Notre pratique professionnelle n’existe et ne se légitime qu’à travers notre clientèle. Nous devons à celle-ci, entre autres, la pérennité de la pratique de nos cabinets, notre réputation, l’émulation nécessaire à notre réflexion, ses faiblesses, ses mutations et ses opportunités. La constitution de cette clientèle – mélange subtil entre le facteur humain et la crédibilité professionnelle – fait toutefois l’objet tant de fantasmes que de théories scientifiques et demeure à bien des égards, quelle que soit l’ancienneté de notre pratique, entourée d’un mystère. Elle n’obéit à aucune formule scientifique, mais repose, comme si souvent, sur notre inspiration et notre détermination.
Difficile de formaliser ou de rationaliser les règles qui gouverneraient l’établissement de la relation avec un client, tant les voies empruntées par celui-ci avant d’accorder sa confiance à un avocat peuvent être impénétrables. Plusieurs mois d’efforts de développement afin de sensibiliser un client potentiel ne porteront pas leurs fruits tandis que, dans un phénomène quasi miraculeux, un client pourra spontanément – sans vous avoir jamais réellement fréquenté – vous contacter afin de vous confier la défense de ses intérêts. S’il est donc délicat d’établir une règle, autorisons-nous néanmoins à tracer quelques lignes directrices qu’il nous semble indispensable de respecter dès les premières années de sa pratique professionnelle. Car si « l’acquisition » d’un client ne peut obéir à une formule équationnelle, elle constitue le plus souvent le fruit d’efforts continus, inscrits dans une stratégie spécifique.
La recherche de clientèle doit obéir à une stratégie
La recherche d’une clientèle obéit avant tout à une stratégie qui ne peut naturellement être uniformisée, mais doit être adaptée à chacun, en fonction d’un certain nombre de critères qu’il convient de lister : quels sont mes domaines de compétence et d’expertise ? Puis-je raisonnablement les revendiquer tous ? Quels sont les réseaux dont je dispose et que je peux activer afin de créer ma visibilité et d’y développer ma clientèle ? Est-ce-que je dispose d’une lisibilité et d’une visibilité suffisantes dans l’offre que j’exprime ; autrement dit, suis-je entendu, mais également perçu comme celui que je prétends être ?
Quel est le marché pertinent auquel je puis m’adresser (clientèle individuelle, petites ou moyennes entreprises, entreprises cotées) ? Chacune de ces questions sera – entre autres – déterminante pour l’établissement de la stratégie et des moyens nécessaires pour parvenir à sensibiliser des clients potentiels.
Savoir communiquer
Les prestations fournies par les avocats ont un coût élevé pour leurs clients. Ils figurent – ou sont perçus comme tels – parmi les prestataires de services les plus coûteux. Ces coûts importants – légitimes compte tenu de la complexité des sujets traités – ne peuvent être justifiés que si la prestation fournie apporte une valeur ajoutée au bénéfice du client et lui apporte une assistance utile dans les décisions qu’il est amené à prendre ou des procédures judiciaires auxquelles il est soumis. Il est donc indispensable d’apporter une expertise technique véritable, étant précisé que nombre de clients disposent eux-mêmes de compétence juridiques reconnues assorties d’une connaissance opérationnelle des sujets. La stratégie mise en œuvre par l’avocat doit donc tenir compte d’une expression claire et lisible du domaine d’expertise qui est le sien. Il semble par conséquent que l’un des meilleurs vecteurs de communication est constitué par la communication « scientifique », qui présentera pour chaque avocat un triple avantage :
- Elle crédibilise l’identité professionnelle ;
- Elle permet de se faire connaître de clients potentiels issus d’un secteur particulier tout en leur apportant d’ores et déjà des éléments utiles à leur réflexion ;
- Elle contraint à remettre continuellement à jour ses connaissances, ce qui est essentiel face à un corpus juridique dont l’évolution est exponentielle.
Insistons également sur l’importance de ne pas exprimer de manière désordonnée cette communication mais de s’y imposer une régularité. L’expérience démontre que les clients sont sensibles au caractère régulier des communications de ce type (newsletters, formations dispensées, articles, etc.) que l’on partage avec eux. Ils y voient – à juste titre – le signe d’une discipline et d’une méthode de travail qui participent également de la crédibilité de nos cabinets. Enfin, cette communication nous impose également de fréquenter dès nos plus jeunes années d’exercice les lieux de réflexion où les sujets que nous souhaitons incarner sont débattus : think tanks, colloques, réunions internationales d’avocats ou réunions sectorielles.
Ne pas oublier la dimension humaine de la relation, si essentielle.
La distanciation provoquée par le « tout digital » conduit à des situations stupéfiantes – si l’on prend suffisamment de recul pour les analyser – où l’individu se renferme autour de son arsenal électronique pour exprimer avec moins de subtilité des choses qu’il serait tellement plus simple de transmettre par la voix. Le mail devient la norme, la parole l’exception, et la rencontre directe une quasi intrusion dans l’intime. Il est indispensable de rétablir un lien humain dans la construction, mais également dans le maintien de la relation vis-à-vis des clients potentiels ou des clients habituels. Un entretien téléphonique régulier, des rencontres formelles ou même conviviales, dans un cadre suffisamment calme afin de pouvoir y échanger utilement, l’expression d’une curiosité indispensable à l’égard des métiers et de l’organisation des clients sont des démarches indispensables. Nous devons nous y efforcer. Plus encore, il est indispensable de traiter de manière incarnée et responsable les éventuelles difficultés qui pourraient surgir dans la relation avec les clients. Un incident, une sous-performance dans un dossier (cela nous arrive à tous) doivent être traités de manière immédiate et loyale : non par le truchement d’un long mail aussi maladroit que penaud, mais par le dialogue, l’explication, la réaffirmation de notre engagement. Et nous avons tous eu l’heureuse expérience de constater que nos clients peuvent admettre (voire oublier) l’existence d’un couac si nous nous sommes montrés diligents et responsables dans notre manière de le gérer.
Ça commence aujourd’hui
Manque de formation sur ces questions, absence d’une culture du développement de clientèle dans l’enseignement du droit, timidité historique d’une profession longtemps admirée et qui a parfois oublié qu’elle devait également apprendre à se promouvoir auprès d’autrui ? La démarche structurée vers le client potentiel, la gestion de la relation avec le client doivent être davantage enseignées. Plus encore que le manque de sensibilisation à ces questions, nous regrettons une doxa qui semble réserver la question du développement des clients aux seuls avocats déjà expérimentés. Trop souvent, et malheureusement, le jeune avocat – par méconnaissance de son propre potentiel, par manque d’encouragement ou par hésitation – estime que ce n’est qu’au bout de plusieurs années d’exercice professionnel qu’il pourra enfin poser les jalons lui permettant d’acquérir une clientèle. C’est une idée aussi fausse que dangereuse. Fausse tout simplement, parce que l’un n’empêche pas l’autre et qu’il est parfaitement possible de consolider avec rigueur ses connaissances et sa pratique au cours de ses premières années d’exercice tout en prenant soin de réfléchir de manière régulière aux domaines de prédilection qui sont les nôtres, aux réseaux que nous pouvons activer et aux clients potentiels vers lesquels nous pouvons nous tourner. Dangereuse surtout, parce que cette courbe de constitution de clientèle est longue, que ce sont des efforts anticipés, réguliers et répétés qui permettent de développer visibilité, lisibilité et crédibilité. Il faut commencer immédiatement, ne pas perdre de vue celles et ceux qui nous ont accompagnés dans notre parcours universitaire et professionnel car ce sont ceux qui nous connaissent le mieux et peuvent constituer des relais de visibilité, voire des prescripteurs. Ce qui nous semble important, au fond, est d’avoir conscience que chacun disposera, à des moments variables de son parcours professionnel, d’opportunités exceptionnelles qui pourraient changer de manière bénéfique le cours de notre carrière. Il est indispensable d’avoir rassemblé, en prévision de ces moments cruciaux, le savoir-faire et le savoir-être qui permettront à chacun de saisir ces opportunités : s’exprimer avec clarté, enthousiasme et humilité, connaître ses domaines de prédilection, être crédible sur les sujets que l’on revendique. C’est l’état d’esprit qui doit nous animer, dès notre plus jeune âge dans la profession.
Kami Haeri
Avocat associé – August & Debouzy
Ancien Secrétaire de la Conférence. Ancien Membre du Conseil de l’Ordre