Le 1er mars 2016, une audience inédite s’est ouverte à La Haye : Ahmad al-Faqi al-Mahdi, djihadiste Touareg présumé responsable de la destruction des mausolées de Tombouctou, a vu une peine de 9 à 11 ans de prison être requise contre lui. Il est le premier djihadiste à comparaître devant la Cour.
De l’Éducation nationale à la Brigade des mœurs
Alors que le groupe djihadiste Ansar Dine progresse dans le nord du Mali à l’été 2012, la communauté internationale est focalisée sur une ville laissée à la merci des terroristes : Tombouctou.
Sans défense, c’est à coups de pioche et de burin que tombent les uns après les autres les mausolées de la ville malienne. Selon l’Accusation, c’est sous les ordres de cet ancien fonctionnaire de l’Éducation nationale que commença la destruction de neuf des fameux mausolées en terre crue et de la mosquée Sidi Yahia.
Ironie du sort, voilà que l’exécutant du tribunal islamique de Tombouctou se retrouve maintenant du côté des accusés, à plaider coupable dans ce procès unique.
Mausolées de terre et crimes de pierre
Outre la personnalité de l’accusé, c’est surtout l’objet du procès qui suscite la curiosité des observateurs : la destruction de biens culturels comme crime de guerre.
Il s’agit du premier procès à se tenir devant la Cour uniquement pour ce chef d’inculpation. Cette affaire en rappelle cependant une autre, devant le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie cette fois : l’Affaire Miodrag Jokic (2005), dans laquelle ce Commandant de la Marine Yougoslave avait été reconnu coupable des attaques sur la vieille ville de Dubrovnik en 1991 pour ne pas avoir empêché « la destruction ou l’endommagement délibéré » de biens culturels [1] . Une zone pourtant classée au Patrimoine culturel mondial de l’UNESCO et protégée par la Convention de la Haye de 1954 pour la protection des biens culturels en cas de conflit.
En pérennisant la poursuite des responsables de « crimes de pierre », c’est un message fort qu’envoie la Cour : dans une ère de multiplication des destructions de biens culturels, ce procès marque la volonté de ne pas laisser ces crimes impunis, en mettant en œuvre les instruments normatifs élaborés [2] pour la protection du patrimoine culturel mondial. C’est également la mise en œuvre de l’article 8.2 [a) iv] du Statut de Rome, aux fins duquel on entend par « crimes de guerre » « la destruction et l’appropriation de biens, non justifiées par des nécessités militaires et exécutées sur une grande échelle de façon illicite et arbitraire » [3].
Pour autant, cette affaire suscite des interrogations : quid des destructions orchestrées par l’État Islamique (E.I.) depuis deux ans ?
Dans les deux cas, la destruction apparaît délibérée et organisée, contrairement aux dommages collatéraux, qui peuvent survenir dans le cadre de n’importe quel conflit armé. Si de tels actes avaient déjà provoqué l’indignation, comme la destruction des Bouddhas de Bâmiyân (Afghanistan) par le régime des Talibans, jamais ceux-ci n’avaient été aussi rapprochés.
En 2015, ce fut au tour des cités de Palmyre (Syrie) et Nimroud (Irak) d’être ravagées. Ainsi, furent tour-à-tour détruites à la dynamite l’une des villes emblématiques du monde Antique, et l’ancienne capitale du royaume d’Assyrie.
Quelle suite possible pour les « crimes de pierre » en Irak et au Levant ?
« Un crime qui nous appartient tous et qui porte atteinte à des valeurs universelles qu’il nous incombe de protéger. » (F. Bensouda)
Il n’est pas surprenant que la Procureure tienne ce discours, en ce que les « crimes de pierre » peuvent constituer une manière indirecte d’annihiler une civilisation, un groupe déterminé, en le privant de son héritage et de son histoire.
Cependant, ce plaidoyer n’a pas empêché certains commentateurs de dénoncer un succès en demi-teinte [4] pour la Cour, notamment la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme qui demandait déjà à l’automne dernier l’élargissement des charges qui pèsent sur l’accusé.
S’il est dangereux de faire de ce dernier un coupable expiatoire, il faut rappeler que plusieurs hauts responsables d’Ansar Dine n’ont fait l’objet d’aucune poursuite de la part de la Cour, malgré des preuves de crimes relevant du Statut.
Premier terroriste devant la CPI
Le statut de l’accusé est lui aussi inédit : pour la première fois, la Cour pénale internationale tient devant elle un terroriste.
Une première, symbole d’espoir pour nombre d’observateurs dans le contexte actuel, mais de façon trompeuse, car ce n’est pas le terrorisme que l’on juge ici : c’est bel et bien la destruction de biens culturels, analysée comme un crime de guerre au regard de l’article 8.2 du Statut de Rome.
[1] Site du T.P.I.Y. : Les Affaires > Jokic, Miodrag > Résumé de l’arrêt du 30/08/2005
[2] Metou, B. (2016) : CPI : Vers le premier procès pour destruction des biens culturels ( ?), Revue Sentinelle, 03 mai 2016
[3] Statut de Rome de la Cour pénale internationale, 17 juillet 1998, entré en vigueur le 1er juillet 2002
[4] Branco, J. : Encore un procès de pierre et de terre à la CPI, Twitter, 02 août 2016
Paul Pouchoux