De l’interprétation des décisions de justice par les journalistes… le cas de l’homoparentalité

 

 


Les raccourcis sont souvent faciles en droit et l’interprétation des décisions de justice par des non juristes peut rapidement s’avérer contestable ou du moins trop engagée.
Tel est l’exemple de la décision qu’a rendue la Cour de cassation le Jeudi 8 Juillet 20101, décision relative à l’exequatur (donner force exécutoire en France à une décision rendue par un tribunal étranger ou par un arbitre) d’une décision étrangère concernant l’exercice de l’autorité parentale par un couple composé de deux femmes.

 


 

 

I. Les faits

Un couple composé de deux femmes, Mme X. de nationalité française et Mme Y  de nationalité américaine, vit aux Etats Unis. Ces deux personnes ont passé une convention de « domestic partnership ». Mme Y a donné naissance à un enfant grâce à une insémination artificielle. Par un jugement du tribunal de comté de Dekalb, Mme X a pu adopter la fille de Mme Y et a été reconnue comme parent ce qui lui permet ainsi d’exercer elle aussi l’autorité parentale sur l’enfant.

 

Le couple désire faire reconnaitre ce jugement en France, c’est-à-dire en obtenir l’exequatur, ce qui permettrait aux deux femmes d’exercer conjointement l’autorité parentale sur l’enfant dans notre pays. Néanmoins, que ce soit la décision en première instance ou la décision en appel, les juges refusent la reconnaissance de l’autorité parentale pour les deux parents non mariés dans la mesure où ils considèrent qu’en vertu des articles 365 et 370-5 du code civil, l’adoption fait perdre l’exercice de l’autorité parentale à la mère biologique au profit de l’adoptante.

 

 

II. La décision de la Cour de Cassation

 

 

La Cour de Cassation casse l’arrêt rendu en appel au motif que la Cour d’Appel a violé l’article 509 du code civil par refus d’application et a également violé l’article 370-5 du code civil par mauvaise application.

 

En effet, une décision rendue par une juridiction étrangère doit recevoir l’exequatur en France sauf si le tribunal qui l’a rendue était incompétent, si elle heurte l’ordre public international français, ou encore s’il y a fraude à la loi2. En l’espèce, seul l’ordre public international français aurait pu empêcher l’exequatur d’une telle décision, mais la Cour de cassation estime qu’une telle décision rendue dans un Etat étranger ne heurte pas les principes essentiels du droit français. Par conséquent, les deux femmes peuvent exercer conjointement l’autorité parentale sur leur enfant sur le territoire français.

 

La solution peut poser des difficultés eu égard à l’article 365 du code civil relatif à l’adoption simple qui dispose pour faire bref que lorsqu’une personne adopte un enfant, sa mère biologique perd son autorité parentale. Or, l’article L 370-5 du code civil dispose que « L’adoption régulièrement prononcée à l’étranger produit en France les effets de l’adoption plénière si elle rompt de manière complète et irrévocable le lien de filiation préexistant. A défaut, elle produit les effets de l’adoption simple. Elle peut être convertie en adoption plénière si les consentements requis ont été donnés expressément en connaissance de cause. ». A notre avis, la difficulté peut être évincée si l’on considère que la décision américaine certes, tranche la question de l’adoption, mais plus encore celle de l’exercice de l’autorité parentale. En ce sens, il ne faudrait pas regarder les articles du code civil relatifs à l’adoption ce qui permettrait de faire obstacle à l’exequatur, mais il faudrait regarder les articles relatifs à l’autorité parentale.

 

 

 

Média

 

 

III. Critique de l’interprétation de la décision de justice par les médias – Le maintien du refus de l’homoparentalité

 

« Un pas de plus vers l’homoparentalité »3, « Une porte entre-ouverte à la reconnaissance de l’homoparentalité »4, « L’homoparentalité reconnue implicitement par la justice »5

Pour la presse et les journalistes, cette décision semble marquer une véritable révolution ou du moins une incontestable évolution vers l’acceptation par les juges de l’homoparentalité.

On fera preuve cependant d’un peu plus de retenue, et ce, à plusieurs égards :

Premièrement parce que cet arrêt ne concerne que l’exequatur, c’est-à-dire la reconnaissance en France d’une décision rendue par une juridiction étrangère. Par conséquent, on voit bien que la portée d’un tel arrêt ne peut être que limitée. Dire qu’une décision étrangère ne heurte par l’ordre public international français est une chose, mais dire que l’exequatur de la décision étrangère implique implicitement l’admission de l’homoparentalité pour des couples français semble être une interprétation trop extensive d’une telle décision. Les juges estiment seulement que l’ordre public international français n’est pas heurté, n’est pas remis en question. On rappellera que d’après la formule d’un arrêt célèbre6, l’ordre public international est un ensemble de « principes de justice universelle considérés dans l’opinion française comme doués de valeur internationale absolue ».

Deuxièmement parce que la Cour de Cassation a rendu le même jour un arrêt qui vient expressément refuser l’exercice conjoint de l’autorité parentale à un couple homosexuel7.Dans cette affaire, la mère biologique d’un enfant a demandé une délégation d’autorité parentale au profit de sa compagne. Les juges du fond ont rejeté une telle délégation et la Cour de cassation confirme le rejet de la délégation en l’espèce. Cette dernière admet qu’une femme puisse déléguer son autorité parentale à sa compagne (ce qui peut être considéré comme une évolution…mais ce n’est pas cet arrêt dont ont parlé les journalistes…), mais elle réaffirme8 que deux conditions cumulatives extrêmement restrictives doivent être réunies :

 

  • La première condition est que la délégation doit se faire uniquement si « les circonstances l’exigent ». Cette condition, présente à l’article 377 du code civil, est assez floue et d’autant plus que les juges estiment que les déplacements effectués par la mère biologique n’étaient qu’exceptionnels et que le risque d’accident lié à ces déplacements n’était qu’hypothétique. A contrario, pour que « des circonstances l’exigent », il faudrait que le métier exercé par la mère biologique soit risqué ou (a priori condition alternative) que ce métier implique des déplacements fréquents. Etant donné que ces deux arguments étaient soulevés par la mère biologique, on peut considérer que d’autres arguments peuvent être mis en avant sans que l’on n’en sache plus.
  • La seconde condition est relative à l’intérêt de l’enfant : une délégation d’autorité parentale peut avoir lieu uniquement si elle a vocation à profiter à l’enfant. Les juges estiment que cette délégation profite à l’intérêt de l’enfant si elle lui apporte « de meilleures conditions de vie ou une meilleure protection ». Cette condition est également floue car les juges considèrent qu’en l’espèce le couple tout comme les enfants sont épanouis donc la délégation ne se ferait pas dans l’intérêt de ces derniers…

 

 

Conclusion :

 


L’arrêt admettant l’exequatur est peut être une avancée pour les couples binationaux qui veulent faire reconnaitre leur droit en France, mais elle ne semble pas avoir d’impact sur les couples français. En effet, la Cour de Cassation réaffirme des conditions restrictives en ce qui concerne la délégation de l’autorité parentale. Reste le cas de l’homoparentalité grâce à l’adoption par deux personnes du même sexe, mais la notion de conjoint de l’article 365 du code civil n’est prévue que pour des personnes unies par les liens du mariage donc des personnes de sexe différent.

Que ce soit donc par le jeu de l’adoption ou par le seul jeu de la délégation de l’autorité parentale, il n’y a guère eu d’évolution pour les couples français.

 

Trois questions finales peuvent se poser :

  • Y a –t-il discrimination entre les couples français et les couples binationaux au sens de l’article 14 de la CEDH? C’est ce qu’a affirmée l’avocate des deux femmes (sans qu’elle ait évoqué l’article 14 CEDH) dans l’arrêt relatif à l’exequatur, mais la coexistence de situations juridiques différentes sur un même territoire est relativement fréquente.
  • Le forum shopping est il la solution ? Pour les couples qui voudraient aller aux Etats Unis afin de se voir reconnaitre l’adoption avec le partage de l’autorité parentale puis demander à ce que la décision américaine soit exequaturée en France, il faut rappeler que cette démarche constituerait une fraude à la loi qui est un des motifs de refus de l’exequatur.
  • Enfin, pourquoi un tel mouvement d’optimisme de la part des journalistes autour de cette décision ? Est-ce simplement une mauvaise lecture de l’arrêt ou est-ce, au contraire, le signe de l’exercice d’un certain lobby ?

 

 

Yan Flauder

 

 

Notes

 

[1] Arrêt n° 791 du 8 juillet 2010 (08-21.740) 

 

[2] Conditions posées par l’arrêt Cornelissen  –  Civ 1ère, 20 Février 2007, Rev. Crit. DIP 2007 420, note B. Ancel et H. Muir Watt

 

[3] Article de Libération

 

[4] Article du Monde

 

[5] Article du Figaro

 

[6] Civ 25 Mai 1948, GADIP, n°19 – arrêt Lautour

 

[7] Arrêt n° 703 du 8 juillet 2010 (09-12.623)

 

[8] Déjà dans ce sens : Civ 1ère 16 Avril 2008, JCP 2009, I, 102 n°9 obs. Gouttenoire

 

 

Pour en savoir plus


Précisions sur les conditions de la reconnaissance des jugements étrangers (hors Union Européenne) en France :
Sandrine Clavel, Droit International Privé, coll. Hypercours, édition Dalloz N°393 et s.

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