Dans une tribune publiée dans le quotidien « Le Monde » le 6 janvier, les ministres des Affaires Etrangères Bernard Kouchner et de la Justice Michèle Alliot-Marie ont annoncé la création d’un pôle « génocide et crime contre l’humanité » au sein du Tribunal de Grande Instance (TGI) de Paris. Cette mesure, insérée dans le projet de loi sur la spécialisation des juridictions et des contentieux, sera discutée au Parlement au premier semestre 2010. Un projet de loi aux objectifs ambitieux mais qui risque de voir ses moyens d’action limités.
La création du pôle « génocide » vise à « réaffirmer la volonté de la France de lutter sans faiblesse contre [l’impunité de tels crimes] », c’est-à-dire à rendre plus efficace la procédure de traitement de ces affaires au sein des juridictions nationales, par la mise en place d’un pôle magistrat-instructeur au sein du TGI de Paris, qui réunira aussi des professionnels (traducteurs, chercheurs…) en charge d’apporter leurs compétences techniques pour ces dossiers complexes.
Le pôle « génocide », qui pourrait être créé avant la fin de l’année 2010, permettrait de rendre plus rapide et plus efficace les procédures judiciaires engagées en France contre des personnes soupçonnées d’être les auteurs de tels crimes. Bien que le pôle ne voie pas sa compétence limitée à certaines affaires en particulier, l’annonce de sa création fait expressément référence au cas de la quinzaine de ressortissants Rwandais actuellement poursuivis en France pour leur rôle présumé dans le génocide rwandais d’avril 1994. MM. Kouchner et Alliot-Marie pointent la lenteur des procédures actuelles et appellent à « agir vite » pour la mise en place de cette structure : la France a en effet déjà été condamnée en 2004 par la CEDH pour la lenteur de sa procédure de jugement de Wenceslas Munyeshyaka (accusé crimes contre l’humanité au Rwanda, et en attente d’un jugement définitif depuis l’ouverture d’une procédure contre lui en 1995).
Il ne s’agit pas pour la justice française « de mettre en place la compétence universelle [le droit d’un Etat de poursuivre et juger l’auteur présumé d’une infraction, quels que soient le lieu de l’infraction, la nationalité ou la résidence de son auteur présumé ou de la victime], mais de faire valoir les principes du droit international au sein des juridictions nationales, dans le respect du traité de Rome de 1998 » (qui institue la Cour Pénale Internationale, CPI). Ce sont donc les auteurs présumés de génocide (crime prévu et réprimé par le Code pénal français) et de crimes contre l’humanité résidant habituellement sur le territoire français qui sont visés. Il ne s’agit pas non plus de faire concurrence aux juridictions pénales internationales, la compétence du pôle leur étant subsidiaire.
Ce sont d’ailleurs ces deux conditions de lieu de résidence et de subsidiarité de compétence (insérées dans le projet de loi relatif à la compétence universelle des tribunaux française, adoptée par le Sénat en juin 2008) qui font douter certains juristes des réels pouvoirs mis à disposition des magistrats de cette structure : non seulement la condition de résidence a peu de chance d’être remplie, mais il faudrait, pour que le pôle puisse exercer sa compétence, que la CPI renonce expressément à la sienne (en ce sens, le projet de loi français va à l’encontre du traité de Rome qui donnait la priorité aux juridictions nationales).
Il convient de noter que l’annonce de la création du pôle intervient dans le cadre de la normalisation des relations diplomatiques entre la France et le Rwanda, rompues fin 2006 à l’initiative du président Rwandais Paul Kagame, suite à la délivrance par un juge d’instruction français de mandats d’arrêts internationaux contre 9 de ses collaborateurs soupçonnés d’avoir joué un rôle actif dans le génocide.
Jean-Christophe Grognet
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Sur les limites aux ambitions du pôle
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