Le 4 janvier 2012, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a rendu un arrêt intéressant quant à la responsabilité de l’administration fiscale et son articulation avec le fameux principe d’espérance légitime (CEDH, Debar et autres c. France, n° 32195/08).
Au terme d’un marathon de près d’une vingtaine d’années, les requérantes abattent leurs dernières cartes devant la CEDH en invoquant une violation combinée de l’article 14 de la CEDH et de l’article 1 du protocole 1 de la CEDH.
Les allégations des demanderesses visaient à faire reconnaître l’Etat responsable d’une violation du droit au respect de leurs biens (article 1 protocole 1) qui entraînait une différence de traitement par rapport aux autres contribuables (article 14) du fait de la non restitution d’impositions supplémentaires infligées par l’administration fiscale à leur ancienne société de manière illégale (Cour Administrative d’Appel de Bordeaux, 2006). Elles demandaient également cette reconnaissance en alléguant du fait que le droit interne violait le droit au respect de leurs biens dans la mesure où aucun recours ne leur avait permis de faire reconnaître la responsabilité de l’administration. Il est à noter que la responsabilité de l’administration n’a pas été reconnue en France, ceci conformément à la jurisprudence de l’époque qui exigeait que l’administration fiscale ait commis une faute lourde.
Il convient d’étudier l’article 1 du protocole 1 afin de comprendre l’intérêt de cette décision relativement à la notion d’espérance légitime. Avant d’étudier l’arrêt de la CEDH à la lumière de la jurisprudence française actuelle sur la responsabilité de l’administration fiscale.
L’article 1 du protocole 1 pose ce qui est appelé le droit au respect de ses biens ; notion plus large que le droit de propriété.
Elle nous dit qu’ « un simple intérêt patrimonial qui constitue au moins une espérance légitime de pouvoir obtenir le paiement d’une créance, constitue un bien ». Dès lors, pour obtenir une condamnation du fait d’une telle violation, il faut démontrer l’existence d’un bien au sens de l’article 1.
Tout d’abord, les requérantes avancent l’idée d’une violation du fait de la non restitution des sommes payées. Ce premier argument est écarté par la CEDH qui répond que seule la société qui a payé ces sommes avait qualité pour demander restitution.
Ensuite, les requérantes arguent du fait qu’elles pouvaient légitimement espérer obtenir une réparation de la part de l’Etat et cette créance constituerait alors une valeur patrimoniale qui doit bénéficier de la protection du protocole n°1. Dès lors, l’existence d’un bien au sens de cet article serait démontrée et cette condition pour l’obtention de la reconnaissance d’une violation serait remplie.
Cependant, pour qu’une créance soit une valeur patrimoniale de ce point de vue, il faut démontrer que celle-ci a une base suffisante en droit interne. Dès lors, la CEDH s’interroge sur le fait de savoir si, en droit français, existe vraiment cette espérance légitime.
Ici, cette espérance légitime consisterait en la probabilité de voir la responsabilité de l’Administration Fiscale reconnue. On pouvait sérieusement douter de l’existence de cette espérance légitime pour ces requérantes qui avaient succombé par 2 fois devant le juge national.
Cependant, le 21 mars 2011, dans un arrêt Krupa, le Conseil d’Etat a opéré un revirement de jurisprudence retentissant dans la mesure où il abandonne la distinction entre faute lourde et faute simple pour engager la responsabilité de l’Etat. Depuis cet arrêt, il est alors possible de considérer qu’un contribuable qui se trouve dans la même situation que les requérantes aurait pu avoir une espérance légitime de reconnaissance de responsabilité de l’Etat et donc obtenir une condamnation de la France du fait de la violation du droit au respect de leurs biens.
Il est alors permis de considérer que pour l’avenir, la jurisprudence du Conseil d’Etat élargissant le champ de mise en cause de la responsabilité de l’Etat par l’abandon de cette distinction, celui de l’application de l’article 1 du protocole n°1 sera également élargi.
Or, dans cet arrêt Debar c. France, la CEDH se réfère à la jurisprudence au moment des faits et relève que celle-ci n’était pas favorable aux requérantes dans la mesure où une faute lourde était exigée et que les juges du fond avaient souligné l’absence d’une telle faute.
Cette décision peut sembler la bienvenue dans la mesure où la prise en compte de la nouvelle jurisprudence du Conseil d’Etat pourrait avoir pour effet une certaine permissivité dans l’accueil des requêtes relatives à cette espérance légitime dès lors qu’une action en responsabilité serait engagée.
Said Bakir