Quinze milliards d’euros. Tel est le montant estimé des ressources non mobilisables par les PME du fait des retards de paiement. À l’heure où ces retards sont à leur plus haut niveau depuis dix ans, le Ministre de l’Economie, dans un communiqué de presse du 23 novembre 2015, a affirmé faire de la réduction des délais de paiement « l’un des axes prioritaires de sa politique d’amélioration de la compétitivité des entreprises »[1].
Cette volonté n’est pour autant ni nouvelle, ni franco-française. Si le retard de paiement moyen en France est de 13,4 jours, il reste proche de la moyenne européenne située à 14,6 jours[2]. Rien de surprenant dès lors à ce qu’une directive européenne soit intervenue dès 2000 pour lutter contre le retard de paiement dans les transactions commerciales[3]. Ainsi, les délais prévus par l’article L. 441-6 du code de commerce, à savoir le délai supplétif de trente jours et le délai conventionnel maximum de soixante jours, ont-ils une origine européenne.
Notons qu’à l’échelle européenne, la directive du 16 février 2011, modifiant la directive de 2000 relative aux retards de paiement[4], prend bien soin de viser le secteur privé, mais aussi le secteur public. Pour ce dernier, le délai de soixante jours n’est permis qu’autant qu’il est expressément stipulé mais encore « objectivement justifié ». Le principe est donc pour le secteur public celui d’un paiement sous trente jours. Ces exigences ont bien été transposées par la loi du 28 janvier 2013[5], complétée par un décret du 29 mars 2013 relatif à la lutte contre les retards de paiement dans les contrats de la commande publique[6].
Pour autant, le secteur public est loin d’être exemplaire en la matière. Si certaines personnes morales de droit public se situent en dessous de la moyenne nationale, d’autres, comme les ministères et leurs services, la font largement gonfler[7]. Ainsi, si la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques (dite « Macron ») du 6 août 2015 est intervenue notamment pour élargir les pouvoirs de la DGCCRF en matière de délais de paiement aux entreprises publiques, ces dernières sont loin d’être les plus mauvais élèves. Les retards de paiement les plus importants étant le fait du Gouvernement, celui-ci s’est fixé l’objectif d’un paiement sous vingt jours d’ici 2017[8], contre trente aujourd’hui.
Il est néanmoins des domaines où le Ministre de l’Economie joint l’acte à la parole et où la sanction du non-respect des délais de paiement se durcit en pratique, comme à travers l’instauration de sanctions administratives (I), mais aussi la publication des informations relatives aux délais de paiement et des décisions de sanction (II).
I. Une nouvelle arme dans la lutte contre les retards de paiement : les sanctions administratives
- Le recours aux sanctions administratives
Issues de la loi relative à la consommation (dite « Hamon ») du 17 mars 2014, modifiée par la loi relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises (dite « Pinel ») du 18 juin 2014, les sanctions administratives sont venues se substituer aux sanctions civile et pénale. Que ce soit sur le fondement de l’article L. 441-6 ou L. 443-1, le code de commerce permet désormais à l’Administration de prononcer des amendes à l’encontre des entreprises qui ne respecteraient pas les délais de paiements. Qu’il s’agisse de la DGCCRF ou des DIRRECCTE, l’Administration dispose aujourd’hui d’un levier de sanction bien plus efficace car ne nécessitant pas l’intervention préalable d’un juge.
Le régime des sanctions administratives est prévu par l’article L. 465-2 du code de commerce. Le respect du contradictoire est ainsi assuré par l’information préalable de l’entreprise concernée, ainsi que par la possibilité qui lui est offerte de formuler, dans les soixante jours, ses observations écrites ou orales. L’on a pu s’inquiéter de ce qu’une partie du contentieux des délais de paiement allait désormais être traité par les juridictions administratives, novices en la matière. Il est encore trop tôt pour analyser la façon dont les juridictions administratives se saisiront de ce contentieux. Notons cependant qu’il ne leur est pas totalement inconnu. La règlementation des délais de paiement des personnes morales de droit public relevait déjà de la compétence du juge administratif…!
- La mise en œuvre des sanctions administratives
La mise en place de sanctions administratives est cohérente au regard de l’activité de l’Administration en matière de délais de paiement. Le rapport d’activité 2014 publié par la DGCCRF faisait état de nombreuses saisines et interventions, devant les juridictions civiles et pénales, visant à faire sanctionner des retards de paiement. Dans ce contexte, il était légitime de permettre à l’Administration d’agir directement.
De fait, moins d’un an après la mise en place des sanctions administratives, le Ministre de l’Economie fait état de 110 sanctions déjà prononcées, pour un montant total de 3,5 millions d’euros. Et la facture pourrait s’alourdir. Alors que les amendes sont aujourd’hui plafonnées à 75.000 euros pour une personne physique et 375.000 euros pour une personne morale, le Ministre de l’Economie envisage de porter à 2 millions le plafond des amendes, afin de mieux adapter la sanction à l’entreprise en cause. Le renforcement des sanctions est aussi envisagé sous l’angle du cumul des amendes, lequel permettrait de dépasser le plafond des 2 millions d’euros en cas de « multiples manquements »[9].
Un autre levier aurait pu être évoqué : celui des amendes pour non-respect d’une injonction de « se conformer à ses obligations, de cesser tout agissement illicite ou de supprimer toute clause illicite ». Prévues par l’article L. 465-1 du code de commerce, ces amendes peuvent aujourd’hui s’élever à 3.000 euros pour une personne physique, et 15.000 euros pour une personne morale. Aucune mention n’est pour le moment faite d’un relèvement de ces plafonds.
II. Le durcissement de la sanction des retards de paiement par la publication des informations relatives aux délais de paiement et des décisions de sanctions
- La publication des informations relatives aux délais de paiement
Pour que l’Administration sanctionne les retards de paiement, encore faut-il qu’elle en soit informée. À cet égard, l’Observatoire des délais de paiement n’est que d’une faible utilité, en ce qu’il ne désigne pas les entreprises responsables de retards de paiement. L’information peut certes être obtenue par l’Administration elle-même, grâce à son pouvoir d’enquête.
Reste qu’il a été jugé plus simple de faire remonter l’information par les entreprises elles-mêmes. L’article L. 441-6-1, issu de la loi de modernisation de l’économie (dite « LME ») du 4 août 2008 et modifié par la loi « Macron », dispose à cet effet que les entreprises dont les comptes sont certifiés par un commissaire aux comptes doivent communiquer dans leur rapport de gestion les informations relatives aux délais de paiement qu’elles pratiquent « effectivement ». Les modalités de présentation de ces informations ont été précisées par le décret du 27 novembre 2015 pris pour l’application de l’article L. 441-6-1 du code de commerce, révisant l’article D. 441-4 du code de commerce. Jusqu’ici, les entreprises devaient indiquer « la décomposition à la clôture des deux derniers exercices du solde des dettes à l’égard des fournisseurs par date d’échéance ». Pour les exercices ouverts à compter du 1er juillet 2016, les entreprises devront désormais faire figurer les factures « dont le terme est échu ». Le montant total devra être ventilé « par tranche de retard » et rapporté au montant total, pour les fournisseurs, des achats et, pour les clients, du chiffre d’affaires. Par dérogation, les entreprises pourront opter pour une information faisant apparaître non pas les retards de paiement à la date de la clôture, mais le nombre et montant cumulé des factures « ayant connu un retard de paiement durant l’exercice ». L’objectif est ainsi de rendre encore plus lisible pour les tiers l’information relative à la pratique de l’entreprise en matière de délais de paiement.
Cette logique de stigmatisation des retards de paiement est aussi mise à l’œuvre dans le cadre des sanctions administratives.
- La publication des décisions de sanctions
En mettant en place les sanctions administratives pour non-respect des délais de paiement, la loi « Hamon » avait ajouté que « la décision de l’autorité administrative peut être publiée ». La loi « Macron » est venue garantir le caractère contradictoire de cette publication, celle-ci pouvant être qualifiée de sanction au même titre que l’amende. L’article L. 465-2 V dispose désormais qu’en cas de publication de l’amende, la personne doit avoir été informée lors de la procédure contradictoire de « la nature et des modalités de la publicité envisagée ».
Les modalités de publication des noms des entreprises sanctionnées avaient déjà été prévues par un décret du 30 septembre 2014[10]. L’article R. 465-2 exige ainsi que les modalités de publication soient précisées dans la décision prononçant l’amende. La publication peut être faite par voie de presse, par voie électronique ou par voie d’affichage. Si un délai maximum de deux mois a été prévu pour l’affichage, la question de son application à la publication par voie électronique reste ouverte…. Il conviendra dès lors de se référer à la décision pour déterminer la durée maximale des publications électroniques.
Le renforcement du régime de la publication des sanctions par la loi « Macron » n’est pas anodin. Comme annoncé, l’Administration s’est saisie de ce nouvel outil de lutte contre les retards de paiement. La DGCCRF a ainsi publié sur son site internet, à la page relative aux sanctions des délais de paiement, le nom des cinq entreprises les plus sanctionnées.
Pour encadrée qu’elle soit, cette pratique n’en soulève pas moins quelques interrogations. Les décisions publiées sont en effet susceptibles d’un recours devant le juge administratif. En cas de censure de la décision de l’Administration, la question reste ouverte de l’octroi de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant, pour l’entreprise indûment sanctionnée, de cette publication. Reste que le Ministre de l’Economie entend aujourd’hui persévérer dans cette voie. Dans son communiqué de presse du 23 novembre 2015, il fait état de son intention de généraliser la publication des amendes en la rendant automatique.
En 2014, l’Observatoire des délais de paiement appelait de ses vœux une stabilisation du cadre réglementaire des délais de paiements[11]. Si les entreprises peuvent aujourd’hui espérer une telle stabilisation de la délimitation des délais de paiement, la stabilité est loin d’être acquise sur le terrain des sanctions !
Céline MARANDET
[1] Communiqué de presse du 23 novembre 2015, http://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/dgccrf/presse/DP_delais_paiement23112015.pdf.
[2] Comportement de paiement des entreprises en France et en Europe : 2ème trimestre 2015, Rapport Altares, http://www.altares.com/fr/actualites/autres-actualites/article/comportements-de-paiement-des-entreprises-en-france-et-en-europe-1er-trimestre-2015.
[3] Directive 2000/35/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 juin 2000 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales, modifiée par la directive du 16 février 2011.
[4] Directive 2011/7/UE du Parlement Européen et du Conseil du 16 février 2011 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales, modifiant la Directive 2000/35/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 juin 2000.
[5] Loi n° 2013-100 du 28 janvier 2013 portant diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière.
[6] Décret n° 2013-269 du 29 mars 2013 relatif à la lutte contre les retards de paiement dans les contrats de la commande publique.
[7] http://www.altares.com/fr/actualites/autres-actualites/article/comportements-de-paiement-des-entreprises-en-france-et-en-europe-1er-trimestre-2015
[8] Pacte National pour la Croissance la Compétitivité et l’emploi, http://www.economie.gouv.fr/files/files/import/feuilleteur/sources/indexPop.htm.
[9] Supra Note 1.
[10] Décret n° 2014-1109 du 30 septembre 2014 portant application des dispositions de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation, renforçant les moyens de contrôle de l’autorité administrative chargée de la protection des consommateurs et adaptant le régime de sanctions.
[11] Rapport annuel de l’Observatoire des délais de paiement http://www.economie.gouv.fr/files/rapport_odp_2014_02_07.pdf.