Droit & social business : vers une Société « acapitaliste » ?

 


La conférence sur « La micro-finance, du micro-crédit au social business » qui s’est tenue à La Sorbonne mardi 11 mai, et qui était présidée par le Professeur Germain, a entre autres permis de mettre en lumière une question majeure, tant au plan juridique que d’un point de vue économique, celle de la place du « social business » dans notre Société.

 

 


 

 

Concept initié par le Professeur Yunus, Prix Nobel de la paix en 2006 et nominé pour le Nobel d’Economie, le social business repose sur une logique économique redoutable d’ingéniosité et d’efficacité : plutôt que de donner 100 euros qui seront consumés dans l’acquisition d’un bien par le destinataire, injecter 100 euros dans un social business permettra à l’investisseur de récupérer ces 100 euros afin de les réinvestir dans un autre social business. Ce modèle lui permet ainsi d’ « investir à taux zéro » certes,  mais dans plusieurs projets qu’il estime avoir des chances de prospérer : une fois les fonds alloués au bénéficiaire d’un premier projet et l’activité sous-jacente sur la voie de la croissance, l’investisseur initial va non pas percevoir de dividendes mais a minima récupérer sa mise initiale et, partant, réinvestir dans un nouveau social business. Là où la logique du don traditionnel est linéaire, le processus prenant fin sitôt l’argent du destinataire consommé dans l’achat d’un bien, celle du social business est circulaire.

 

Cela étant, il est intéressant de revenir sur le débat portant sur l’intérêt du clivage qui oppose économie sociale et économie capitaliste, pour voir combien il peut sembler suranné (I).  Débat qui amène à poser la question de l’appréhension juridique du social business (II).

 

 

  1. I. Le nécessaire dépassement du clivage économie sociale / économie capitaliste

 

 

A priori, ce qu’on appelle  économie sociale  apparaît tout à fait antinomique avec la notion traditionnelle d’économie capitaliste. Celle-ci reposerait, dans sa conception la plus épurée, sur le postulat central de la maximisation du profit comme finalité première de l’entreprise. Celle-là aurait pour objectif prioritaire et pour moteur la création de valeur sociale, sociétale ou encore environnementale, et le profit ne servirait qu’à la pérennité du projet social.

 

Un nouveau mouvement, incarné par ce que d’aucuns nomment les « entrepreneurs sociaux », est pourtant en marche : l’économie sociale tend de plus en plus à emprunter au mode de fonctionnement capitaliste. Ainsi la logique du don s’efface-t-elle peu à peu, au profit de celle de l’investissement, basée sur l’apport de capitaux. Néanmoins, la finalité première des entrepreneurs sociaux n’est pas de réaliser des profits : le but poursuivi est avant tout social.

 

On s’aperçoit donc que le social business, de par son mode de fonctionnement, n’est pas « per se » incompatible  avec le fonctionnement du système capitaliste. Certains vont même jusqu’à le classer comme instrument de l’économie capitaliste.

 

En tout état de cause, et bien qu’il n’y ait pas en France de « third sector » mêlant à la fois l’économie sociale et le capitalisme, le clivage entre les deux notions – qui semble dénué d’intérêt pour la pratique, sinon pour le débat idéologique – mérite d’être dépassé. Il importe également de construire, dans l’ordre interne, un cadre juridique prenant en compte ce dépassement.

 

 

  1. II. Société versus association : quel cadre juridique pour le social business ?

 

 

L’élaboration d’un cadre juridique propre aux spécificités du social business, qui on vient de le voir apparaît comme étant emprunt d’hybridité, amène à prendre position sur le choix de la forme sociétale qu’il conviendrait d’adapter. En la matière, ce choix pourrait tendre vers une évolution soit du régime des sociétés, soit de celui des associations.

 

Si aujourd’hui le social business se développe pour une large majorité des acteurs sur la base du modèle associatif, certains auteurs se montrent favorables à son expansion sous forme de société. Une question envisagée est alors celle de la modification de l’article 1832 du Code civil. Selon cet article, l’entreprise à vocation à partager les bénéfices ou à réaliser des économies. Or on l’a vu, l’économie sociale n’a pas pour finalité de maximiser le profit ; c’est donc la notion même d’intérêt social qui mériterait d’être étendue afin de facilité l’accès du social business au régime des sociétés.

 

D’autres auteurs, comme l’avocat Daniel Hurstel, pensent que le développement du social business passe par la voie de l’association plutôt que par celle de la société. Opposant radicalement l’entreprise traditionnelle au social business – au moins du point de vue de leur objectif prioritaire –, l’auteur prône une solution qui tient compte de l’ambigüité précédemment soulignée dont fait l’objet l’économie sociale. Ainsi explique-t-il qu’il faudrait que la loi permette aux associations d’avoir, à l’instar des sociétés, un capital social, lequel serait toutefois non rémunéré. Ce nouveau type d’associations, que l’on pourrait qualifier d’ « acapitalistes », faciliterait en effet les apports en capitaux initiaux, et contribuerait par là même au développement du social business.

 

Quoiqu’il en soit, une chose paraît désormais bien ancrée, l’essor du social business devra passer par des adaptations de notre système juridique, lequel est voué à prendre en compte la logique économique qui préside au social business et en fait son originalité. « Acapitalisme » ou non, ce qui est  sûre c’est que nous nous acheminons bel et bien « Vers un nouveau capitalisme1 ».

Edouard de Lestrange

MBA Droit des Affaires et Management-Gestion (Université Paris 2 Panthéon-Assas)

 

 

Notes

 

[1] Muhammad Yunus, « Vers un nouveau capitalisme », JC Lattès, 2008.

 



 

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