Diamants, mannequin et dictateur : le procès Taylor

 


La presse a largement relayé ces derniers jours les images de Naomi Campbell, dont le témoignage a été entendu à La Haye. L’ancienne top model permet ainsi au Petit Juriste de revenir sur une affaire qui serait restée bien confidentielle sans cette touche de glamour : le procès Taylor.

 


 

Tout spectateur est en droit de se demander pourquoi les 5 et 9 août derniers ont vu se succéder devant les caméras Naomi Campbell et Mia Farrow. Elles ne se donnaient pas la réplique dans un nouveau Woody Allen, bien que cette histoire ressemble en tout point à un scénario de long métrage américain, avec des diamants, un dictateur, et un procès.

 

 

I              Le synopsis

 

 

Pour bien comprendre le scénario, il faut avoir en tête plusieurs éléments.

 

Le premier est la guerre civile de Sierra Leone, qui a sévi de 1991 à 2002. Au sein de ce petit pays d’Afrique occidentale s’est en effet déroulée une guerre opposant l’armée à un groupe rebelle, le RUF (pour Revolutionnary United Front) dont est proche Charles Taylor. Ce dernier, ancien président du Libéria, est accusé d’avoir financièrement soutenu le RUF lors de la guerre civile. Car en effet, la Sierra Leone est l’un des tout premiers producteurs mondiaux de denrées rares telles que le titane, le rutile, et surtout, les diamants. Charles Taylor aurait souhaité obtenir le contrôle de ces ressources minières non négligeables.

 

Le second est l’action de l’ONU. Durant la guerre civile, l’organisation internationale a voté un embargo sur le pétrole et les armes en provenance du pays (1997) et missionné des casques bleus (Mission d’observation des Nations Unies en Sierra Léone – MONUSIL). En 1999, suite aux Accords de Lomé prévoyant diverses mesures afin de ramener la paix, l’organisation créé la Mission des Nations Unies en Sierra Léone (MINUSIL) pour veiller au respect des termes de l’accord. Mais devant la recrudescence des combats, elle vote en 2000 un embargo sur les diamants en provenance du pays, et créé le Tribunal Spécial pour la Sierra Léone (TSSL).

 

 

 

Sierra Leone

 

 

II             Le lieu du tournage

 

 

Les protagonistes du film se retrouvent à La Haye. C’est en effet cette ville bien connue des Pays-Bas qui a été choisie pour être le siège du TSSL. La résolution 1315 du Conseil de sécurité des Nations Unies du 14 août 2000 « [réaffirme] qu’il importe de respecter le droit international humanitaire et

[réaffirme] en outre que ceux qui commettent ou autorisent la commission de graves violations du droit international humanitaire en sont responsables et comptables à titre individuel et que la communauté internationale ne ménagera aucun effort pour qu’ils soient jugés conformément aux normes internationales de justice, d’équité et de respect de la légalité […] ».

 

Elle instaure donc le TSSL. Ce dernier n’est pas un tribunal pénal international comme les tribunaux Pénaux Internationaux pour le Rwanda ou l’ex-Yougoslavie (TPIR et TPIY), et n’est pas non plus analogue à la Cour Pénale Internationale (CPI). C’est ce que l’on nomme une juridiction internationalisée, c’est-à-dire, un compromis entre la justice internationale classique (CPI, TPIY, TPIR) et la justice interne (de chaque pays). Le tribunal ainsi institué par un accord « bilatéral » entre l’ONU et l’Etat considéré a en effet la particularité d’être inséré dans l’ordre juridique interne du pays. C’est d’abord une loi nationale qui le créé, puis est ratifié l’accord entre le pays et l’ONU. Ce type de tribunal existe également au Cambodge pour juger les Khmers Rouges. Ces tribunaux siègent donc dans le pays d’origine. En revanche, ils possèdent des éléments intern   ationaux : une partie de leurs juges et de leurs procureurs sont internationaux, et ils peuvent juger selon des règles de droit international.

 

Cela dit, l’internationalité d’un tel tribunal peut varier. Le TSSL est la plus internationale de ces institutions. En effet, même si les juges nationaux sont majoritaires en première instance, ils sont minoritaires en appel. Le tribunal complète l’ordre juridique interne, mais en reste indépendant. Il y a en revanche parité entre les procureurs sur une même affaire. L’un est national, l’autre international. De plus, suite à des menaces de reprise de la guerre civile, le TSSL a dû se délocaliser à La Haye.

 

Les attributions du TSSL lui permettent de juger des exactions commises en Sierra Leone durant la guerre civile. Il ne juge pas que des crimes reconnus par le droit international, et accepte de connaître de crimes spécifiques du droit sierra-léonais. Par exemple, il aurait pu juger des mineurs, car le droit du pays d’origine le permet, tandis que les traités internationaux sur les droits de l’enfant ne s’appliquent pas en matière pénale.

 

Le but d’un tel tribunal est donc double. Par sa mixité, il cherche à éviter les écueils souvent reprochés à la justice uniquement internationale (lenteur, manque d’effectivité, confidentialité, éloignement du pays d’origine) tout en permettant un cadre institutionnalisé et, autant que faire se peut, plus serein.

 

 

III            Les rebondissements et les protagonistes

 

 

L’affaire relatée depuis le 5 août par les média est celle de Charles Taylor. L’ancien dirigeant du Libéria est mis en examen au titre de 11 chefs d’accusation dont meurtres, viols, mutilations de civils, esclavage sexuel de femmes et fillettes, recrutement d’enfants soldats, pillages… Il a été inculpé par le tribunal le 7 mars 2003, et est le premier chef d’Etat africain à être jugé pour ses crimes. Sa première comparution est intervenue en 2006.

 

Charles Taylor plaide non coupable. Selon ses avocats, il aurait cherché à maintenir la paix en Sierra Leone, et non à y entretenir le conflit. Il risque en tout cas une peine de prison à perpétuité, qu’il purgerait au Royaume-Uni compte tenu d’un accord bilatéral entre ce pays et la Sierra Leone.

 

Le dernier rebondissement en date est celui qui a impliqué dans les débats l’ex-top model Naomi Campbell. Après avoir d’abord refusé de s’exprimer, Naomi Campbell, citée à comparaître à La Haye, a dû confirmer avoir reçu des diamants. « J’étais en train de dormir, on a frappé à ma porte et j’ai ouvert. Et deux hommes étaient là et m’ont donné une petite bourse et ont dit: ‘Un cadeau pour vous’. […] J’ai ouvert la petite bourse le lendemain matin. J’ai vu quelques petites pierres, de toutes petites pierres à l’aspect sale ».  Charles Taylor avait pour sa part, le 14 janvier dernier, nié ces faits.

 

 

 

Naomi Campbell

Naomi Campbell prête serment devant le tribunal spécial pour la Sierra Leone. [Reuters]

 

 

Ce témoignage est crucial aux yeux de l’accusation, car il prouve que Charles Taylor avait en sa possession des diamants bruts. Or, c’est avec cette ressource, ces « diamants du sang », qu’il a pu se fournir des armes pour entretenir le conflit. Cela dit, Naomi Campbell a refusé de reconnaître la provenance de ces joyaux. Son ex-agent, ainsi que Mia Farrow, ont par la suite contredit son témoignage. L’agent déclare en effet qu’ « elle était très excitée et m’a dit : ‘ [Charles Taylor] va me donner des diamants’ ». La scène a lieu lors d’un dîner de charité. Mia Farrow, également présente, indique quant à elle que Naomi Campbell aurait affirmé avoir reçu « un gros diamant » de la part de l’accusé. L’association ayant organisé le dîner de charité aurait depuis conservé les diamants, ayant des doutes sur leur origine.

 

 

IV           Critiques et box-office

 

 

La mise en accusation de Charles Taylor a été accueillie avec ferveur par beaucoup de commentateurs, même si certaines voix discordantes ont pu reprocher que par cette accusation, d’autres protagonistes ne seront pas jugés pour leurs crimes.

 

De nombreux problèmes émaillent tout de même le procès. Les accusations de manque d’impartialité des juges face aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, la volonté d’un procès « en 18 mois », les difficultés pour caractériser certains crimes par manque de preuves…

 

La touche de glamour apportée par le témoin Campbell permet en tout cas de faire connaître le procès du dictateur, et peut être, pourra orienter certains étudiants vers le droit international public !

 

 

Antoine Faye

 

 

Pour en savoir plus

 

 

Article Wikipédia sur la Guerre Civile de Sierra Leone

 

Résolution 1315 de l’ONU

 

Site officiel du TSSL

 

Article Wikipédia sur le TSSL

 

L’ex-président libérien Charles Taylor, jugé à La Haye, prépare sa défense, aidh.org

 

ANALYSE : Le procès de Charles Taylor devant le Tribunal Spécial pour la Sierra Leone : enjeux politiques et perspectives judiciaires, multipol.org

 

La défense de Charles Taylor sera très politique, rfi

 

Naomi Campbell et les diamants de Charles Taylor, L’express

 

Naomi Campbell aurait bien reçu des diamants, Le parisien

 

« Diamants du sang » : Qu’est-il reproché exactement à Charles Taylor ?, 20 minutes

 

Repères, les « diamants du sang » du procès de Charles Taylor, Cyberpresse

 

Le dessaisissement des tribunaux nationaux au profit des tribunaux pénaux internationaux : une encadrement abusif par le droit international de l’exercice de la compétence judiciaire interne ?, Lambert-Abdelgawad Elisabeth, Revue générale de droit international public, 01/04/2004, n°108-2, p. 407-438.

 

Tribunaux pénaux internationalisés: État des lieux d’une justice  » hybride « , Romano Cesare, Boutruche Théo, Revue générale de droit international public, 01/01/2003, n°107, p.  109-124.

 

 

 

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