Le succès médiatique de la question prioritaire de constitutionnalité déposée par Marine Le Pen est une nouvelle manifestation d’un droit désormais saisi par le politique[1]. Au-delà des commentaires politiques qui ponctuèrent la procédure devant le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel, il convient néanmoins de s’intéresser à l’apport juridique de cette décision.
À titre liminaire, et pour replacer cette affaire dans son contexte, l’article 3 de la loi du 6 novembre 1962[2] dispose que « le nom et la qualité des citoyens qui ont proposé les candidats inscrits sur la liste sont rendus publics par le Conseil constitutionnel huit jours au moins avant le premier tour de scrutin, dans la limite du nombre requis pour la validité de la candidature ». Cette norme, issue de la loi organique du 18 juin 1976, avaient été déclarée conforme à la Constitution par la décision du Conseil constitutionnel du 14 juin 1976.
Toutefois, conformément à l’article 23-2 de l’ordonnance du 7 novembre 1958, il importait de prendre en considération les changements de circonstances qui avaient pu intervenir depuis la décision du Conseil constitutionnel. En l’espèce, le juge constitutionnel n’a pas retenu l’argument tenant au changement des circonstances de fait. En dépit des « changements ayant affecté la vie politique et l’organisation institutionnelle du pays »[3], la stabilité du nombre de candidats à l’élection présidentielle ne semblait pas traduire une modification substantielle du cadre en cause. À l’inverse, le juge constitutionnel a retenu que la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, qui a notamment consacré à l’article 4 de la Constitution la jurisprudence relative à la portée constitutionnelle du pluralisme, constituait un changement de circonstances de droit.
Ainsi que le rappelle la décision du Conseil constitutionnel, cette question prioritaire de constitutionnalité tenait en trois séries d’arguments qu’il conviendra d’étudier successivement.
En premier lieu, il était invoqué que la publicité du nom et de la qualité des citoyens qui ont proposé un candidat à l’élection présidentielle porterait atteinte aux principes d’égalité et de secret du suffrage. Mais, dès lors que la présentation de candidats par les citoyens élus habilités ne saurait être assimilée à l’expression d’un suffrage, le Conseil constitutionnel a considéré, en toute logique, que ce moyen était inopérant.
En deuxième lieu, il était invoqué que la limitation du nombre de publications publiées porterait atteinte au principe de pluralisme des courants d’idées et d’opinions ainsi qu’au principe d’égalité devant la loi, consacré à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Il est vrai qu’en prévoyant « que la liste des candidats soit établie sur le fondement du même nombre de présentations pour chacun des candidats »[4], la probabilité pour chaque parrain de voir son nom et sa qualité publiée varie en fonction du nombre de présentations recueillies. Pour autant, le commentaire de la décision rappelle que le législateur avait souhaité une telle limitation afin que la présentation des candidats à l’élection présidentielle de donner pas lieu à « une sorte d’opération plébiscitaire »[5]. Ne disposant pas d’un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, le Conseil constitutionnel a alors considéré que la différence de traitement invoquée était en « rapport direct avec l’objectif poursuivi par le législateur d’assurer la plus grande égalité entre les candidats »[6].
En troisième lieu, il était invoqué que la publicité donnée aux présentations des candidats à l’élection présidentielle porterait atteinte au principe du pluralisme des courants d’idées et d’opinions, consacré tant par la jurisprudence du Conseil constitutionnel que par l’article 4 de la Constitution. Suivant l’argumentaire développé, ce mécanisme aurait « pour effet de rendre possible l’exercice de pressions politiques et de dissuader les personnes habilitées à présenter des candidats à l’élection présidentielle de le faire »[7]. À la réflexion, il semble que c’est en ce domaine que se situait la dimension la plus intéressante de cette question constitutionnelle. Dès lors que l’article 4 de la Constitution dispose dorénavant que « la loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et des groupements politiques à la vie démocratique de la Nation », le juge constitutionnel était invité à préciser l’étendue normative de cette nouvelle disposition. Force est néanmoins de constater que les attentes en la matière se révélèrent largement déçues, la décision du Conseil constitutionnel se contentant de retenir, assez laconiquement d’ailleurs, qu’ « en instaurant une telle publicité, le législateur [avait] entendu favoriser la transparence de la procédure de présentation des candidats à l’élection présidentielle [et] que cette publicité ne saurait en elle-même méconnaître le principe du pluralisme des courants d’idées et d’opinions »[8]. À cet égard, il convient de noter que le commentaire de la décision met en évidence que la nouvelle rédaction de l’article en cause « n’a pas modifié [la] portée du principe de pluralisme des courants d’idées et d’opinions »[9].
Néanmoins, les interrogations relatives à l’article 4 de la Constitution demeurent à plusieurs titres.
D’une part, il ressort de cette décision, et plus généralement de l’ensemble de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, un sentiment d’incertitude quant à l’effectivité du principe du pluralisme des courants d’idées et d’opinions. Il est vrai, comme d’accoutumé, que la succincte formulation adoptée par le Conseil constitutionnel ne semble pas ouvrir la voie à d’audacieuses perspectives. Si le commentaire de l’espèce, et celui de la décision du 12 janvier 2012, qui reconnaît l’invocabilité de ce principe dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité, permettent d’expliciter la position du juge constitutionnel, il semble néanmoins que ce principe – dont l’appréhension n’est pas toujours aisée – ne puisse conduire à l’inconstitutionnalité d’une norme que dans un nombre réduit d’hypothèses.
D’autre part, il convient de mettre en évidence qu’aucune référence n’est faite à la seconde partie de l’article 4 de la Constitution – qui complète les dispositions sur le pluralisme déjà consacrées par le Conseil constitutionnel – portant sur « la participation équitable des partis et des groupements politiques à la vie démocratique de la Nation », ce qui conduit à s’interroger sur la normativité de cette énonciation. Pourtant, il semblait bien, quelle que fût d’ailleurs la manière dont se concilient les exigences constitutionnelles relatives au pluralisme et à la transparence, que les dispositions en cause n’étaient pas de nature à assurer un déroulement équitable de cette étape de la course présidentielle. Si l’actualité récente vient sans doute d’apporter un démenti provisoire à ce constat pessimiste, les questions afférentes à l’équité de ce système n’en conservent pas moins leur pertinence.
À une époque où se fait ressentir la nécessité de la clarté, de l’accessibilité et de l’intelligibilité de la loi[10], il semblerait que sous les effets d’une sorte de contamination supralégislative, un effort doive être accompli afin de permettre l’intelligibilité de la Constitution.
Guillaume FICHET
Notes
[1] Il semble, en effet, que la célèbre formule du doyen Favoreu puisse être renversée pour illustrer les rapports de la politique et du droit, FAVOREU (L.), La politique saisie par le droit, Économica, 1988.
[2] Loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962, relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel.
[3] CE, décis. n° 355137 du 2 février 2012.
[4] Décis. n° 2012−233 QPC du 21 février 2012, Publication du nom et de la qualité des citoyens élus habilités ayant présenté un candidat à l’élection présidentielle, Consid. 9. [6] Ibid., Consid. 9.
[7] Ibid., Commentaire, p. 5.
[8] Ibid., Consid. 8.
[9] Ibid., Commentaire, p. 11.
[10] Décis. n° 98-401 DC du 10 juin 1998, Loi d’orientation et d’incitation relative à la réduction du temps de travail ; Décis. n° 99-421 DC du 16 décembre 1999, Loi portant habilitation du Gouvernement à procéder, par ordonnances, à l’adoption de la partie législative de certains codes ; Décis. n° 2006-540 DC du 27 juillet 2006, Loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information. |