Ils sont étudiants en droit, avocats, juristes, et on en parle très peu. Les personnes en situation de handicap souhaitant embrasser une carrière juridique se confrontent à de nombreux obstacles dès l’université. Le cabinet EY Société d’Avocats est à l’origine du collectif « Droit comme un H », destiné à accompagner ces étudiants de l’entrée en licence jusqu’à l’intégration sur le marché du travail. Le premier débat sur le sujet s’est tenu le 21 novembre dernier en présence de représentants de la profession.
« L’existence d’une telle association m’aurait évité bien des sueurs froides », annonce d’emblée Virginie Delalande, la fondatrice de l’association Handicapower. Sourde de naissance, l’ancienne avocate estime qu’il faudrait adapter l’accès à la formation universitaire aux étudiants en situation de handicap.
Lorsqu’elle était encore étudiante en droit, Alexia Rigaud a quant à elle bénéficié d’un aménagement de sa scolarité. Fraîchement diplômée du Capa, la jeune avocate vient de rejoindre le département corporate/M&A d’EY Société d’Avocats. « Mon handicap n’est pas visible, ce sont mes yeux », explique celle dont l’acuité visuelle faible est due à une malformation de naissance. Tout au long de ses études, elle a bénéficié d’un tiers-temps et d’un agrandissement des sujets d’examen, du format A4 au format A3. « J’ai dû demander ces aménagements chaque semestre, soit deux fois par an », confie Alexia Rigaud. Selon elle, cette démarche administrative devrait être simplifiée lorsque le handicap, comme le sien, n’est pas susceptible d’évoluer. « Cela est fatigant au quotidien, ajoute-t-elle. Chacun doit pouvoir choisir sa profession sans subir le frein du handicap. »
« Il existe pourtant une vraie solidarité entre les étudiants », souligne Véronique Chapuis-Thuault, vice-présidente de l’AFJE pour la formation et la déontologie. Lorsqu’elle était en première année, une vraie entraide s’était organisée en faveur d’une étudiante aveugle de naissance.
« La grande difficulté, c’est d’abord de les identifier »
Du côté des universités, Pierre Crocq, président de l’association des directeurs d’IEJ, exprime les difficultés du Centre Assas, qu’il dirige, face aux étudiants en situation de handicap. « La grande difficulté, c’est d’abord de les identifier : un grand nombre d’entre eux ne se manifestent pas », explique le professeur de droit privé. En 2017, seuls 300 étudiants en situation de handicap ont été recensés parmi les quelque 16 000 étudiants que compte l’université Paris II. Si les chargés de TD sont systématiquement alertés, cela est plus complexe pour les professeurs de cours magistraux.
L’université manque également de moyens financiers pour accompagner ces étudiants. Par exemple, l’IEJ de Paris II a dû faire appel à une traductrice en langue des signes pour une seule étudiante sourde, ce qui représente un coût important. « Nous devons mutualiser ces dépenses entre les universités françaises et créer davantage de complémentarités », propose Pierre Crocq.
Une mobilisation nécessaire des juristes
Tenues d’employer des travailleurs handicapés dans une proportion de 6 % de l’effectif total, les entreprises de plus de vingt salariés préfèrent souvent s’acquitter de la contribution annuelle à l’Agefiph plutôt que d’accueillir une personne en situation de handicap, regrette Véronique Chapuis-Thuault, l’ambassadrice de Respect Zone Handi, une charte de déontologie signée par l’AFJE. « Si les juristes se mobilisent, il y a moyen que les textes changent ! » s’exclame-t-elle.
Faciliter l’accès dans le monde professionnel
L’entrée dans le monde professionnel n’est pas non plus facilitée pour les jeunes diplômés en situation de handicap. « Nous ne sommes pas préparés à entrer dans le monde professionnel », explique Matthieu Juglar, avocat au barreau de Paris. Aveugle de naissance, il regrette que les technologies d’assistance ne permettent qu’un accès très ralenti à la documentation. « C’est pour cela que je me suis orienté vers une activité de plaidoirie, car, à l’oral, on est à égalité », explique l’ancien secrétaire de la conférence. Selon lui, il faudrait instaurer davantage de relais entre le lycée et l’université.
Pour conclure, Vincent Maurel, bâtonnier des Hauts-de-Seine, relève le faible nombre de confrères en situation de handicap visible. « Il faut que l’approche soit double entre l’Ordre et les cabinets », indique-t-il, tout en nuançant son propos : « Il est plus facile pour des cabinets de grande taille d’aménager leurs locaux pour accueillir des personnes en situation de handicap que pour une petite structure située au premier étage d’un immeuble haussmannien sans ascenseur. » Et de proposer que les entreprises et cabinets d’avocats se déplacent au sein des universités pour sensibiliser les étudiants sur le sujet.
Pierre Allemand