que ce débat sur le statut juridique de l’animal ne soit finalement que très éloigné des considérations juridiques (B).
Le régime des biens toujours applicable aux animaux
La nouvelle qualification juridique de l’animal, du fait de la réforme, devrait lui permettre des meilleures conditions de vie dans la mesure où il n’est plus considéré comme un bien ordinaire. Toutefois, cette réforme se contente de donner une nouvelle qualification à l’animal sans y associer un régime de protection efficace. Au contraire, elle rattache l’animal au régime juridique des biens corporels sous réserve des lois protectrices des animaux.
Les seules protections de l’animal existantes en France précèdent cette réforme. Outre les dispositions protectrices des animaux présentes dans le Code rural et le Code pénal, les animaux demeurent soumis au régime des biens. Ainsi, les animaux sont considérés de fait comme des biens corporels puisqu’ils sont soumis à leur ancien régime.
Le Code pénal lui-même, qui avait placé l’infraction commise sur un animal dans le Livre « autres crimes et délits », continuait à traiter l’animal de bien puisque le vol (la « soustraction frauduleuse de la chose d’autrui » selon l’article L. 311-1 du Code pénal) d’un animal demeure répréhensible, alors que si l’animal n’était plus un bien, le vol d’un animal ne pourrait être condamnable.
Cette réforme semble être plus un effet d’annonce qu’une réforme d’ampleur, celle-ci ne débouchant sur aucun changement concret. La portée de cette réforme est donc plus symbolique que pratique. Si le symbole était peut-être moins « fort » dans le Code rural, ce dernier n’en demeure pas moins normatif et qualifiait déjà l’animal comme un « être sensible ». Au contraire, la loi présente dans le Code civil est à ce jour dépourvue d’effet pratique voire normatif.
L’évolution du statut de l’animal aurait dû signifier une reconnaissance de la nécessité de procéder à des pratiques respectueuses de son caractère sensible pourtant consacré par cette réforme. Si les animaux ne sont plus des biens corporels, ils n’en demeurent pas moins soumis à leur régime. Ainsi la distinction entre les meubles et les immeubles de l’article 516 du Code civil garde un sens pour les animaux, qui se verront appliquer par exemple le régime des immeubles par destination lorsque ceux-ci seront affectés à l’usage d’une exploitation, sans être eux-mêmes des immeubles par destination. Quant aux animaux soumis au régime des biens meubles, la célèbre règle selon laquelle « en fait de meubles, la possession vaut titre » de l’article 2276 du Code civil continuera à s’appliquer, si cette possession est de bonne foi. La loi conserve ainsi les animaux dans la sphère patrimoniale des personnes et ce malgré un statut juridique propre.
Ce n’est que par exception que l’animal n’est plus soumis au régime des biens et ces exceptions étaient déjà connues du droit français. L’animal n’est donc plus un bien, mais un objet de propriété, ce qui, en soi, ne change rien à son régime. Dès lors, les animaux sont toujours la propriété de leurs maîtres, tout comme une chaise ou une table.
Si l’existence d’un statut spécial pour l’animal est un point de départ, l’absence d’un régime juridique propre contribue à véhiculer l’idée que la modification apportée par le Code civil n’a aucune vraie utilité. La réforme présente également une incohérence dans la mesure où elle énonce que « les animaux » sont des êtres sensibles et ce, de manière générale. Pourtant, les « lois qui les protègent » ne concernent pas tous les animaux. La formule parait donc creuse car un animal n’étant pas protégé pas une loi spéciale, ne le sera pas du tout.
Pour accroître la protection des animaux, en suivant la logique de la réforme, ce sont les lois spéciales qui protègent les animaux qu’il faudrait réformer car elles constituent l’exception à l’application du droit des biens, et non continuer à se baser sur le Code civil, où, semble-t-il, les animaux n’ont pas leur place. Pour l’heure le Code civil se contente de renvoyer aux dispositions déjà existantes pour protéger des animaux qui ont désormais un statut juridique propre auquel est rattaché un régime juridique déjà existant.
Cette réforme, en trompe-l’œil, n’apporte aucune modification quant à la pratique de la chasse, la corrida ou encore les expériences scientifiques. Or, ce sont ces pratiques qui portent une atteinte à l’existence des animaux, et non la qualification que donne le Code civil. Le débat concernant la qualification du Code civil semble en effet purement théorique car en pratique, de nombreuses atteintes sont faites aux animaux.
Le Code civil a donc décidé de doter les animaux d’un nouveau statut plus pour satisfaire l’opinion publique que pour faire évoluer la condition animale.
Un débat éloigné des considérations juridiques
La nouvelle qualification d’être doué de sensibilité ressemble plus à une définition d’un dictionnaire qu’à une définition juridique. Dans le Larousse en effet, la définition de l’animal est la suivante : « être organisé, doué de mouvement et de sensibilité, et capable d’ingérer des aliments solides à l’aide d’une bouche ». Celle définition est très proche de celle choisie par le législateur français.
Il ressort de cette loi une contradiction évidente. Le législateur a voulu satisfaire les défenseurs de la cause animale et l’opinion publique, sans pour autant modifier le droit applicable aux animaux. L’ordre des animaux, entre les personnes et les choses, est loin d’avoir été institué par cette réforme.
Les défenseurs des animaux ne pourront donc se raccrocher qu’à l’espoir que ce symbole fasse évoluer des mentalités et par la suite, la condition animale. Néanmoins, ceux-ci peuvent craindre qu’au niveau parlementaire cette réforme ferme le débat pour les prochaines années.
Les avocats et les juges pourraient-ils eux se servir de cette loi pour créer une jurisprudence favorable aux animaux par le biais de décisions rendues sur le fondement de l’article 515-14 du Code civil ?
Pour l’heure, cette réforme semble donc être plus un symbole qu’une avancée majeure. Aucun changement réel n’est à constater mais cette réforme montre que le législateur tente (ou est contraint ?) de trouver des solutions face à cette catégorie « hybride » qui ne correspond ni à la définition des personnes ni à celle des choses.
Une solution qui pourrait être adéquate serait de créer, à côté des choses et des personnes, une nouvelle catégorie juridique des animaux à part entière puisque ces derniers ne correspondent en rien à ces deux catégories, mais cela nécessiterait, outre l’adhésion parlementaire, vraisemblablement un immense travail législatif.
Quant au fait de se demander si les animaux ne pourraient-ils pas être considérés comme des personnes, la question n’est pas évidente. De prime abord, cela semble improbable qu’un animal puisse être comparé à une personne et dispose des mêmes droits. Toutefois, la porte reste cependant ouverte si l’on compare l’obtention de la personnalité juridique à une personne morale. Cette personne est complètement abstraite, immatérielle, ne vit pas comme un être humain, et pourtant, elle dispose de la personnalité juridique. L’animal pourrait-il, un jour, disposer de cette personnalité juridique et donc faire son entrée dans la catégorie des personnes ?
Nicolas ROUX – M2 Droit Notarial (Université Montpellier I)