Parmi les épreuves de l’examen du CRFPA, celle du Grand Oral est certainement la plus redoutée. Se retrouver seul(e) devant un jury composé d’’un avocat, d’un magistrat et d’un professeur est impressionnant. Sophie Gjidara-Decaix, actuelle directrice des études de l’IEJ Pierre Raynaud (Paris II), et Pauline Le Monnier de Gouville, qui lui succèdera à la rentrée 2016, sont aujourd’hui dans nos colonnes pour vous délivrer les conseils d’un examen du CRFPA réussi.
Le Petit Juriste : Quand les sujets sont-ils élaborés ?
Sophie Gjidara-Decaix : Les sujets de l’exposé-discussion sont élaborés après les épreuves écrites, entre fin septembre et début novembre afin d’exploiter tous les thèmes qui ont fait l’actualité de l’année écoulée.
LPJ : Les membres du jury ont-ils des informations sur les candidats ?
Pauline Le Monnier de Gouville : Aucune ! Il y a eu des rumeurs selon lesquelles nous avions communication des notes de l’étudiant avant son passage au Grand Oral, mais c’est tout à fait faux !
LPJ : Pouvez-vous nous mettre sur la piste de quelques sujets potentiels pour le Grand Oral ?
Sophie Gjidara-Decaix : En termes de libertés et droits fondamentaux, l’année a été marquée par de nombreux événements qui constituent autant de sujets potentiels tels que le droit de grève, la liberté d’expression, le droit d’asile, l’état d’urgence ou encore les perquisitions administratives.
Pauline Le Monnier de Gouville : La très grande majorité des sujets du Grand O sont tirés de l’actualité. Il faut donc bien mesurer les enjeux actuels et qui se confrontent aux libertés fondamentales. Un sujet type qu’il serait intéressant de traiter ? « L’État impose-t-il l’ordre ou la justice ? », tout un programme …
LPJ : Comment se prépare-t-on au Grand Oral ?
Sophie Gjidara-Decaix : Le programme de l’épreuve d’exposé-discussion est très vaste, ce qui nécessite de commencer à aborder cette matière très tôt. J’incite les étudiants à suivre d’une part le cours qui vise à rappeler les fondamentaux, et d’autre part les séminaires qui portent sur des thèmes plus spécialisés ou techniques. Il n’est pas envisageable de découvrir ce programme après avoir passé les écrits, l’échéance est alors bien trop courte pour assimiler ce qui doit l’être. Cela est d’autant plus vrai qu’en cette matière les étudiants ont peu d’acquis. Ils n’ont pas, pour la plupart d’entre eux, suivi d’enseignement spécifique en libertés et droits fondamentaux au cours de leur parcours universitaire. Par ailleurs, la matière est vaste et complexe et nécessite de s’en imprégner au fil du temps. Bien évidemment, il ne s’agit pas de tout savoir, mais au moins de maîtriser les fondamentaux et de combler les carences qui pourraient apparaître au fil de ses révisions.’’’
LPJ : Lors de la seconde partie du Grand Oral, un temps est réservé aux questions du jury, que faire si l’on ne sait pas répondre à l’une des questions ?
Pauline Le Monnier de Gouville : C’est sans doute facile à dire, mais cela ne devrait pas vous arriver. On ne vous demande pas de nous expliquer le processus complet d’une liberté déterminée mais de construire un avis aiguisé après avoir développé un principe directeur. Avec toutes les connaissances que vous avez emmagasinées et qu’il faut alors mobiliser, il est impossible que vous restiez sans mot. Face à une question que j’appelle « tête d’épingle », il est sans doute préférable d’avoir l’humilité de reconnaître que vous ne connaissez pas la réponse ; mais en tentant, malgré tout, de raisonner et de rattacher cela aux grands principes que vous maîtrisez nécessairement. Il s’agit de mesurer la façon dont votre esprit « percute ».
LPJ : Quelles sont les erreurs à éviter ?
Sophie Gjidara-Decaix : Tout d’abord, il faut absolument éviter, à la lecture du sujet, de paniquer au risque de perdre toute lucidité et de passer à côté du sujet à traiter. Il faut bien lire le sujet et le cerner puis mobiliser ses connaissances afin de répondre de manière pertinente à la question posée. Ensuite, il faut éviter de prendre prétexte du sujet pour réciter son cours, sans traiter la question précisément posée.
Pauline Le Monnier de Gouville : Enfin, ne soyez pas esclave de vos notes et levez le nez de votre feuille. Vous êtes face à des interlocuteurs qui veulent vous voir tenir une argumentation et non pas lire une feuille. Et, conseil très pragmatique, souriez !
LPJ : Dans la salle de préparation, doit-on rédiger notre exposé ?
Sophie Gjidara-Decaix : L’heure de préparation passe très vite et il n’est pas possible de rédiger plus que l’introduction et un plan détaillé. Notez les idées maîtresses, procédez par tirets. N’utilisez que le recto de vos feuilles, à l’exclusion du verso, afin de ne pas avoir, lors de l’exposé, à retourner maladroitement vos feuilles.
LPJ : Est-ce réellement utile de venir avec une valise débordante de codes ?
Sophie Gjidara-Decaix : Il n’est pas utile de venir avec une valise de codes ou recueils de textes dont la plupart sont parfois encore dans leur emballage d’origine. Vous risqueriez de perdre un temps considérable à chercher ici et là des informations. Avoir ses codes et recueils est rassurant, mais ils peuvent aussi vous être utiles soit pour vérifier le contenu exact d’un article, soit pour lire, lors de l’exposé, le passage pertinent d’un texte. Mais, à ce stade, votre première source de renseignements, ce sont les connaissances acquises et votre capacité d’analyse.
LPJ : Le jury vient-il « taquiner » un peu le candidat ?
Pauline Le Monnier de Gouville : Cela peut arriver. Certains jurys aiment bien tester le candidat et le déstabiliser légèrement. Dans ce cas, il ne faut pas vous démonter. Vous devez répondre avec audace (mais sans arrogance). Pour vous donner un exemple, le candidat doit s’attendre à avoir des questions provocatrices après son exposé. On pourrait vous demander : « cela ne vous choque-t-il pas d’affirmer cela alors que des dizaines d’autres personnes affirment le contraire ? » ou encore « vous êtes sûr … ? ». Vous pourriez également avoir des questions un peu plus politiques, du type « Que pensez-vous de l’affaire Dieudonné, de la déchéance de nationalité ? ». Dans ce cas, il est important de maintenir le cap sur les positions précédemment défendues et de toujours argumenter vos propos. Ne cédez pas à toute forme de subjectivité. Il est possible d’avoir votre propre avis (et c’est même plus que conseillé !), à condition qu’il soit construit et justifié. Rappelez-vous également que le jury n’est pas là pour vous piéger : il teste simplement vos compétences, l’argumentation et la fluidité de vos propos. Au fond, ce qu’il cherche, c’est de voir en vous un potentiel futur collaborateur.
LPJ : Est-il préférable de passer le CRFPA en master 1 ou master 2 ?
Sophie Gjidara-Decaix : Je pense que les masters 1 sont, dans l’ensemble, mieux placés pour réussir cet examen que les étudiants de masters 2 qui sont imprégnés de leurs spécialités et ont pris parfois trop de distance par rapport à certaines matières abordées en deuxième ou troisième année. Les épreuves de l’examen ne sont ni plus ni moins que des exercices semblables à ceux travaillés au cours des quatre premières années de droit. De plus, la pression semble moins forte pour les étudiants de master 1 qui passent leur examen du CRFPA dans la foulée des examens du master 1 et avec la perspective d’intégrer un Master 2. Il n’y a pas cette crainte de devoir passer une année « blanche » exclusivement à préparer l’examen.
LPJ : Si vous aviez trois conseils à donner aux élèves qui s’apprêtent à passer le CRFPA, quels seraient-ils ?
Sophie Gjidara-Decaix : Il faut tout d’abord arriver en forme physique à l’examen, ce qui nécessite de dormir et de se nourrir convenablement. Il faut savoir mettre un terme à ses révisions en se reposant la veille de la première épreuve et en se ressourçant entre chacune d’elles sans s’abrutir de dernières révisions. Ensuite, même si c’est « plus facile à dire qu’à faire » il faut rester lucide afin de pouvoir mobiliser toutes ses connaissances le jour J.
Pauline Le Monnier de Gouville : dormir en effet, manger les fameux cinq fruits et légumes par jour, c’est scientifiquement prouvé… Anticiper, et maîtriser. La mesure est très importante – c’est aussi cela qui fait un bon avocat. De façon très matérielle, « tenue correcte exigée ». En clair, pas d’extravagance ni de désinvolture.
LPJ : Une mise en garde sur l’attitude à adopter lors de l’épreuve ?
Pauline Le Monnier de Gouville : Attention à l’excès de confiance, c’est assez irritant pour les jurés. Vous devez être capable de mêler assurance avec audace et humilité. Ne dites jamais de but en blanc : « j’ai un trou ». Cela ne fait jamais bonne impression et il faut éviter toute réaction trop scolaire. S’agissant des épreuves écrites, soignez votre écriture. Aujourd’hui on ne sanctionne pas l’orthographe mais cela vous nuit indirectement. L’examinateur perd 50 % de sa concentration à buter sur vos fautes. Il faut par ailleurs vous entraîner à rédiger à la main, vous risqueriez sinon d’avoir des surprises quant à l’appréhension du temps lors de l’examen. Ah, j’oubliais : les bulles sur les i, ce n’est vraiment pas possible (rires).
LPJ : Que faire en cas d’échec ?
Sophie Gjidara-Decaix : Il ne faut pas se décourager ou se démobiliser. Il s’agit d’un examen difficile qui comporte nécessairement une part d’aléa. Après un échec, il faut essayer de faire le bilan, d’identifier les difficultés rencontrées (manque de connaissances, mauvaise gestion du temps, mauvaise lecture du sujet, etc.) afin d’éviter de reproduire les mêmes erreurs l’année suivante. Persévérez !
Propos recueillis par Laura Lizé et Kelsey Kallot