Depuis 2008, figure à l’article L. 442-6 du Code de commerce le déséquilibre significatif. Présente depuis 1995 dans le Code la consommation[1], et en discussion pour le Code civil[2], cette notion prend de plus en plus d’importance dans les relations commerciales.
Les fournisseurs avaient désormais un moyen de voir condamnés leurs distributeurs, postérieurement à l’inefficacité de la notion d’abus de dépendance économique de l’article L. 420-2 du Code de commerce[3]. Toutefois, une action du fournisseur implique que ce dernier ne pourra engager les moyens, puis assigner le grand distributeur, sachant que les représailles pourraient être importantes. C’est notamment pour cela que le législateur a donné qualité au Ministre de l’Économie pour agir contre le partenaire commercial accusé d’imposer ses volontés à ses cocontractants ou partenaires.
L’arme bien en place, restait la mise en œuvre
Hervé Novelli, à l’époque ministre de l’Économie, intente alors un peu moins d’une dizaine d’actions, toutes dans le secteur de la grande distribution, afin d’amorcer un mouvement et, par là, réaffirmer la volonté de rééquilibrer les relations dans ce secteur.
Très vite, se noue une jurisprudence autour des « assignations Novelli ». Sont ainsi sanctionnées les enseignes de grande distribution telles que Carrefour[4] ou Darty[5]. D’un autre côté, moins médiatiques et peut-être aussi moins fructueuses, de nombreuses affaires au cours desquelles le ministre n’intervient pas, sont intentées dans des domaines variés. A titre d’exemple, la location financière[6] est aujourd’hui le secteur dans lequel le plus de décisions au titre du déséquilibre significatif ont été rendues.
Une application contestable dans le secteur de la distribution
Le déséquilibre significatif est généralement établi par trois critères cumulatifs[7] :
– l’existence d’une relation entre partenaires commerciaux ;
– la soumission du partenaire ;
– le déséquilibre significatif résultant de la soumission.
Toutefois, cette analyse n’est pas toujours suivie strictement. Par exemple, dans un arrêt Galec[8], la Cour d’appel de Paris a pu se référer directement à l’analyse dite des « clauses noires », utilisées habituellement en droit de la consommation.
Dans l’arrêt Darty[9], deux clauses étaient en question : l’une permettait à Darty d’obtenir un avoir en cas de baisse de prix des marchandises ; l’autre autorisait Darty à retourner les produits invendus, notamment suite à une innovation rendant les produits obsolètes. Les deux ont été condamnées au titre du déséquilibre significatif. Les fournisseurs supportaient ainsi les risques inhérents au métier de distributeur, c’est à dire la gestion des stocks et la politique commerciale, sans avoir de prise sur ces leviers. À y regarder de plus près, la condamnation de Darty n’a rien de parfaitement logique. En effet, il existe des justifications à l’existence d’une telle clause. Darty vend des produits de haute technologie et commercialise des marques comme Apple, Samsung ou Hewlett Packard… Sur un marché en constante innovation, les produits en six mois à un an, deviennent rapidement obsolètes. Malgré tout, à chaque nouveau modèle, le distributeur doit faire face à un afflux de demandes et doit se doter de stocks conséquents. Une rupture de stock causerait une défaveur du consommateur et un dommage en termes de politique commerciale. Cette situation est rythmée et voulue par le fournisseur. Les intérêts des deux parties sont ici mêlés.
Le fournisseur peut lui aussi trouver utile de racheter les stocks de son distributeur. En effet, il peut ainsi maîtriser ses produits sur le marché, ce qui lui permet d’être certain que les consommateurs achètent chaque innovation… À tel point que, selon les arguments présentés par Darty, les fournisseurs eux-mêmes intègrent dans leurs conditions générales de vente les clauses incriminées. En ne pouvant accepter ces clauses dans les conventions uniques, Darty irait contre l’intérêt que les fournisseurs se reconnaissent. À cet argument, la Cour d’appel de Paris semble répondre que Darty a soumis ses fournisseurs à un déséquilibre significatif et que toute la question est là. Cet argument peut paraître peu convaincant au regard de la situation à laquelle l’arrêt aboutit, c’est-à-dire protéger les fournisseurs contre leur propre volonté, au titre du maintien de leur capacité de négociation.
Quel bilan ?
Bien que le déséquilibre significatif soit une bonne arme entre les mains des partenaires commerciaux pour assurer le respect d’une libre et véritable négociation, il semble que la notion nécessite plus de temps pour être mieux appréhendée et, surtout, que les relations commerciales hors grande distribution puissent utiliser plus utilement la notion, afin que les cas de succès soient également répartis entre tous les secteurs.
Marion Barbe
Pour aller plus loin :
- « Déséquilibre significatif : sept ans après, a-t-on atteint l’âge de raison ? », E. Dieny, JCP E n° 51-52, 17 décembre 2015
- Pour les bilans de la Commission d’examen des pratiques commerciales : Site economie.gouv.fr/cepc – Études – Les études de jurisprudence
[1] Loi n° 95-96, 01.02.1995, Article L 132-1 du Code de la consommation
[2] Articles 1168 et 1169 du Code civil tels que prévus par le projet de réforme du droit des contrats
[3] L’interprétation jurisprudentielle des critères les a rendus tellement difficiles à démontrer que la notion est pour l’instant inutilisable.
[4] CA Paris, 01.10.14, n°13/16336, Carrefour
[5] CA Paris, 25.11.15, n°12/14513, Darty&Fils
[6] Exposé dans « Déséquilibre significatif : sept ans après, a-t-on atteint l’âge de raison ? », E. Dieny, JCP E n°51-52 , 17 Décembre 2015
[7] Voir pour exemple : CA Paris, 29.10.14, n°13/11059, Radio Nova c/ TF1 Publicité
[8] CA Paris, 18.09.13, n°13/19251, GALEC
[9] CA Paris, 25.11.15, Darty&Fils, préc.