Ce dossier du mois aura une vocation de « faire-part » pour une grande partie de ses lecteurs. Effectivement, pour ceux qui l’ignoraient encore, la justice étatique a une sœur, et le juge étatique un cousin germain, l’arbitre. Comme dans toute fratrie, chacun a un caractère bien défini, des qualités et des défauts, mais un même objet ici, celui de trancher les litiges. Cet article se propose très modestement de faire connaître au plus grand nombre, ce qu’est réellement l’arbitrage.
Un peu d’histoire…
Considéré à tort, comme un simple «phénomène de mode» qui se développerait de nos jours, en parallèle d’une justice étatique encombrée, l’arbitrage se caractérise, pourtant, par sa permanence historique.
Si l’on soupçonne l’existence d’une forme d’arbitrage dans l’Orient ancien, il faut attendre l’Antiquité pour constater qu’Aristote avait déjà théorisé le statut de l’arbitre. À Rome, l’arbitrage est très précisément réglementé dans les compilations de Justinien, servant de modèles jusqu’au XVIe siècle.
À l’époque médiévale, cette justice privée pénètre la société, quel que soit le milieu social. C’est une justice qui est privilégiée à la justice seigneuriale violente et formaliste. À la veille de la Révolution française, la justice arbitrale est intégrée de force à l’institution judiciaire royale qui tente par ce moyen de limiter son expansion et par là même la concurrence qu’elle exerce. Mais dès 1789, le juge royal est discrédité et l’époque se caractérise par la volonté de rendre la justice au peuple, l’arbitrage est donc revalorisé comme le prouvent les lois révolutionnaires du 16 et 24 Août 1790, pour lesquelles « l’arbitrage est le moyen le plus raisonnable de terminer les contestations entre les citoyens ».
Au XIXe siècle, les codifications napoléoniennes mettent fin à ce renouveau de l’arbitrage. L’arbitrage est circonscrit à son plus strict minimum, l’époque est à la glorification du juge étatique.
Précisons que les textes sont en passe d’être révisés par un décret annoncé pour fin 2010, début 2011.
Ce bref historique permet de voir qu’un mouvement de balancier est observable entre l’arbitrage et la justice étatique : l’expansion de l’une répond au déclin de l’autre.
I. Définition de l’arbitrage
Justice parallèle ou mode alternatif de résolution des conflits, la voie de l’arbitrage demeure le mode privilégié, sinon exclusif, de résolution des conflits commerciaux internationaux comme nationaux.
L’originalité du droit de l’arbitrage tient à la nature même de cette institution. L’arbitrage a une nature à la fois contractuelle et juridictionnelle.
Quand y a-t-il un arbitrage ? Problème récurrent dans la pratique, la notion d’arbitrage trouve en premier lieu un cadre dans le Code de procédure civile, au sein duquel le Livre quatrième lui est entièrement dédié, ensuite dans le Code civil aux articles 2059, 2060 et 2061 mais également dans la jurisprudence ou les conventions internationales.
Toutefois les dispositions précédemment citées n’apportent pas tous les éléments de réponses. Pour ce faire, il est nécessaire de réunir différentes conditions (Ch. Jarrosson, La notion d’arbitrage) : des parties en conflit, une volonté explicite ou implicite incontestable de résoudre le conflit par la voie de l’arbitrage et la désignation d’un tiers chargé de rendre une sentence arbitrale qui a force de chose jugée. Le choix du tiers est fait rationae materiae par les parties qui décident d’être les acteurs d’une véritable procédure obéissant aux garanties fondamentales de bonne justice.
Arbitrage interne ou international ? Le caractère international ou non de l’arbitrage ne relève pas du choix des parties mais de la mise en œuvre d’un critère juridique. Pour être international, l’arbitrage doit porter sur un contrat qui met en jeu les intérêts du commerce international. Loin d’être tautologique, ce critère implique l’existence de flux et de reflux financiers entre les frontières (Doctrine du procureur Matter) ; cf. CPC, art. 1492). La distinction n’est pas purement formelle car de la qualification (arbitrage international ou interne) dépend le régime juridique, et notamment la mise en œuvre de recours contre les sentences arbitrales. Ainsi, par exemple, dans l’arbitrage international, l’appel et le recours en révision sont exclus.
La pierre angulaire de l’arbitrage est la volonté des parties, qui disposent d’une grande liberté pour déterminer le cadre de la résolution de leur litige. Ce cadre est fixé par les parties via la convention d’arbitrage, qui peut prendre deux formes selon que le litige est, ou n’est pas, déjà né. Lorsqu’elle est insérée dans le contrat principal, la convention d’arbitrage prend la forme de la clause compromissoire, c’est-à-dire que les parties s’engagent en cas de litige à recourir à l’arbitrage (cf. le principe de l’autonomie de la clause compromissoire). En revanche, lorsque le litige est déjà né, les parties acceptent de recourir à l’arbitrage, et la convention d’arbitrage prend la forme du compromis d’arbitrage (CPC, art. 1447). En pratique, le recours à l’arbitrage se fait bien plus souvent par le biais de la clause compromissoire car il est beaucoup plus difficile de se mettre d’accord sur le mode de résolution du désaccord une fois le litige né que lorsqu’il n’y a pas encore de litige.
Mais tous les litiges ne sont pas arbitrables. Sont ainsi exclus du champ de l’arbitrabilité les litiges qui mettent en cause les droits dont les parties ne disposent pas. Toutefois le champ de l’arbitrabilité ne cesse de s’étendre, comme en témoigne la loi du 15 mai 2001, dite loi NRE qui autorise la clause compromissoire dans tous les contrats conclus à raison d’une activité professionnelle (C. civ., nouvel art. 2061). Malgré ce que pourrait laisser croire la rédaction de l’article 2061 du Code civil, la clause compromissoire reste interdite dans les contrats de travail et de consommation en matière interne. De même, l’État ne peut compromettre en matière interne, sauf exception. En matière internationale, les prohibitions sont beaucoup moins fortes. Ainsi, par exemple, une personne morale de droit public français peut compromettre lorsqu’elle agit comme opérateur du commerce international au même titre qu’une multinationale.
Cette extension de l’arbitrabilité se manifeste également par la possibilité de compromettre pour des matières relevant de l’ordre public.
Toutefois, il ne faudrait pas croire que liberté rime avec absence de formalisme. Il faut qu’on soit certain que les parties aient voulu renoncer à la justice étatique et aient la volonté de recourir à l’arbitrage. Soulignons qu’en matière internationale, le formalisme est très atténué.
II. La constitution du tribunal arbitral
Les parties ont toute liberté pour choisir un arbitrage institutionnel, particulièrement adapté au commerce international, et qui est encadré par des centres d’arbitrage (contrôle du choix des arbitres, de la procédure, application de la jurisprudence élaborée par les centres et institutions, supervision du déroulement de l’instance…) tels que la Chambre de commerce Internationale (CCI) ou le Centre de médiation et d’arbitrage de Paris (CMAP).
L’autre possibilité ouverte aux parties est celle d’un arbitrage ad hoc. À la différence d’un arbitrage institutionnel pour lequel le règlement de l’institution qui accueille l’arbitrage s’applique, l’arbitrage ad hoc se caractérise par la totale liberté offerte aux parties et aux arbitres.
L’arbitrage ad hoc est très répandu en droit interne. La désignation des arbitres est réglementée par le Code de procédure civile. Dans un premier temps l’article 1451 CPC prévoit que l’arbitre doit être une personne physique jouissant du plein exercice de ses droits civils. Les magistrats en activité ne peuvent exercer de mission arbitrale depuis une réforme de 2001 (L.n° 2001-539, 25 juin 2001). Cette prohibition ne touche ni les magistrats à la retraite, ni les juges consulaires en activité, qui peuvent donc être arbitre.
En matière interne, il est prévu que le tribunal soit constitué de manière impaire. Dans la pratique, les parties désignent le plus souvent trois arbitres : chaque partie choisit un arbitre et les deux arbitres désignent le troisième arbitre qui préside le tribunal arbitral.
La désignation d’un arbitre unique par les parties est plus rare mais présente l’avantage de diminuer le coût de l’instance arbitrale,
Par ailleurs, le juge étatique joue également un rôle dans la composition du tribunal arbitral en tant que juge d’appui dans l’hypothèse où l’une des parties se refuserait de nommer un arbitre ou si les deux arbitres déjà désignés ne parviennent pas à choisir le troisième.
III. Les principes de l’instance et la sentence arbitrale
En matière interne, la procédure arbitrale doit respecter les principes directeurs du procès civil (CPC, art. 1460). Mais les parties sont libres de déterminer le lieu où siégera le tribunal arbitral. Toutefois ce choix n’est pas anodin dans la mesure où il en découle la compétence du juge du recours en annulation, ainsi que du juge d’appui.
Quelle loi est appliquée par l’arbitre ?
L’arbitre n’étant soumis à aucune lex fori, aucune règle de conflit de lois n’a de titre particulier à régir le litige qui lui est soumis.
Toutefois, dans la plupart des cas, l’arbitre n’a pas à rechercher la loi applicable au fond car les parties l’ont préalablement déterminée. Les parties disposent d’une grande latitude dans l’exercice de ce choix, et peuvent choisir une loi étatique mais aussi un ensemble de règles a-nationales (principes Unidroit, usages, lex mercatoria…). En l’absence de choix d’une loi applicable, l’arbitre doit appliquer les règles de droit qu’il estime appropriées tout en tenant compte des usages (CPC, art. 1496). L’arbitre et les parties jouissent de la même liberté pour la désignation de la loi applicable au fond et à la procédure.
Toutefois les parties, en raison de la spécificité de leur litige, n’ont pas toujours intérêt à ce que leur différend soit tranché par une loi. Elles disposent dans ce cas de la possibilité de faire appel à la haute conscience qu’a l’arbitre du droit. Dans ce cas, l’arbitre a le rôle d’un amiable compositeur. Qualification reconnue depuis le Moyen Age, qui permet à l’arbitre de statuer en équité sans pour autant bouleverser l’économie générale du contrat. Il corrige au nom de l’équité, ce que l’application de la règle de droit pure et simple aurait d’excessif (CPC, art. 1483).
Enfin les articles 1469 et suivants du Code de procédure civile fixent les règles fondamentales présidant à la conduite de l’instance arbitrale. Ainsi, la sentence arbitrale doit être motivée et adoptée à une majorité de voix.
IV. Pourquoi recourir à l’arbitrage ? Quels avantages et quels inconvénients
La détermination des raisons qui poussent les parties à recourir à l’arbitrage implique de s’attarder sur les singularités de cette « autre justice » par rapport à la voie judiciaire classique.
Les parties qui ont recours à l’arbitrage en amont ou aval de l’existence d’un litige peuvent s’accorder sur le ou les arbitres qui vont trancher leur litige. Il s’agit là d’un extraordinaire avantage, dont elles ne disposent pas devant le juge étatique, car concrètement, elles pourront choisir leur juge privé en fonction de sa spécialisation dans le cas de litiges particulièrement techniques, de sa sensibilité juridique, de sa disponibilité ou de ses compétences linguistiques notamment.
Autre caractéristique qui fait les beaux jours de l’arbitrage : c’est sa confidentialité. S’il n’existe aucun principe général de confidentialité, les parties qui optent pour un arbitrage, généralement dans un litige aux enjeux financiers importants, ont tout intérêt à éviter la médiatisation de l’existence de ce litige (avec toutes les conséquences économiques que cela peut avoir…) et à s’accorder sur la discrétion de la procédure.
De plus, le processus arbitral appelle l’attention, de par sa rapidité par rapport au travail des juridictions étatiques surchargées. Mais il est là encore « la chose » des parties, qui décident elles-mêmes de sa durée : l’arbitre s’attarde sur les points litigieux, que les parties souhaitent voir traiter, elles décident des étapes de la procédure (faire ou non plusieurs échanges de mémoires, la durée pour ces échanges, etc.) et elles pourront décider d’y mettre fin à tout moment en concluant une transaction.
L’arbitrage, contrairement à la justice étatique, relève de la volonté des parties qui se sont accordées sur une personne l’arbitre, pour trancher leur litige. L’empreinte étatique est donc nulle, ce qui a pour conséquence que la reconnaissance d’une sentence arbitrale est beaucoup plus aisée que la reconnaissance d’une décision judiciaire. Cette facilité de circulation des sentences arbitrales au sein des divers ordres juridiques nationaux est renforcée par la large ratification de la Convention de New York de 1958 qui réunit aujourd’hui 145 pays.
Mais l’arbitrage a aussi ses inconvénients. Certains contempteurs de l’arbitrage n’hésitent pas à considérer cette justice non pas comme une justice sur mesure mais comme une « justice haute couture », voire comme une « justice de riches », présentant un coût prohibitif pour nombre de litigants. Ces derniers ne peuvent recourir à l’aide juridictionnelle en matière arbitrale. En conséquence seules des entreprises aux moyens financiers importants, semblent pouvoir s’offrir le luxe de recourir aux services de l’arbitre et des conseils.
Pour les spécialistes de la matière néanmoins, la chose est à relativiser, d’abord, au regard de la complexité des litiges et des enjeux financiers en cause, ensuite, par le fait que près de 80 % des frais engagés dans la procédure arbitrale sont destinés à rémunérer le travail des conseils (que l’on retrouve aussi devant le juge étatique) et non les arbitres eux-mêmes.
Enfin, on peut faire le reproche à l’arbitrage, surtout international, de s’institutionnaliser, voire de se bureaucratiser, au point parfois de « singer » la justice étatique. L’arbitrage perd ainsi de sa souplesse et corrélativement de son attrait.
Car s’il est une chose qu’il faut retenir de l’arbitrage, c’est qu’il s’agit d’un mode de résolution des litiges qui repose avant tout sur la volonté des parties. Ce sont elles qui dessinent le procès arbitral, ce sont elles qui en posent les contours et qui en fixent les modalités.
Cette caractéristique intrinsèque à l’arbitrage lui permet de jouir à travers le monde d’un dynamisme certain, tant le spectre de solutions qu’il offre aux parties est étendu.
N’en déplaise aux contempteurs de l’arbitrage, son développement se confirme chaque année davantage, et tend même à s’accélérer si l’on en croit les dernières statistiques de la Chambre de commerce internationale qui abrite le principal centre d’arbitrage au monde. Le contentieux arbitral connaît en effet une progression de 50 % sur les dix dernières années.
Et, il n’y a pas de raison que ce mouvement cesse !
Sarah Stefano
Sharon Cohen
Jean-Christophe Gasnier
Vers notre interview de Thomas Clay, Doyen d’université et arbitre reconnu.
Pour en savoir plus Clause compromissoire et nullité manifeste (CA Rennes, ch. com. 2, 12 janv. 2010 : JurisData n° 2010-015162 ) : JCP G 2010, act. 1075
Geneviève Augendre : l’arbitre est une femme : JCP G 2010, act. 1017
La Cour de cassation rappelle aux arbitres la nécessité de respecter le délai d’arbitrage (Cass. 1re civ., 22 sept. 2010, n° 09-17.410, FS P+B+I : JurisData n° 2010-016623) : JCP G 2010, act. 965, obs. J. Béguin
Le compromis d’arbitrage n’est pas une clause abusive (Cass. 1re civ., 25 févr. 2010, n° 09-12.126, F P+B+I : JurisData n° 2010-000757 ) : JCP G 2010, note 659, A. Pélissier
Les dix commandements du président d’un tribunal arbitral interne ad hoc : JCP G 2010, prat. 646, Entretien J. Béguin et J. Ortscheidt
Droit de l’arbitrage : JCP G 2010, doctr. 644, chron. J. Béguin, J. Ortscheidt et Ch. Seraglini
Les contorsions byzantines du Tribunal des conflits en matière d’arbitrage : JCP G 2010, act. 552, Aperçu rapide Th. Clay
Comment limiter les voies de recours postérieures à la sentence dans l’arbitrage ? : JCP G 2010, prat. 271, Entretien J. Béguin et J. Ortscheidt
E. Gaillard, Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) – Chronique des sentences arbitrales : JDI 2010, n° 2, chron. 2, |