L’année 2014 vient renforcer l’arsenal juridique à la disposition de l’administration nationale et locale en vue de mutualiser leurs moyens avec le secteur privé. Deux nouvelles sociétés d’économie mixte (SEM) voient le jour, aux spécificités proches mais répondant à des besoins distincts.
Créées dans le but de concilier les intérêts de la sphère privée et ceux de la sphère publique, les sociétés d’économie mixte sont des sociétés qui associent des actionnaires des deux bords dans le cadre juridique d’une société anonyme constituée à cet effet. A l’origine issues des décrets-lois Poincaré de 1926, les sociétés d’économie mixte se sont progressivement répandues : d’envergure nationale[1] ou locale[2], leurs modalités de constitution et de fonctionnement ont été modifiées.
Si la première des deux nouvelles SEM, issue d’une proposition de loi, est destinée aux collectivités territoriales (I), la seconde, ayant pour origine un projet de loi, répond avant tout aux besoins de l’Etat (II).
I- Un outil innovant à la disposition des collectivités territoriales : la « SEM à opération unique »
L’instauration d’une société d’économie mixte à opération unique a été un sujet relativement consensuel[3] au Parlement. Les parlementaires, de tout bord, ont voté la loi n°2014-744 du 1er juillet 2014 insérant au code général des collectivités territoriales un titre IV intitulé « Sociétés d’économie mixte à opération unique ».
Cette société anonyme, appelée également « SEM contrat » dans d’autres propositions de loi, est composée au minimum de deux actionnaires, l’un privé, l’autre public. La collectivité territoriale ou son groupement doit détenir entre 34% et 85% du capital. Couplés à l’opérateur économique, ils s’unissent afin de répondre à la demande de la collectivité locale. La spécificité première de cette SEM réside dans le fait qu’elle est constituée pour une durée limitée dans le seul but de conclure et d’exécuter un contrat. Le contrat doit avoir pour objet :
– soit la réalisation d’une opération de construction, de développement du logement ou d’aménagement ;
– soit la gestion d’un service public pouvant inclure la construction des ouvrages ou l’acquisition des biens nécessaires au service ;
– soit toute autre opération d’intérêt général relevant de la compétence de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales.
Cet objet unique ne peut être modifié pendant toute la durée du contrat. La SEM sera alors dissoute de plein droit au terme du contrat.
Si la SEM à opération unique est une innovation de par son objet, elle l’est aussi de par la procédure applicable en matière de publicité et de mise en concurrence. En effet, la sélection du ou des actionnaires opérateurs économiques et l’attribution du contrat à la SEM à opération unique mise en place sont effectuées par un unique appel public à la concurrence respectant les procédures applicables aux délégations de service public, aux concessions de travaux, aux concessions d’aménagement ou aux marchés publics, selon la nature du contrat destiné à être conclu. Le législateur s’est appuyé sur un arrêt récent de la CJCE en date du 15 octobre 2009 par lequel la Cour considère que les directives 2004/18/CE et 2004/17/CE du 31 mars 2004 « ne s’opposent pas à l’attribution directe d’un service public impliquant la réalisation préalable de certains travaux, tel que celui en cause au principal, à une société à capital mixte, public et privé, spécialement créée aux fins de la fourniture de ce service et ayant un objet social unique, dans laquelle l’associé privé est sélectionné sur appel d’offres public, après vérification des conditions financières, techniques, opérationnelles et de gestion se rapportant au service à assurer et des caractéristiques de l’offre au regard des prestations à fournir, pourvu que la procédure d’appel d’offres en question soit conforme aux principes de libre concurrence, de transparence et d’égalité de traitement imposés par le traité pour les concessions. » Si la SEM à opération unique est la notion retenue en droit français, le droit de l’Union européenne parle davantage de partenariat public-privé institutionnalisé.
La mise en concurrence est donc réalisée non pas lors de l’attribution du contrat mais lors du choix du partenaire ce qui constitue une innovation intéressante dans le paysage juridique français. La société sélectionnée pour constituer le capital de la SEM minimise ses risques car elle aura la garantie que le contrat sera attribué à la structure nouvellement créée. Cette procédure se trouve également reproduite dans la seconde SEM nouvellement envisagée.
II- Un outil spécifique pour répondre au problème du renouvellement des concessions hydrauliques : La « SEM hydroélectrique »
Le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte actuellement discuté au Parlement prévoit, en son article 29, la création d’une société d’économie mixte hydroélectrique. Cette nouveauté s’inscrit bien évidemment dans un contexte particulier : la France dispose en effet du deuxième parc installé d’Europe et l’énergie hydraulique est la première source renouvelable du pays. Les installations les plus importantes sont soumises au régime des concessions dont le renouvellement soulève des débats vigoureux entre remise en cause de la situation actuelle (EDF détenant la majorité du parc hydroélectrique français) et obligation de mise en concurrence.
L’objectif du projet de loi, porté par le Ministre en charge de l’énergie, est de concilier les impératifs de publicité et de mise en concurrence inscrits dans la loi Sapin ou la directive Concessions avec la participation des pouvoirs publics au capital de cette concession. Le résultat permettrait tout à la fois de constituer un pôle d’actionnaires publics conservant des pouvoirs de contrôle sur la concession et de désigner un actionnaire industriel issu du secteur de l’énergie et conservant le contrôle opérationnel.
Les caractéristiques de cette SEM sont peu ou prou identiques à celles à opération unique : la mise en concurrence s’effectue au stade du choix de l’actionnaire et non lors de l’attribution du contrat et elle est constituée dans le seul but de conclure et d’exécuter un contrat. Il n’en demeure pas moins que la SEM hydroélectrique conserve son utilité propre. La SEM à opération unique est en effet un outil à disposition des seules collectivités territoriales. Or, en matière d’énergie, l’autorité concédante pour l’usage de la force motrice de l’eau est l’Etat. L’Etat est donc présenté comme l’actionnaire public de référence, même si, sous réserve de son accord, certaines collectivités territoriales pourront s’y associer. Il n’est pas non plus inutile de mentionner que la création de deux dispositifs permet d’envisager, du fait de son objet spécifique, une évolution juridique propre aux SEM hydroélectriques, indifférente des évolutions législatives ou jurisprudentielles ultérieures applicables à la SEM à opération unique.
Si la société d’économie mixte à opération unique va probablement se concrétiser dans les mois à venir en raison de la publication de la loi et de l’engouement visible des parlementaires pour cette nouvelle structure, il faudra encore faire preuve de patience concernant la société d’économie mixte hydroélectrique puisque les débats au sujet du projet de loi de transition énergétique pour la croissance verte risquent d’être encore longs et animés.
Stéphane ANDRIEU
Magistère de Droit des Activités Economiques
Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Pour en savoir plus :
– Article 29 du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte. Etude d’impact disponible sur le site de l’assemblée nationale
– Loi n° 2014-744 du 1er juillet 2014 permettant la création de sociétés d’économie mixte à opération unique
– La « SEM à opération unique », nouvelle forme de partenariat public-privé institutionnalisé, Christophe MONDOU, Revue Lamy Collectivités territoriales, janvier 2014, n°97, p.37
– CJCE, 15 octobre 2009, Acoset, aff. C-196/08
[1] A titre d’exemple, GDF-Suez est détenu à près de 33% par l’Etat. La notion d’entreprise publique est souvent préférée à la notion de société d’économie mixte nationale.
[2] Les sociétés d’économie mixte locale (SMEL) voient ainsi leur régime juridique codifié aux articles L. 1521-1 et suivants du Code général des collectivités territoriales.
[3] Le Sénat a adopté à l’unanimité en seconde lecture la proposition de loi.