Le monde d’aujourd’hui diffère grandement de ce qu’il était en 1945 en termes de relations internationales ; l’équilibre du pouvoir change et se déplace. Pour ne donner que quelques exemples, après la Seconde Guerre Mondiale une partie du monde se trouvait encore sous domination coloniale européenne et les relations inter-gouvernementales à cette époque s’articulaient autour des deux axes dans un monde bipolaire.
La configuration des relations internationales contemporaines continue aujourd’hui de fonctionner selon des mécanismes et des institutions créés à cette époque. En effet, le pacte de San Francisco, acte créateur des Nations Unies, fût signé en 1945 ; et les institutions de Bretton Woods furent créées la même année.
On peut donc observer un problème systémique dû peut-être tout d’abord au refus des pays développés de lâcher leur emprise sur ses mécanismes au profit des revendications de participation égalitaire et de démocratisation de la scène internationale par les Etats du Sud. L’alliance des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) et la création par eux d’une Nouvelle Banque de Développement est un des exemples les plus flagrants de cette théorie.
La somme de deux facteurs, à savoir les changements dans l’équilibre du pouvoir au sein des relations internationales, et la critique faite à la forte influence du néolibéralisme au sein des institutions internationales, conduit à un effort de la part des pays en développement pour opérer un changement au sein de la structure internationale, afin que celle-ci reflète mieux les réalités économiques d’aujourd’hui. L’alliance des BRICS et la création de la Nouvelle Banque de Développement est un clair exemple de cette affirmation.
L’alliance des « BRICS » au sein du Nouvel Ordre Mondial
Depuis les années 90 et la chute de l’URSS, les économies des Etats émergents grandissent, ce qui permet à ces Etats d’avoir un poids de plus en plus important au sein du produit global.[1]
Au sein même de cette catégorie générique des Etats du Sud, on peut constater une croissance plus importante encore des « BRICS ». A titre d’exemple, ces Etats furent à eux seuls responsables de 30% de la croissance économique mondiale entre 2000 et 2008. [2]
Cette croissance de la puissance économique des « BRICS » entraîne donc nécessairement une évolution quant à l’équilibre du pouvoir au sein des relations internationales et conduit donc à une redistribution du pouvoir vers une multipolarité qui vient défier l’hégémonie des Etats-Unisqui s’était imposée depuis la fin de la guerre froide. [3]
L’état des relations internationales a ainsi connu une profonde mutation depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, et son évolution continue encore aujourd’hui.
De ces changements économiques découle une demande qui se veut de plus en plus forte, de la part des Etats du Sud et plus particulièrement des BRICS, d’une place plus importante au sein de la diplomatie internationale. Les Etats du Nord, et plus généralement la communauté internationale ne semblent pas se montrer réceptifs à cette revendication, poussant donc ces Etats en voies de développement à créer des alliances, dont l’alliance « BRICS ». Et bien que cette alliance reste encore informelle due à l’absence d’une institution qui la représente, la création d’une Nouvelle Banque de développement augmenterait fortement l’assise de ce groupe sur la scène internationale.
Critiques envers les mécanismes de relations intergouvernementales et institutions financières
D’autre part, la critique envers le fonctionnement du système des institutions internationales se veut de plus en plus forte, car l’étude de ces institutions et de leur fonctionnement renforce l’idée selon laquelle le système international tel qu’appliqué aujourd’hui ne reflète plus les relations de pouvoir et de force actuelles, et oblitère les revendications de démocratisation et de meilleure représentation des Etats du Sud. Un exemple de cette critique est le Conseil de Sécurité de l’ONU au sein duquel le droit de véto n’est accordé qu’à 5 Etats.
Ces critiques se dirigent tout particulièrement vers le système financier international, incarné par les institutions de Bretton Woods. La Banque Mondiale et le Fond Monétaire International (FMI) furent créées en 1945 avec pour objectif d’améliorer la capacité commerciale des nations appauvries au travers de prêts pour une reconstruction et des projets pour le développement (Banque Mondiale), ainsi que d’amortir la politique monétaire de ses membres et fournir une assistance économique aux Etats en difficulté dans la balance des payements (FMI). [4]
La première critique se fait à l’égard des conditions imposées aux Etats récepteurs de prêts, conditions fondées sur le Consensus de Washington, promoteur de la libéralisation, la dérégulation et la privatisation des industries nationales. Ces conditions peuvent en effet conduire à la perte d’autorité d’un Etats sur son propre territoire et ne parviennent pas à résoudre les problèmes économiques de ces Etats. Par ailleurs, l’évaluation de la situation économique d’un Etats qui se verra soumis à ces conditions est très sommaire et le pouvoir de vote accordé à ce Etats est très faible (au FMI, le pouvoir de vote étant calculé selon les contributions, les Etats-Unis détiennent à eux seuls plus de 50% de la capacité de vote…)[5]. On peut même aller jusqu’à affirmer, selon une théorie structuraliste des relations internationales, que non seulement le fonctionnement de ce système n’aide en rien la situation économique des Etats du Sud, mais en outre stabilise l’ordre colonial et empêche que ces Etats puissent jouir de leur réel potentiel de développement. [6]
La création de la Nouvelle Banque de Développement des « BRICS »
Face au maintien du système actuel et malgré les critiques, les « BRICS » décidèrent de créer leur propre Banque de développement. Le projet fût lancé en juillet 2014 durant un sommet réunissant le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud, et présente une valeur très significative car elle marque l’institutionnalisation de ce groupe, qui avant la création de la Banque n’était qu’ informel.
Cette banque aura deux sources de rentrée d’argent : une source de capital souscrite et un fond de réserve d’urgence. Le capital souscrit s’élèvera à 50 000 millions de dollars, alimenté par chacun des membres à hauteur d’un cinquième (soit 10 000 millions de dollars par Etat). Le fond d’urgence, quant à lui, servira « en cas de crise du taux de change et fuite de capital », mais ce fond ne sera pas rempli de manière égale par les cinq membres. En effet, la Chine se chargera d’investir 41 000 millions de dollars, la Russie, le Brésil et l’Inde investiront à eux 18 000 millions de dollars, et l’Afrique du Sud ajoutera 5 millions. [7] De plus, d’après un accord signé lors de la création de la Banque, les crédits s’effectueront en monnaie locale « afin de se substituer au dollar américain comme unité principale de valeur et d’échange ». [8] Quant à la présidence du groupe, elle se fera de manière rotative. [9]
Des objectifs similaires au FMI et à la Banque Mondiale
Les objectifs de cette Nouvelle Banque de Développement sont similaires à ceux du FMI et de la Banque Mondiale : financer des projets d’infrastructure et de développement durable dans les Etats en développement. [10] Il peut être noté que le nom choisi, la Nouvelle Banque de Développement (et non la Banque des BRICS) signifie que cet organisme se destine à capter de nouveaux membres tels que le Mexique, la Turquie, l’Indonésie ou le Nigeria.
La création de la Banque fut principalement due à la volonté de ses créateurs de ne plus dépendre des institutions et du système international actuel, système gouverné par les Etats-Unis et les Etats du Nord, avec une forte intention d’« affirmer le pouvoir économique du groupe sur les affaires internationales ». [11] En outre, sa naissance ainsi que ses modalités de fonctionnement démontrent l’insatisfaction des « BRICS » envers l’ordre mondial tel qu’il est construit, et de la place qui leur est donnée au sein de celui-ci, comme l’affirme Charles Collyns. [12] Ils allèrent jusqu’à inclure le thème des monnaies locales afin de ne pas dépendre du dollar américain, comme un clair rejet de son contrôle sur le système actuel. Certains auteurs vont jusqu’à parler d’un nouveau « consensus de Rio » afin de marquer la rupture avec les politiques des autres institutions financières. [13]
Cependant, il existe une préoccupation due au déséquilibre de pouvoir au sein de la Banque, déséquilibre en faveur de la Chine. La Chine dispose en effet des meilleurs ressources et réserves, et apportera à elle seule quasiment la moitié du fond d’urgence, soit beaucoup plus que les quatre autres membres. Certains auteurs craignent donc que la Chine devienne une entité similaire aux Etats-Unis au sein du FMI, et qu’elle prenne le contrôle de la Nouvelle Banque de Développement…
Christelle Nicolas
BIBLIOGRAPHIE
LIVRES
Mundo BRICS las potencias emergentes, Mariano Turzi, Ed Claves para todos, 2011
ARTICLES
¿Qué son las instituciones de Bretton Woods? Bretton Woods Project, 22 febrero 2008 http://www.brettonwoodsproject.org/es/2008/02/art-560746/
¿Cuáles son las preocupaciones y críticas que se le hacen al Banco Mundial y al FMI? Bretton Woods Project
Globalization, Emerging powers and the future of capitalism, Dos Santos, Theotônio, Breña, Mariana Ortega, Latin American Perspectives, 3/1/2011, Vol 38, Issue 2, pp.45-57 (Base de datos HAPI).
Los BRICS desafían al sistema financiero con un Nuevo Banco – BBC – 15 Julio 2014. http://www.bbc.com/mundo/noticias/2014/07/140714_economia_brics_nuevo_banco_jgc
Un Banco para los BRICS – Marcelo Santoro. http://www.palermo.edu/Archivos_content/economicas/pdf/Un-banco-para-los-BRICS-Marcelo-Santoro.pdf
Hacia dónde van los BRICS, Nueva Sociedad, Democracia y política en America Latina, Fátima Mello, Agosto 2014 http://nuso.org/articulo/hacia-donde-van-los-brics/
[1] Mundo BRICS las potencias emergentes, Mariano Turzi, Ed Claves para todos, 2011
[2] Ibid
[3] Ibid
[4] ¿Qué son las instituciones de Bretton Woods? Bretton Woods Project, 22 febrero 2008
[5] ¿Cuáles son las preocupaciones y críticas que se le hacen al Banco Mundial y al FMI? Bretton Woods Project
[6] Globalization, Emerging powers and the future of capitalism, Base de datos HAPI.
[7] Los BRICS desafían al sistema financiero con un Nuevo Banco – BBC – 15 Julio 2014.
[8] Un Banco para los BRICS – Marcelo Santoro.
[9] Idem
[10] Hacia dónde van los BRICS, Nueva Sociedad, Democracia y política en America Latina, Fátima Mello, Agosto 2014
[11] Un banco para los Brics – Marcelo Santoro.
[12] Los BRICS desafían al sistema financiero con un Nuevo Banco – BBC – 15 Julio 2014.
[13] Idem.