Une personne dans l’impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts peut bénéficier d’une mesure de protection. Si la nature de celle-ci est fonction de l’ampleur de l’incapacité du majeur, il en est autrement de la protection de sa personne.
L’une des plus belles vertus du droit est sans doute celle de maintenir l’égalité entre tous ses sujets. Pour ce faire, notre droit positif s’est paré depuis fort longtemps de nombreux mécanismes judiciaires : sauvegarde de justice, curatelle, tutelle (1)… qui ont vocation à être utilisés à défaut de mesure extrajudiciaires plus adaptées (2). Il ressort de l’étude de ces mécanismes des principes directeurs auxquels, curieusement, se soustrait la protection des droits extrpatrimoniaux (3).
LES PRINCIPES DIRECTEURS DE LA REPRÉSENTATION
L’article 428 du Code civil, le premier de la section dédiée aux « dispositions communes aux mesures judiciaires », exprime les principes régissant toute représentation. Quatre principes sont exprimés : la nécessité et la subsidiarité au premier alinéa, la proportionnalité et l’individualisation au second. Pour autant, cet article est rédigé de telle sorte que le second alinéa personnalise les principes exprimés au premier. Ainsi la nécessité (al.1) et l’individualisation (al.2) renvoient à la même notion, à savoir la prise en compte de l’altération, soit des facultés mentales, soit des facultés corporelles de la personne à protéger, qui est de nature à empêcher l’expression de sa volonté (Art. 425 C.Civ.). De manière similaire, la subsidiarité (al.1) et la proportionnalité (al.2) ont la même expression. Il convient d’user de la protection la moins attentatoire aux libertés du majeur avant de recourir à une protection plus coercitive.
Le principe de subsidiarité de la mesure s’exprime d’abord au travers des mécanismes extrajudiciaires. Il convient ainsi de se référer au mandat de protection future, au droit commun de la représentation et aux règles relatives aux régimes matrimoniaux avant d’avoir recours aux mesures judiciaires. Ces trois mécanismes ne sont pas réellement hiérarchisés, en ce sens qu’ils peuvent se cumuler s’ils n’ont pas le même objet ou s’exclure sans que l’un ne prenne systématiquement le pas sur les autres.
Ce n’est qu’ensuite, en cas d’absence ou de carence de ces mécanismes, que s’expriment les mesures judiciaires. Il conviendra alors pour le juge de prononcer en premier lieu, si les conditions sont réunies, l’habilitation familiale, puis, ou à défaut, la sauvegarde de justice. Si la protection n’est pas suffisante, la curatelle dite « simple » prendra alors le relai, elle pourra se décliner sous les traits de la curatelle dite « aménagée » ou de la curatelle dite « renforcée » puis, suivant la même logique, le juge prononcera une mesure de tutelle.
UNE PROTECTION DE LA PERSONNE INOPPORTUNÉMENT CONSTANTE
Les principes ci-dessus rappelés tendent tant à la protection des intérêts patrimoniaux qu’à celle de la personne du majeur incapable. Lorsque la mesure est extrajudiciaire, il n’y a pas de difficulté. En effet, chaque mécanisme peut ne comprendre qu’une seule de ces protections. Ainsi, donnons un exemple pour chacune des protections. Pour ce qui est du versant patrimonial, un époux peut représenter son conjoint pour passer un acte dont le consentement des deux époux serait requis, en vertu des règles relatives aux régimes matrimoniaux (Art. 217 C.Civ.). Pour ce qui est du versant extra-patrimonial, il peut s’agir d’une procuration pour une élection particulière, donnée en vertu du droit commun de la représentation (Art. R.72 s. C.élec.).
Par contre, pour ce qui est des mesures judiciaires, bien que le second alinéa de l’article 425 du Code civil précise la possibilité de n’attraire qu’une des deux protections au domaine de la mesure (une mesure de tutelle peut ainsi n’être potentiellement qu’extra patrimoniale), il n’en est rien dans les faits. Ainsi, une forme de présomption s’est installée, la protection patrimoniale emportant dans son sillage la protection extrapatrimoniale.
D’ailleurs, il n’existe textuellement aucune subsidiarité dans la protection de la personne soumise à une mesure judiciaire. Là où « les actes [patrimoniaux] faits dans la curatelle » et « les actes [patrimoniaux] faits dans la tutelle » forment deux sous-sections distinctes du Code, permettant une gradation en fonction du degré d’incapacité, les effets quant à la protection de la personne sont réunis au sein d’une même sous-section pour la curatelle comme pour la tutelle.
Quant aux obligations du mandataire spécial désigné, le cas échéant, dans le cadre de la sauvegarde de justice en matière de protection de la personne, l’article 438 du Code civil renvoie expressément à la sous-section dédiée à la curatelle et à la tutelle (4).
LE RISQUE : LA CONFISCATION DES DROITS
La conséquence directe de l’absence de subsidiarité est la perte de facto de l’autonomie de la personne, qui est pourtant l’une des finalités affichées de l’article 415 du Code civil. Ainsi, deux personnes respectivement sous le coup d’une protection curatélaire et tutélaire de leur patrimoine auront une protection extrapatrimoniale similaire. Pourtant, l’une devrait, par définition, être plus autonome que l’autre.
À défaut de gager que le représentant saura laisser à la personne sous curatelle une plus grande amplitude dans ses actions, ce qui conduirait à nier l’existence même de la protection (5), plaidons en la faveur d’une redéfinition claire de la limite entre les droits patrimoniaux et les droits extrapatrimoniaux. Une piste à poursuivre serait de dissocier l’expression de la subsidiarité de ces deux types de droits. Pour ce qui est de l’aspect patrimonial, le décret n°2008-1484 du 22 décembre 2008 distingue les actes d’administration des actes de disposition. La section « Des actes du tuteur » prévoit ensuite les actes que le tuteur peut faire seul, les actes qu’il ne peut accomplir qu’avec autorisation et les actes qu’il ne peut accomplir. Quant aux actes du curateur, ils sont faits en référence à ceux du tuteur : « la personne en curatelle ne peut, sans l’assistance du curateur, faire aucun acte qui, en cas de tutelle, requerrait une autorisation du juge ou du conseil de famille » (Art. 467 al.1 C.Civ.). Il n’existe rien de tel concernant les droits extrapatrimoniaux. Dans un système rénové, la subsidiarité pourrait s’exprimer sous forme d’options personnalisées à ajouter ou à soustraire à la protection patrimoniale (6). Elle serait alors fonction de l’inaptitude à exercer un type particulier de droit et non plus une incapacité générale à « pourvoir à ses intérêts » (Art. 425 al.1 C.Civ.). Ainsi, une personne sous curatelle pourrait voir l’intégralité de ses droits extrapatrimoniaux protégés alors qu’une personne sous tutelle ne pourrait en avoir que quelques-uns confiés à son tuteur, voire, pourquoi pas, aucun. L’inaptitude à la gestion patrimoniale ne serait textuellement plus un préalable à l’inaptitude à gérer sa personne.
Thibault CAMPAGNE
1. On peut également citer des mécanismes plus récents comme le mandat de protection future ou les mesures d’accompagnement social ou judiciaire (Loi n°2007-308 du 5 mars 2007) ou encore la récente habilitation familiale (Ord. n°2015-1288 du 15 octobre 2015). // 2. Les mesures extra-judiciaires peuvent être issues de la loi comme le mandat de protection future ou découler d’un régime spécifique comme les règles relatives aux régimes matrimoniaux. Elles peuvent encore prendre appuie sur des mécanismes généraux telle la représentation. // 3. Le législateur a pris le parti de distinguer, au sein des différents mécanismes, la protection « des intérêts patrimoniaux » de la protection extra-patrimoniale, aussi appelée « protection de la personne » (Art. 425 al.2 C.Civ.). // 4. L’article 433 du Code civil distingue deux formes de sauvegarde de justice. La première est exclue en ce qu’elle ne procède de l’accomplissement que de certains actes (elle se rapproche ainsi des mesures extra-judiciaires). La seconde est l’objet de l’analyse puisqu’elle correspond à une protection juridique totale bien que temporaire. Quant à la désignation du mandataire spécial, elle n’est qu’une faculté pour le juge s’il estime que la situation s’y prête (Art. 437 al.2 C.Civ.). // 5. C’est pourtant ce qui est prévu à l’alinéa 1er de l’article 459 du Code civil : « Hors les [actes strictement personnels], la personne protégée prend seule les décisions relatives à sa personne dans la mesure où son état le permet ». Comment pourrait-on procéder autrement à l’appréciation de l’incapacité qu’en ouvrant une mesure de protection ? Ce texte traduit l’embarras du législateur qui n’a pas su trouver de clé de lecture pour subsidiariser les droits extra-patrimoniaux. // 6. Cette logique existe déjà aux articles 471 et 473 alinéa 2 du Code civil mais échappe à l’aspect extra-patrimonial de par leur positionnement en dehors de la sous-section relative à la protection de la personne.