Une personne est qualifiée d’intersexe ou sexe neutre lorsque, compte tenu de son anatomie, elle n’entre pas dans la classification établie par les normes médicales des corps masculins et féminins. Elle doit être distinguée de l’hermaphrodite qui caractérise l’état d’une personne possédant les deux sexes. La distinction avec les personnes transgenres est également importante. On entend par transgenres les personnes qui, tout en appartenant physiquement à un sexe, ont le sentiment d’appartenir à l’autre.
La situation juridique des personnes intersexuées est une question ancienne qui a eu un regain d’actualité avec l’arrêt du 4 mai 2017 rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation. La question est toutefois inédite.
En effet, le requérant M.D. est né sans appareil génital. Cependant, il a été inscrit à l’état civil comme étant de sexe masculin. Il a donc saisi le président du tribunal de grande instance de Tours d’une demande de rectification de son acte de naissance, afin que soit substituée, à l’indication « sexe masculin », celle de « sexe neutre » ou, à défaut, « intersexe ». Par jugement du 20 août 2015, le président du tribunal a ordonné que soit substituée, dans l’acte de naissance de M.D., la mention « sexe neutre » à la mention « de sexe masculin ». Sur appel du procureur de la République, la Cour d’appel d’Orléans a infirmé le jugement et rejeté les demandes de M.D. Ce dernier a formé un pourvoi en cassation. Pour rejeter ce pourvoi, la Cour s’est fondée sur le caractère immuable de la binarité sexuelle et la proportionnalité de l’atteinte au droit à la vie privée du requérant.
L’immutabilité de la binarité sexuelle
Aux termes de l’article 57 du code civil, « l’acte de naissance énoncera le jour, l’heure et le lieu de naissance, le sexe de l’enfant ». Il s’agit soit du sexe masculin, soit du sexe féminin et non d’un sexe neutre. L’absence d’une énumération limitative des sexes traditionnels ne saurait ouvrir la voie à un troisième sexe. De fait, une circulaire du ministère de l’intérieur du 10 janvier 2000 relative à la délivrance des cartes nationales d’identité précise, s’agissant des rubriques figurant sur la carte nationale d’identité, que « le sexe qui est mentionné sur l’acte de naissance en vertu de l’article 57 du code civil doit être indiqué par la lettre M (masculin) ou F (féminin) ».
En outre, seule la circulaire du 28 octobre 2011 relative aux règles particulières à divers actes de l’état civil concernant la naissance et la filiation envisage la situation des enfants dont l’identité sexuelle ne peut être déterminée à la naissance. Elle permet de différer la mention du sexe, à titre exceptionnel, « si ce sexe peut être déterminé définitivement, dans un délai d’un ou deux ans, à la suite de traitements appropriés ».
La législation française est sans équivoque. Interpretatio cessat in claris (l’interprétation cesse lorsque la loi est claire). La première chambre civile de la Cour de cassation a tranché in casu : « la loi française ne permet pas de faire figurer, dans les actes de l’état civil, l’indication d’un sexe autre que masculin ou féminin ».
Une évolution est possible. L’article 34 de la constitution donne compétence au législateur pour fixer les règles concernant l’état des personnes. Certains États ont adapté leurs législations à la situation biologique des personnes intersexuées. Depuis la loi sur l’état civil du 7 mai 2013, l’Allemagne permet de ne pas renseigner le champ relatif au sexe en présence d’enfants intersexuels : « lorsque l’enfant ne peut être assigné ni au sexe féminin ni au sexe masculin, la naissance sera inscrite sans une telle mention dans le registre ». Deux possibilités s’offrent à eux. Soit ils choisissent l’un des sexes masculin ou féminin, soit les champs dédiés à cet effet restent vides. En outre, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, l’Inde et le Népal disposent d’une triple classification « M », « F » et « X » donnant ainsi la possibilité de s’identifier comme appartenant à un troisième sexe.
Une atteinte proportionnée au droit à la vie privée
Le respect de la vie privée suppose en particulier le respect de l’identité personnelle. L’identité sexuelle est l’une de ses composantes. Elle résulte tant du sexe biologique que du sexe psychologique. L’identification sexuelle, tout comme le nom, l’orientation sexuelle et la vie sexuelle touche à l’un des aspects les plus intimes de la vie privée de la personne. Il appartient dès lors à chacun d’établir les détails d’une identité d’être humain. Il en va du respect du droit à l’autonomie personnelle. Lui refuser une mention correspondant à la réalité de son être est une atteinte à sa vie privée.
Mais cette atteinte est justifiée dès lors qu’elle est prévue par la loi, nécessaire dans une société démocratique et proportionnée au but légitime poursuivi.
Selon la Cour de cassation, « la dualité des énonciations relatives au sexe dans les actes de l’état civil poursuit un but légitime en ce qu’elle est nécessaire à l’organisation sociale et juridique, dont elle constitue un élément fondateur ; que la reconnaissance par le juge d’un « sexe neutre » aurait des répercussions profondes sur les règles du droit français construites à partir de la binarité des sexes et impliquerait de nombreuses modifications législatives de coordination ». En conséquence l’atteinte au droit au respect de sa vie privée n’était pas disproportionnée au regard du but légitime poursuivi.
En cas de contentieux devant la Cour européenne des droits de l’Homme, plusieurs hypothèses sont possibles. Considérant qu’il n’existe pas de consensus européen, la France a une large marge d’appréciation. La Cour pourrait dès lors conclure à la compatibilité de la législation avec l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme. Elle pourrait tout aussi bien considérer que la législation litigieuse outrepasse la marge nationale d’appréciation acceptable et conclure à son incompatibilité avec l’article 8. Cette marge nationale d’appréciation aussi large soit-elle, n’est pas illimitée.
Jean-François Kouassi
Pour en savoir plus :
Civ. 1re, 4 mai 2017, req. n°16-17.189
CEDH, 10 mars 2015, YY c. Turquie, req. n°14793/08
Rachel Le-Cotty, Rapport sur l’« État civil : rectification des actes de l’État civil et mention de sexe « neutre » »