« Donner et retenir ne vaut » [1]
Du principe d’irrévocabilité spéciale des donations à la timide affirmation du droit au divorce.
Depuis le 1er janvier 2005 est entrée en vigueur la loi du 26 mai 2004, qui vient prolonger la réforme initiée par le doyen Carbonnier (et la loi du 11 juillet 1975) relative au divorce.Outre la modification des quatre cas de divorce reconnus jusqu’alors, la loi de mai 2004 a également bousculé le régime applicable aux donations entre époux. Restait alors au juge à appliquer cette réforme, et à répondre aux interrogations laissées par le silence du texte. À l’occasion de l’arrêt rendu par sa 1ère chambre civile, la Cour de cassation s’est prononcée sur la validité des clauses de non-divorce, dont le sort était incertain après le 26 mai 2004.
Le 14 mars dernier, la Cour de cassation a été saisie d’une question jusqu’alors discutée par la doctrine: est-il possible, depuis la réforme du 26 mai 2004, pour des épouxd’organiser à l’avance le sort des donations faites entre eux durant leur union, si toutefois ils venaient à divorcer? Si différents auteurs penchaient pour la validité des clauses de non-divorce, alors que d’autres défendaient la nullité de ces clauses [2], la Cour de cassation semble avoir nettement choisi son camp.
Dans sa décision rendue le 14 mars 2012, la Haute juridiction avait à connaître de l’affaire suivante: un époux avait fait donation [3] à son épouse d’un droit viager d’usage et d’habitation portant sur un bien immeuble lui appartenant en propre – ce bien n’entrait donc pas dans la communauté – par un acte dans lequel il avait été inséré une clause de non divorce, c’est-à-dire une stipulation par laquelle le ou les auteurs de l’acte envisageaient la résolution de ce dernier en cas de rupture de l’union matrimoniale par l’effet du divorce ou en cas de séparation de corps. Au moment de l’assignation en divorce pour altération définitive du lien conjugal introduite par l’époux donateur, celui-ci demanda également la constatation de la résolution de plein droit de la donation qu’il avait auparavant consenti à celle qui allait devenir son ex-épouse. La cour d’appel fit droit à cette demande, considérant la clause de non-divorce comme licite, et constata que la clause résolutoire de la donation était acquise. Cette décision fut contestée par l’épouse, qui forma un pourvoi en cassation, soutenant qu’une telle clause de non-divorce devait être entendue comme illicite, et donc nulle.
C’est au double visa de l’article 265, alinéa 1er, et 1096, alinéa 2 du code civil, que les magistrats de la Haute Cour ont cassé et annulé l’arrêt rendu par la cour d’appel ; en application des nouvelles dispositions introduites par la loi du 26 mai 2004, les clauses de non-divorce ne peuvent être insérées dans un acte de donation de biens présents prenant effet au cours du mariage.
Par cette décision, la Cour de cassation fait application du principe d’irrévocabilité spéciale des donations, qui prévaut depuis la réforme du divorce, en contrepied du régime antérieurement appliqué. En effet, avant 2004, toutes les donations entre époux étaient librement révocables – on pouvait alors entendre que les époux étaient libres, au moment de leur divorce, de révoquer ce qu’ils avaient donné à leur conjoint sous l’influence sans doute de l’affectio matriomonii. Depuis la réforme, précisée par la loi du 23 juin 2006, le régime général des donations entre époux a été modifié, et désormais seules sont révocables les donations de biens à venir, qui d’ailleurs tombent automatiquement par le seul effet du divorce, et les donations de biens présents qui n’ont produit encore aucun effet ; à l’inverse, ne sont plus révocables les donations de biens présents qui prennent effet au cours du mariage [4]. Et plus encore, l’article 265 du Code civil, dans sa rédaction issue du 26 mai 2004, précise que « le divorce est sans incidence sur les avantages matrimoniaux qui prennent effet au cours du mariage et sur les donations de biens présents quelle que soit leur forme ».
Désormais, le sort de la donation dépend de l’objet sur laquelle elle porte (bien présent, bien présent à terme – dont les effets sont reportés – ou bien à venir) et non plus sur la cause du divorce, critère retenu par le droit antérieur, qui considérait que les donations devaient rester acquises à l’époux victime en cas de divorce pour faute aux torts exclusifs du donateur, ou en cas de divorce pour rupture de la vie conjugale, à l’initiative du donateur. Ce faisant, on se trouve dans un mouvement d’objectivisation des causes de révocation des donations entre époux, puisque ne sont plus pris en compte les torts respectifs de chacun. Restait à savoir si à ce régime légal pouvait s’ajouter des dispositions conventionnelles; ou si l’article 265 du Code civil se retrouvait être d’ordre public, et ne supportait ainsi aucune dérogation décidée par les parties à la donation.
Influencé par le caractère déjà reconnu d’ordre public de l’irrévocabilité des donations entre vifs [5] (article 894 du Code civil), mais encore entre concubins [6] et partenaires pacsés – et donc dans un souci de cohérence du droit positif – la Cour de cassation a refusé de valider les aménagements conventionnels qui porteraient atteinte au principe d’irrévocabilité. Elle a ainsi a considéré, dans son arrêt du 14 mars 2012, que les dispositions impératives de l’article 265 du Code civil faisaient obstacle « à l’insertion, dans une donation de biens présents prenant effet au cours du mariage, d’une clause résolutoire liée au prononcé du divorce ou à une demande de divorce ». Ces donations ne peuvent être révoquées que dans les cas prévus par la loi ; et le divorce ne fait, bien au contraire, pas partie de ces différents cas. Cette solution dégagée par la Cour de cassation, et soutenue par une partie de la doctrine, s’impose comme logique. En effet, la possibilité laissée aux époux donateurs de révoquer leur donation en cas de divorce est en totale contradiction avec le principe d’irrévocabilité des donations, qui serait sinon resté lettre morte en pratique : pour la sécurité personnelle, ne vaut-il mieux pas donner en pouvant reprendre, si les relations (bientôt ex-conjugales) se dégradent… ?
II. Au-delà d’une solution tranchée : l’affirmation du droit au divorce ?
À y regarder superficiellement, l’arrêt du 14 mars 2012 ne fait que répondre à la question posée au juge, à savoir si les clauses de non-divorce, dans le cas des donations de biens présents prenant effet au cours du mariage, sont ou non prohibées ; et, une fois n’est pas coutume, la Haute juridiction répond limpidement à l’interrogation. Mais, en filagramme, d’autres enjeux prennent place dans cette décision.
Alors même que, sous l’empire du droit ancien du divorce, la Cour de cassation avait pu valider les clauses de non-divorce dans les donations de biens à venir (à condition que la cause soit licite, conclue sans intention de nuire au donataire) [7] – solution qui devrait perdurer dans l’état du droit positif, puisque ces donations de biens à venir sont librement révocables – en ce qui concerne les donations de biens présents prenant effet au cours du mariage, ces mêmes clauses sont nulles. De cette affirmation posée par la Cour de cassation le 14 mars dernier, il en ressort pour une partie de la doctrine [8] une affirmation du droit au divorce, pendant de la liberté de se marier [9]. En effet, bien que les Hauts magistrats soient restés sur le terrain de l’irrévocabilité des donations pour censurer la décision des juges du fond, et ne se soient pas directement aventurés sur le terrain du « droit au divorce », c’est bien un droit à la séparation qui est ici affirmé, puisqu’une convention entre des époux ne sauraient être acceptée juridiquement si elle restreignait le droit pour chacun de divorcer ensuite : entre le bénéfice de la donation faite par son époux donateur, et le choix de chacun de faire perdurer ou non le lien matrimonial dans le temps, il n’y a plus à choisir. La Cour de cassation a ainsi bien entendu que les contraintes contractuelles et pécuniaires que représenterait une clause de non-divorce dans un acte de donation risqueraient de porter une atteinte difficilement admissible au droit au divorce [10], droit qui s’il n’est pas reconnu à part entière, a bien été dégagé par la loi du 26 mai 2004, avec l’instauration du divorce pour altération définitive du lien conjugal, sorte de droit de répudiation unilatéral des temps modernes.
Cette décision cependant ne sera pas sans soulever plusieurs questions. D’une part, elle s’inscrit à l’inverse du mouvement actuel de contractualisation du droit de la famille [11], et notamment du droit du divorce. Par cet arrêt, la Cour de cassation interdit aux époux d’organiser ensemble, à l’avance, le sort des donations de biens présents prenant effet au cours du mariage si jamais ils venaient à se séparer, alors même que le droit, issu de la loi de 2004, tend aujourd’hui à favoriser la liberté contractuelle des époux, qui dans le divorce par consentement mutuel sont incités à organiser eux-mêmes, en grande partie, les conséquences de la rupture du lien matrimonial [12].
D’autre part, si elle se comprend dans une logique de sécurité juridique en ce qu’elle permet au donataire de jouir du bien présent donné de manière immédiate et irrévocable par principe – sans que les transferts opérés ultérieurement à un tiers ne supportent le risque d’être résolus si la donation venait à être révoquée au moment du divorce (ce qui aurait pour effet de la faire tomber rétroactivement) – cette solution n’en est pas pour autant équitable ou morale, car elle permet au donataire de profiter de la donation faite à son profit, peu importe ses torts envers le donateur [13]. Cependant, entre droit et moral, il n’y a souvent qu’un pas, que la sécurité juridique empêche de franchir !
Nathalie JARRY
Notes :
[1] : Maxime coutumière, reprise par le juriste Loysel au XVIIème siècle [2] : Pour la validité de ces clauses, voir notamment J.-R. Binet, Clause de non divorce et libéralités conjugales : un heureux mariage, D. 2006 p.1923 et F. Terré et P. Simler, Les régimes matrimoniaux, 6ème édition Dalloz 2011 n°769 ; à l’inverse, pour leur nullité : S. Piédelièvre, L’aménagement des libéralités entre époux par la loi du 26 mai 2004, D. 2004 p. 2512 [3] : La donation est « un contrat par lequel le donateur transfère immédiatement et irrévocablement, avec une intention libérale la propriété d’un bien ou l’un de ses démembrements à une autre personne (le donataire) qui l’accepte sans contrepartie » (définition du Lexique des termes juridiques, Dalloz, 15ème édition) [4] : Sauf pour les cas prévus par la loi : voir les articles 953 à 958 du Code civil : inexécution des conditions dans lesquelles la donation a été faite et/ou ingratitude ; la révocation pour cause de survenance d’enfants ne s’appliquant pas entre époux (article 1096, alinéa 3, du Code civil) [5] : Reconnu depuis l’article 1er de l’ordonnance royale du 17 février 1731 ; sur cette question : A. Posez, La soumission des donations entre époux au principe d’irrévocabilité spéciale des donations, Recueil Dalloz 2012 p. 1386 [6] : CA Versailles, 9 juillet 1992 : L’article 1096 n’est pas applicable aux donations faites entre concubins, lesquelles, dès lors, sont irrévocables. [7] : Civ. 1ère, 13 déc. 2005 n°02-14.135 [8] : Sur cette question: J. Hauser, Y a-t-il un droit au divorce ?, RTD Civ. 2012 p. 300 [9] : Qui est une liberté constitutionnelle depuis la décision Cons. Const. 13 août 1993 ; le droit international reconnait également la liberté de se marier (Conv. EDH, art. 12 et Décl. Univ. des droits de l’homme, art. 16) [10] : Thèse d’A. Posez, préc. Cité [11] : Voir La contractualisation du droit de la famille, D. Fenouillet, Economica [12] : En ce sens, S. David, AJ Famille 2012, p. 223 [13] : En ce sens, M. Grimaldi, La clause de non-divorce mise hors la loi dans les donations de biens présents entre époux, RTD Civ. 2012, p. 357 |
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