Peu avant de tirer sa révérence, l’ex-ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a renouvelé les relations collectives de travail en les insérant dans un système se voulant plus moderne, moins complexe et donc plus efficace. Le 17 août 2015 est adoptée la loi n° 2015-994 dite « loi Rebsamen » dont l’entrée en vigueur échelonnée nécessitait la prise d’un certain nombre de décrets d’application. Après plusieurs mois d’expectative, le premier semestre 2016 a finalement vu fleurir les décrets d’application les plus attendus. Afin de prendre la mesure de l’impact de la réforme consacrée le 17 août 2015, un bilan des évolutions proposées s’impose.
Un remaniement en profondeur
En toile de fond de la réforme, se dessine la volonté de donner plus de champ au dialogue social et de décentraliser la prise de décision en favorisant le niveau local, celui de l’entreprise, de l’établissement ou de la branche, au dépend du niveau national. Flexibilité et proximité sont les maîtres mots du mouvement dans lequel s’inscrivent aujourd’hui les relations collectives et plus largement, le droit du travail.
La loi Rebsamen du 17 août 2015 offre tout d’abord de nouveaux interlocuteurs aux très petites entreprises (moins de 11 salariés) en créant des commissions paritaires régionales interprofessionnelles. Ces dernières visent à assurer la représentation des salariés des TPE lorsque celles-ci ne relèvent pas d’une branche ayant déjà mis en place des commissions paritaires régionales ou départementales. Composées de 20 membres disposant de crédit d’heures et du statut de salarié protégé, elles ont pour rôle de conseiller et d’informer salariés et employeurs, de faciliter la résolution des conflits et sont force de proposition pour l’amélioration des activités sociales et culturelles.
Ensuite, la loi Rebsamen se concentre sur les relations sociales au sein d’entreprises dotées de représentants du personnel. Face au constat de la complexification du dialogue social lié au développement exponentiel des obligations d’information, la nécessité de réformer le dialogue social s’est fait sentir. Plusieurs rapports récents appelaient le législateur à intervenir afin de mettre un frein au chevauchement de territoires qui engendrent des doublons et conduit à une opacité ainsi qu’à un brouillage des fonctions des différentes institutions[i]. En outre, la complexification des relations collectives de travail et l’ambition d’accroître le rôle des partenaires sociaux au niveau de l’entreprise implique la professionnalisation des représentants du personnel.
Aussi, en vue d’aboutir aux objectifs exprimés dans l’étude d’impact de la loi Rebsamen du 15 août 2015, deux voies sont empruntées par la réforme : une (tentative de) simplification du dialogue social et une valorisation des parcours des représentants du personnel.
La simplification du dialogue social
La simplification du dialogue social passe d’abord par la possibilité de regrouper les instances représentatives du personnel, ensuite par celle de regrouper les informations.
Concernant le regroupement des instances représentatives du personnel, la délégation unique du personnel (DUP), instituée par la loi du 20 décembre 1993, fait l’objet de deux élargissements majeurs. D’une part, la loi Rebsamen relève le seuil d’effectifs permettant la mise en place d’une DUP qui passe de 200 à 300 salariés. Cet élargissement semble pertinent eu égard aux obligations que déclenche pour l’employeur le franchissement du seuil de 300 salariés (GPEC, bilan social, création d’une commission d’information et d’aide au logement au sein du CE). D’autre part, le CHSCT est désormais intégré dans la DUP. Celui-ci conserve toutefois ses compétences et sa personnalité juridique. Les modalités de fonctionnement de la DUP demeurent pour la plupart inchangées. Ainsi, sa mise en place relève toujours d’une décision unilatérale de l’employeur après simple consultation des institutions représentatives du personnel (IRP) et ne peut intervenir qu’à l’occasion du renouvellement ou de la création de l’une des institutions qui la compose. La loi Rebsamen introduit néanmoins certains changements susceptibles d’avoir de l’importance[ii]. Ainsi, les membres de la DUP sont désormais élus selon les conditions d’élection des membres du CE alors qu’auparavant s’appliquaient les conditions d’élection des délégués du personnel. Cela implique l’impossibilité des salariés mis à disposition de se présenter à l’élection (ceux-ci étant éligibles à l’élection des DP mais pas des membres du CE). Par ailleurs, les réunions de la DUP se déroulent en présence des trois instances et non plus l’une après l’autre (dans l’ancienne DUP se réunissait d’abord les DP, ensuite le CE). Ces réunions devront être au moins bimestrielles au lieu de mensuelles et quatre réunions au minimum doivent être consacrés à des thématiques concernant le CHSCT. En cas de consultation, elle donne lieu à un avis unique et en cas d’expertise, elle sera commune. En outre, la DUP est désormais dotée d’un secrétaire et d’un secrétaire adjoint. La loi Rebsamen a également précisé les cas de disparation de la DUP que sont la décision unilatérale de l’employeur et les franchissements de seuil (le passage sous le seuil de 50 salariés ou le dépassement du seuil de 300 salariés). Enfin, le nombre de représentants et d’heures de délégation a été fixé par le décret n°216-345 du 23 mars 2016 en vertu duquel, selon l’effectif de l’entreprise, la DUP est composée de 4 à 12 titulaires disposant d’un nombre d’heures de délégation compris entre dix-neuf et vingt-et-une heures[iii]. Les membres de la DUP disposent d’une grande liberté dans l’octroi des heures de délégation qu’ils peuvent cumuler et se répartir[iv].
Parallèlement, pour les entreprises de plus de 300 salariés, la loi Rebsamen inaugure la possibilité de mettre en place une sorte de « DUP conventionnelle » à géométrie variable. Ce regroupement peut concerner les trois institutions que sont le CE, les DP et le CHSCT ou seulement deux d’entre elles. Il est instauré par accord majoritaire au moment du renouvellement ou de la constitution de l’une des institutions qui le composent. Cet accord majoritaire est d’une nature particulière dans la mesure où l’audience est mesurée à partir des suffrages exprimés au premier tour des élections professionnels en faveur des seules organisations syndicales représentatives. Dès lors, un syndicat ayant obtenu seulement 10% des suffrages exprimés, mais qui serait le seul syndicat représentatif dans l’entreprise, représenterait 100% des suffrages pris en compte pour évaluer l’audience de l’accord majoritaire. Ce mode de calcul n’est cependant pas nouveau puisqu’il est également utilisé pour les accords de maintien dans l’emploi ou les PSE conventionnels[v]. Les institutions regroupées forment une instance unique qui dispose de la personnalité morale. Néanmoins, tout comme dans le DUP, il s’agit seulement d’une juxtaposition d’instances et non d’une fusion de celles-ci. Le fonctionnement de l’instance regroupé est fixé par l’accord majoritaire l’instituant dans les limites instaurées par la loi et le décret n° 2016-868 du 29 juin 2016[vi]. Ainsi, l’instance doit se réunir au moins six fois par an et ses membres peuvent bénéficier de 12 ou 16 heures de délégation selon que l’instance regroupe deux ou trois des IRP précitées ainsi que de 5 jours de formation minimum. A défaut de précision dans l’accord, les dispositions supplétives instaurées par décret sont complétées soit par les règles de fonctionnement propres au CE lorsque celui-ci est intégré dans le regroupement, soit par celles applicables au CHSCT lorsque le CE est exclu du regroupement.
La loi Rebsamen consacre par ailleurs le regroupement des informations.
D’une part, les obligations d’information sont rassemblées en trois grands thèmes au lieu de 17 autrefois. Le CE est désormais informé sur les orientations stratégiques de l’entreprise, sur la situation économique et financière de celle-ci ainsi que sur sa politique sociale, les conditions de travail et l’emploi. Néanmoins, cette évolution constitue davantage une nouvelle organisation de l’information la rendant plus lisible qu’un véritable changement radical de celle-ci dans la mesure où son contenu demeure sensiblement le même. Dans la même logique de rationalisation, la loi Rebsamen a supprimé le système d’information via rapports et bilans en ne laissant subsister que la base de données économiques et sociales (BDES), qui a toutefois été abondées des mêmes informations que celles qui résultaient des bilans et rapports supprimés. Enfin, l’information trimestrielle dans les entreprises de plus de 300 salariés a été simplifiée par la loi et précisée par le même décret.
D’autre part, la loi Rebsamen consacre la possibilité de regrouper les informations en organisant des réunions communes à plusieurs IRP lorsqu’un projet nécessite leur information ou leur consultation[vii]. Sont concernées presque toutes les IRP, à savoir les délégués du personnel, le Comité d’entreprise ou d’établissement et le comité central d’entreprise, le CHSCT mais aussi le Comité de groupe et le Comité d’entreprise européen. L’ordre du jour de la réunion commune doit être communiqué au moins huit jours avant la réunion et les règles de composition et de fonctionnement propres à chaque institution doivent être respectées. Par exemple, en cas de réunion commune comprenant le CHSCT, l’inspecteur du travail et les agents des services de prévention des organismes de sécurité sociale devront être informés et les personnes assistant avec voix consultative aux réunions de cette instance devront être convoquées. L’avis des personnes informées peut être recueilli pendant la réunion commune si l’ordre du jour le prévoit et à condition de respecter les règles de consultation propres à chacune des instances. La consultation commune apparait cependant problématique lorsque les deux instances doivent être consultées sur un même projet selon un ordre chronologique prédéfini. Enfin, la loi Rebsamen précisée par décret, rend possible le recours encadré à la visioconférence pour la réunion de la plupart des institutions représentatives du personnel et notamment en cas de réunions communes[viii].
La valorisation du parcours des représentants du personnel
La valorisation du parcours professionnel des représentants du personnel se traduit par une meilleure prise en compte du mandat de représentant. Trois mesures phares ont été adoptées par la loi Rebsamen et précisées par décret.
Tout d’abord, la technique de l’entretien a été développée. Dans un premier temps, au début de leur mandat, les représentants du personnel titulaires, les délégués syndicaux et les titulaires d’un mandat syndical bénéficient, à leur demande, d’un entretien individuel avec leur employeur. Cet entretien, qui ne se substitue pas à l’entretien professionnel, porte sur les modalités pratiques d’exercice du mandat au sein de l’entreprise au regard de l’emploi occupé. Il s’agit de favoriser la conciliation du mandat et de l’activité professionnelle du représentant. Lors de cet entretien, le représentant peut être accompagné par une personne de son choix appartenant au personnel de l’entreprise. Dans un second temps, certains représentants bénéficient au terme de leur mandat d’un entretien avec leur employeur. Sont concernés les représentants du personnel titulaires ou les titulaires d’un mandat syndical disposant d’heures de délégation sur l’année représentant au moins 30 % de la durée du travail stipulée dans leur contrat de travail (à défaut, de la durée applicable dans l’établissement). L’objet de l’entretien est de procéder au recensement des compétences développées au cours du mandat et de préciser les modalités de valorisation de l’expérience acquise. Les débats parlementaires et la lettre du texte laissent penser que l’entretien de fin de mandat se confond avec l’entretien professionnel précité, ce dernier servant à valoriser les parcours syndicaux au terme du mandat[ix].
Ensuite, la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 a créé un dispositif national de valorisation des compétences acquises par les représentants du personnel dans l’exercice de leur mandat. Une liste de compétences correspondant à celles déployées lors de l’exécution d’un mandat de représentant du personnel ou syndical sera établie par l’administration et inscrite au répertoire national des certifications professionnelles. Ce recensement des compétences permettra aux intéressés d’obtenir une certification ou une qualification notamment dans le cadre d’une demande de validation des acquis de l’expérience[x]. L’entrée en vigueur de la mesure est toutefois subordonnée à l’identification des compétences par les partenaires sociaux et à leur inscription au répertoire par l’administration Cette évolution s’inscrit dans l’objectif de professionnalisation des représentants du personnel et syndicaux, elle a ainsi le mérite d’améliorer l’efficacité du dialogue social et de responsabiliser les partenaires sociaux.
Enfin, la loi Rebsamen introduit des garanties de non-discrimination salariale à l’égard de certains élus du personnel et titulaires d’un mandat syndical. Ce dispositif s’adresse aux mêmes représentants du personnel et syndicaux que ceux concernés par l’entretien de fin de mandat, c’est à dire à ceux dont le nombre d’heures de délégation sur l’année dépasse 30 % de leur temps de travail effectif. Les représentants visés bénéficient d’une évolution de rémunération au moins égale, sur toute la durée de leur mandat, aux augmentations générales et à la moyenne des augmentations individuelles, perçues pendant cette période, par les salariés relevant de la même catégorie professionnelle et dont l’ancienneté est comparable. A défaut de tels salariés, l’évolution de leur rémunération devra correspondre aux augmentations générales et à la moyenne des augmentations individuelles perçues dans l’entreprise[xi]. Ce mécanisme trouve à s’appliquer lorsqu’aucun accord collectif de branche ou d’entreprise ne prévoit de garanties au moins aussi favorables. Si la garantie d’une progression minimale de rémunération est satisfaisante, le texte de loi pose néanmoins un certain nombre de questions susceptibles de soulever des contentieux. En premier lieu, l’appréciation du pourcentage du temps de travail consacré à l’exécution du mandat peut s’avérer discutable. Il est admis que seuls doivent être pris en compte les crédits d’heures de délégation, légaux ou conventionnels, et pas les temps de réunions et de déplacements. Il n’est pas précisé si les heures de délégation à prendre en compte sont celles effectivement prises par le salarié concerné (en tenant compte des éventuels dépassements liés à des circonstances exceptionnelles ou à la mutualisation des heures de délégation dont il a pu, le cas échéant, bénéficier) ou le nombre théorique d’heures de délégation auquel ouvre droit le mandat exercé. En second lieu, des difficultés peuvent survenir s’agissant des éléments dont il faut tenir compte pour évaluer la rémunération. L’article L. 3221-3 du code du travail dispose que la rémunération est constituée du salaire de base ainsi que tous les avantages et accessoires dont bénéficie le salarié en raison de son activité professionnelle. Il en ressort que les rémunérations variables dépendant de la réalisation d’objectifs sont inclus dans la rémunération et partant, dans ce mécanisme de garantie. Cela peut paraitre discutable dès lors qu’une telle rémunération vise à récompenser l’efficacité du salarié et qu’elle est précisément aléatoire en tant qu’elle est indexée sur l’activité réelle du salarié. Une telle exclusion apparaitrait d’autant plus normale que l’inégalité en termes de temps consacré à l’activité professionnelle qui existe entre un salarié lambda et un salarié investi d’un mandat est déjà palliée par l’obligation jurisprudentielle de proratiser les objectifs en fonction du temps de travail effectif du salarié, déduction faite du temps de délégation et de représentation[xii]. De même, les éléments de rémunération tenant à l’individu, tels qu’une prime de mariage ou une prime liée à une sujétion spécifique, devraient être exclus de la base de calcul. L’administration a d’ailleurs précisé à propos du mécanisme de rattrapage salarial à l’issue du congé de maternité ou d’adoption, qu’il n’était pas comptabilisé dans les augmentations[xiii].
En conclusion, si la loi Rebsamen a apporté un certain nombre de nouveautés remarquables, elle ne constitue pas la révolution que certains espéraient et que d’autres redoutaient. Certains points de la loi méritent d’être éclaircis par la pratique et sans doute par les contentieux qui ne manqueront pas de naître.
Audrey Casanova
[i] Rapport de Louis Gallois « Pacte pour la compétitivité de l’industrie française » du 2 novembre 2012 ; Rapport de Pierre-Yves Verkindt « Le CHSCT au milieu du gué » du 28 février 2014
[ii] C. trav., art. L. 2326-3
[iii] C. trav., art. R. 2326-14 et R. 2326-2
[iv] C. trav. art. L. 2326-6
[v] C. trav., art. L. 5125-4 et C. trav., art. L.1233-24-1
[vi] C. trav. art. L. 2393-1
[vii] C. trav., art. L. 4616-1
[viii] C. trav., art. D. 23-101-1
[ix] C. trav., art. L. 2141-5
[x] C. trav., art. L. 6112-4
[xi] C. trav., art. L. 2142-5-1
[xii] Cass. soc., 6 juillet 2010, n° 09-41354
[xiii] Circ. SDFE/DGEFP/DGT, 19 avr. 2007, NOR : SOCK0751799C, JO 17 mai