La loi Hamon du 17 mars 2014 a mis en place une class action française, à ce jour inédite au monde. Le premier exemple d’action de groupe voit le jour aux Etats-Unis suite à l’explosion particulièrement dramatique du navire cargo SS Grandcamp, en 1947. Une plainte collective, favorablement accueillie par la justice, est alors déposée à l’encontre du gouvernement fédéral par 8485 plaignants.
Le recours collectif (« class action » en anglais) peut ainsi se définir comme une procédure anglo-saxonne qui permet à un groupe de personne ayant un intérêt commun de se regrouper dans une action commune pour faire valoir leur droit ou indemniser leur préjudice. Très concrètement, les class actions américaines mêlent un nombre important de plaintes individuelles en un seul procès. La procédure a ainsi deux intérêts. Un intérêt temporel d’une part, puisque la présence d’un seul avocat est préconisée pour plaider en faveur de l’ensemble des plaignants – ce qui est un gain de temps considérable. Un avantage économique d’autre part, les frais d’avocats étant divisés par le nombre de plaignants.
Alors que l’action de groupe est une procédure ancienne et très répandue aux Etats-Unis, ce n’est que tardivement qu’elle a été créée en France, sous une forme très originale, visant à expier les travers et dérives de sa voisine américaine. Avec succès ?
Les origines d’un modèle novateur
Initialement en France, la class action est une promesse chiraquienne non aboutie. Reprise sous le mandat de Nicolas Sarkozy, ce n’est finalement qu’avec la présidence de François Hollande que le projet prend toute son importance et finit par se concrétiser. Non sans difficultés. En effet, c’est à une opposition patronale virulente qu’ont été confrontées les associations consuméristes françaises, elles-mêmes soutenues par la commission européenne, qui voyait dans l’action de groupe la possibilité d’inciter les victimes à exercer une action en responsabilité quand bien même le coût de leur dommage subi ne serait que très faible [1], et une réponse adaptée aux dommages de masse. D’autant plus que les projets de class action ne manquent pas: les publicités mensongères, les réseaux défaillants de grands opérateurs, les retards et annulations de trains : tout est sujet à une représentation collective gagnante et attractive.
Le succès d’ actioncivile.com l’atteste d’ailleurs. Cette nouvelle start up se consacre aux actions collectives et se félicite déjà d’avoir récolté 1 million et demi d’euros auprès de Partech Ventures en juin dernier, avec plus généralement, un taux de réussite de 80%… Il s’agit donc d’une procédure récente, mais d’ores et déjà très séduisante.
A-t-on attendu plus de 65 ans la mise en place d’actions collectives semblables à ce qu’il se passe aux Etats-Unis depuis 1947 ? Vraisemblablement pas. Jusqu’à la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation, il existait tout de même deux mécanismes permettant aux associations d’agir collectivement. Le premier offrait la possibilité aux associations d’agir en responsabilité au nom du groupement lui-même, en défense des intérêts collectifs représentés par le groupement.Ainsi, si l’action était couronnée de succès, seule l’association profitait des dommages intérêts, non la victime. Un second mécanisme institué par la loi de 1992 (l’action en représentation conjointe) reposait sur l’idée d’un mandat donné à l’association par ceux qu’elle était amenée à représenter. Autrement dit, l’association agissait en justice pour les victimes qui bénéficiaient elles-mêmes de l’indemnisation.
Cependant, ce processus reposait sur un mandat explicite, or la publicité de cette action était extrêmement réglementée : elle était interdite aussi bien à la télévision, qu’à la radio, de sorte que l’action se trouvait ignorée de la plupart des victimes. Moins d’une dizaine d’actions en représentation conjointe avaient été exercées depuis 1992.
Lacunaire, oscillant entre fascination et crainte des dérives d’une telle procédure, le système juridique français a finalement fait le choix d’une class action inédite, mais non moins adaptée à la législation française.
I. Une class action française sui generis
A. Une procédure complexe
Premièrement, la question s’est tout d’abord posée de savoir si la class action, telle qu’envisagée et appliquée aux Etats-Unis, pouvait réellement s’intégrer au droit français². En effet, plusieurs principes processuels français s’opposent à ce que des cabinets d’avocats prennent l’initiative d’une action pour des victimes potentielles d’un fait dommageable commun et constituent un groupe par publicité dès lors qu’ils ont connaissance d’un dommage de masse.
Tout d’abord, cette possibilité irait va à l’encontre de la règle selon laquelle nul ne plaide par procureur. Selon le système de l’opt-out tel qu’appliqué aux Etats-Unis, les personnes concernées par la class action sont considérées comme des potentielles victimes du dommage commun, quand bien même elles n’auraient pas expressément manifesté leur adhésion. De plus, cela va également à l’encontre du principe du contradictoire, selon lequel la défense ne connait pas tous ses adversaires.³
Par ailleurs, c’est également l’opportunité même de l’action qui a longtemps été dénoncée. Véritable boite de Pandore, la première class action américaine de 1947 a engendré leur essor, en symbolisant l’espoir d’une meilleure justice collective. Toutefois, il existe un risque accru et dangereux de judiciarisation de la vie économique, source d’effets pervers et de dévoiements multiples (Cf, le film Erin Brockovitch). En effet, les actions en justice sont extrêmement coûteuses et donnent lieu à une forme de chantage judiciaire qui pèse sur le budget des entreprises. D’autant plus que la class action américaine a un champ d’application très large : elle s’étend du droit de la consommation, au droit boursier, sanitaire, environnemental, ainsi qu’aux atteintes aux droits fondamentaux.4 La class action « à la française » s’est construite en ayant conscience de ces difficultés, soucieuse d’éviter les dérives de sa voisine outre-Atlantique.
B. Un champ d’application restreint
Le législateur a ainsi fait le choix de restreindre la class action au champ de la consommation. Les articles L.423-1 et suivants du code de la consommation disposent :
« Une association de défense des consommateurs, représentative au niveau national et agréée en application de l’article L. 411-1, peut agir devant une juridiction civile afin d’obtenir la réparation des préjudices individuels subis par des consommateurs placés dans une situation identique ou similaire et ayant pour origine commune un manquement d’un même professionnel à ses obligations légales ou contractuelles dans deux situations : à l’occasion de la vente de biens ou de la fourniture de services ; lorsque ces préjudices résultent de pratiques anticoncurrentielles au sens du titre II du livre IV du code de commerce ou des articles 101 et 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). L’action de groupe ne peut porter que sur la réparation des préjudices patrimoniaux résultant des dommages matériels subis par les consommateurs. »
L’article 3 de la du 17 mars 2014 relative à la consommation, définit le consommateur victime comme « toute personne physique qui agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale ». Excluant les personnes morales, et les personnes physiques qui agissent à titre professionnel, ce premier critère vient considérablement réduire le champ d’application de la class action.
Son domaine d’application est également limité par la nature même des préjudices subis. « L’action de groupe ne peut porter que sur la réparation des préjudices patrimoniaux résultant des dommages matériels subis par les consommateurs. » Ainsi, l’article L.423-1 in fine exclue du champ d’application la réparation des préjudices moraux, ainsi que l’ensemble des dommages extrapatrimoniaux.
Pour finir, une fois cette première restriction apportée, ce sont les préjudices patrimoniaux eux-mêmes qui vont être limités: ne sont susceptibles d’être réparés que les « préjudices patrimoniaux résultant des dommages matériels subis par les consommateurs ». La loi exclue par conséquent toute réparation de dommages corporels ou environnementaux.
Or, exclure les dommages corporels des préjudices réparables revient à aller à contre-courant d’un mouvement juridique fort de protection de ces droits, reconnus comme fondamentaux (l’article 3 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme ou bien l’article 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales par exemple) et être en totale opposition avec ce qui se fait au sein de certains systèmes étrangers (en Common Law, the « pure economic loss »5 n’est réparable que lorsque la perte économique pure repose sur une fausse déclaration, tandis que les préjudices corporels ont toute leur place en haut d’une échelle officieuse des préjudices réparables). Avec la class action française, c’est la supériorité bien souvent accordée aux préjudices corporelles sur les préjudices économiques, qui est ainsi renversée.
II. L’appropriation française d’un modèle original
A. Une procédure inédite
L’action de groupe « à la française » est une procédure sui generis en ce qu’il n’existe aucune autre procédure comparable en droit interne – ni même au monde. Il s’agit d’une procédure en trois étapes. La première va concerner le jugement. L’association agréée va tout d’abord saisir le Tribunal et présenter au juge des cas individuels. Par la suite, le juge, dans une même décision, doit à la fois examiner la recevabilité de l’action, statuer sur la responsabilité du professionnel, définir le groupe, en fixer les critères de rattachement, déterminer les préjudices susceptibles d’être réparés ainsi que leur montant et préciser si une réparation en nature est possible et plus adaptée. Si le juge estime que le professionnel en question est responsable, il va alors fixer un délai d’adhésion compris entre deux et six mois, de même que des mesures de publicité vont être ordonnées pour en informer les consommateurs.
Intervient ici la deuxième étape, celle de l’adhésion des victimes au groupe. Ainsi avisés, les consommateurs vont en effet choisir d’adhérer ou non au groupe afin d’obtenir réparation de leur préjudice subi ; avec la possibilité pour le consommateur qui n’adhère pas, de conserver son droit d’action individuel. Rejetant le système de l’opt-out américain, la class action française a fait le choix d’une déclaration expresse des victimes voulant être représentées dans l’action de groupe.
Pour finir, une troisième étape, prévue aux articles L.423-12 et suivants, peut être distinguée : elle vise à trancher les litiges qui pourraient éventuellement surgir à l’occasion du jugement
B. Un succès à nuancer
Bien qu’il y ait trois étapes distinctes, il n’y a vraisemblablement qu’une seule et unique phase de procédure dans le cadre de la class action et non deux comme il en existe communément en France et à l’étranger [2]. En effet, dans le cas de la class action, les deux vont être fondamentalement unies en une seule et même phase. Tout se déroule ainsi comme si le consommateur ne courait plus le risque de l’action en justice.
Est-ce réellement étonnant ? Cela peut finalement sembler assez cohérent avec un mouvement consumériste qui s’est accru en France depuis quelques années, dont le but principal est d’accroître la protection des consommateurs à l’égard des professionnels en droit de la consommation [3].
Pour poursuivre sur l’aspect inédit de cette procédure française, la loi de février 2014 n’habilite que 16 associations de consommateurs agréées à agir en justice pour défendre des consommateurs. Ainsi, l’avocat ne défend pas le consommateur en tant que tel, mais seulement l’association agréée qui, elle, est en charge de représenter les consommateurs. Par cette limitation, le gouvernement français a souhaité éviter les dérives d’outre-Atlantique, qui, trop souvent, transforment l’action de groupe en une rente pour les cabinets, et en une utilisation excessive de dommages et intérêts punitifs dont les sommes peuvent atteindre des sommets.
D’autre part, la class action française est une procédure qui se veut corrective, non punitive. Cependant, si l’on part du principe que la class action est faite pour que chaque victime puisse agir en justice, quand bien même le coût de son litige ne serait qu’insignifiant, n’existe-t-elle donc pas avant tout sous le prisme de la fonction punitive, par lequel les dommages et intérêts dépasseront en effet bien souvent le total des préjudices subis par les victimes du groupe ?
En effet, si les préjudices matériels subis par les victimes du groupe sont individuellement insignifiants, l’action en justice a alors surtout pour but de sanctionner une attitude, un comportement qui a été fautif vis-à-vis de l’ensemble du groupe de plaignants. L’on recherche la sanction et par-delà celle-ci, la moralisation des professionnels. Alors que la class action a été créée dans une logique de protection du consommateur, c’est également sous la perspective de régulation du marché qu’elle semble s’inscrire.
Julie Martinez
Licence 3
Université Paris II Panthéon-Assas
² S. Guinchard, une class action à la française ?, D.2005.2180
³ M. Bacache, Action de groupe et responsabilité civile, RTD civ. 2014, p.450
4 F. Laroche-Gisserot, les class actions américaines, LPA, 10 juin 2005, p.7
5 Hedley Byrne & Co Ltd v. Heller & Partners Ltd, 1964