Deutsche Börse et NYSE Euronext : le Tribunal confirme l’interdiction de la concentration

Tribunal de l’Union Européenne

Affaire  T-175/12 Deutsche Börse AG / Commission

9 mars 2015

Plus de trois ans après la décision de la Commission, le Tribunal de l’Union Européenne a confirmé l’interdiction de l’opération de concentration projetée entre Deutsche Börse et NYSE Euronext.

Les institutions européennes étaient à l’origine pourtant favorables au phénomène de concentration des entreprises sur le continent, estimant qu’il leur permettait d’être plus puissantes et de mieux résister à la concurrence internationale. Les traités fondateurs ne prévoyaient du reste aucun contrôle. Cette vision, très libérale, changea complètement à partir des années 70, alors que l’ampleur du phénomène devenait une menace pour la concurrence à l’intérieur du marché unique. Pour lutter contre les abus, l’Union Européenne institua un contrôle a priori sur les concentrations. Le premier texte, du 21 décembre 1989, fut remplacé par le Règlement du 20 janvier 2004, 139/2004, complété par le règlement d’application du 7 avril 2004. Parallèlement, chaque Etat membre possède son propre droit national de contrôle, qui s’applique à chaque fois que l’opération n’est pas de dimension européenne.

Dans la présente affaire, tout commença en février 2011 : deux sociétés actives dans le domaine des marchés financiers, Deutsche Börse, opérateur de la Bourse de Francfort et NYSE, qui gère les bourses de New-York, Paris, Lisbonne et Amsterdam, négociaient une éventuelle fusion afin de créer le numéro un mondial du secteur sur tous les segments de marché. Le 29 juin de la même année, elles notifièrent à la Commission leur projet visant la création d’une société HoldCo de droit néerlandais. Face à l’étendue de ces segments, la Commission se saisit du dossier en août.

Par décision du 1er février 2012, elle déclara l’opération de concentration incompatible avec le marché intérieur. Après avoir analysé les effets du projet sur les marchés de certains instruments financiers dérivés européens négociés en bourse, notamment les taux d’intérêt européens, les produits dérivés sur actions individuelles et les produits dérivés sur indices boursiers, elle conclut que le projet entraînerait la création d’un quasi-monopole pour les transactions en bourse à l’échelon international[1]. Ensemble, les deux sociétés contrôleraient en effet plus de 90% des transactions mondiales sur ces produits, entravant de manière significative la concurrence effective. En outre, il ne resterait que peu de chances de voir de nouveaux concurrents s’imposer suffisamment sur le marché pour constituer une menace concurrentielle crédible pour la société issue de la concentration.

La Commission resta sourde aux mesures correctives proposées par les deux géants. Il faut dire que le ton avait été donné à de multiples reprises par le Commissaire à la concurrence, Joaquin Almunia, qui, par ses déclarations, avait tenté de convaincre l’exécutif européen de s’opposer au projet. Deutsche Börse introduisit donc le 12 avril 2012 un recours en annulation de la décision devant le Tribunal de l’U.E, à l’appui duquel elle invoqua trois moyens.

Dans son premier moyen, elle affirma que la Commission n’avait pas évalué correctement les pressions concurrentielles horizontales auxquelles les parties étaient soumises, en déclarant que celles-ci exerceraient mutuellement des pressions sur leurs frais de bourse et des pressions concurrentielles en matière d’innovation. Par ailleurs, la Commission aurait dû examiner le rôle des clients des parties, dont les principaux participent aux transactions de gré à gré. Dans son second moyen, elle considéra l’appréciation faite par la Commission des gains d’efficacité comme erronée, cette dernière ayant reconnu que seuls certains d’entre eux, liés à la fusion, étaient vérifiables et profitables aux clients, sans pour autant suffire à contrebalancer les effets de l’opération. Enfin, dans son dernier moyen, Deutsche Börse fit grief aux commissaires de ne pas avoir apprécié de façon adéquate les mesures correctives proposées par les parties, alors que NYSE s’était engagée à céder totalement les activités de produits dérivés faisant double emploi à Deutsche Börse. Il n’existerait alors pas de « relation symbiotique » entre les produits dérivés sur actions individuelles et sur indices boursiers et prétendre le contraire contredirait alors l’analyse de la Commission en matière de définition du marché.

Deutsche

Par son arrêt rendu le 09 mars dernier, le Tribunal rejeta l’ensemble des moyens invoqués par Deutsche Börse. Selon lui, aucun argument avancé ne remettait en cause les conclusions de la Commission sur la définition du marché pertinent, selon lesquelles les produits dérivés négociés en bourse et les produits dérivés négociés de gré à gré faisaient partie de marchés distincts. Il rejeta par ailleurs les arguments relatifs aux gains d’efficacité, ainsi que les engagements pris en vue de contrebalancer les restrictions significatives à une concurrence effective.

Comme de coutume, le Tribunal ne contrôla pas la pertinence économique de l’analyse de la Commission, mais seulement la qualification des faits et le raisonnement juridique.

Toutefois, la décision de 2012 apparaît comme conforme au règlement européen, dont l’article 2 dispose que la concentration entrave de « manière significative une concurrence effective dans le marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci, notamment du fait de la création ou du renforcement d’une position dominante ». Le véritable critère de contrôle, rappelons-le, est un critère souple. En effet, toujours selon le même article, la Commission doit tenir compte tout particulièrement de deux éléments : de la structure du marché en cause et de la position sur marché des entreprises concernées : si les entreprises qui participent à l’opération atteignent ensemble une part de marché de 50% ou plus, l’opération sera présumée incompatible avec le marché intérieur. Cette analyse concurrentielle est donc cohérente sur le plan juridique stricto-sensu. Elle est toutefois contestable d’un point de vue économique. En effet, lors de son contrôle, la Commission se livre à un bilan économique « pour l’avenir », en s’interrogeant sur les conséquences de l’autorisation de l’opération pour la concurrence au sein du marché intérieur, tout en considérant l’intérêt du consommateur. Elle possède donc un pouvoir d’appréciation relativement important. Dans le cas d’espèce, il peut être frappant de constater que les gains d’efficience relevés par les parties et non contestés par la Commission, en particulier sur les marchés de cotation et de négociation des valeurs mobilières, n’ont pas suffit à la convaincre d’autoriser la fusion[2].

Deutsche Börse a immédiatement publié un communiqué dans lequel elle réaffirme que « la Commission a employé une définition trop stricte du marché ». Elle a désormais jusqu’au 9 mai pour porter l’affaire devant la Cour de justice de l’Union Européenne.

La confirmation de cette interdiction devrait toutefois conforter Deutsche Börse dans sa progression asiatique, où elle multiplie les partenariats et trouve son principal relais de croissance[3].

 

François Penillard

 

[1] Tribunal de l’Union Européenne, « Le Tribunal confirme la décision de la Commission qui interdit l’opération de concentration projetée entre Deutsche Börse et NYSE Euronext », 9 mars 2015, [http://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2015-03/cp150032fr.pdf].

[2] Mourad MEDJNAH, « L’analyse juridique de l’interdiction de la fusion Deutsche Börse – NYSE Euronext », LegaVox.fr, [En ligne], http://www.legavox.fr/blog/maitre-mourad-medjnah/analyse-juridique-interdiction-fusion-deutsche-16553.htm#.VSLr1EIrNL5, (Page consultée le 31 mars 2015).

[3] Jean-Philippe LACOUR, « Veto confirmé contre la fusion NYSE-Euronext Deutsche Börse », LesEchos.fr, [En ligne], http://www.lesechos.fr/finance-marches/marches-financiers/0204210589971-veto-confirme-contre-la-fusion-nyse-euronext-deutsche-borse-1100202.php, (Page consultée le 30 mars 2015).

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