La prison cristallise dans la considération qu’on lui offre et les moyens qu’on lui donne l’ensemble des carences et problématiques de la justice et de l’administration pénitentiaire. Des dispositions ont été prises afin de lutter contre la propagation du Coronavirus dans le milieu carcéral. Elles restent insuffisantes au regard des libertés fondamentales des détenus.
L’article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 a autorisé le gouvernement, dans les conditions de l’article 38 de la Constitution, à prendre par ordonnance durant un délai de trois mois, toute mesure relevant du domaine de la loi. Celle-ci a permis notamment d’édicter de nombreuses mesures d’assouplissement des modalités d’affectation et de déplacement des détenus. Par ailleurs, le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 a prescrit des mesures sanitaires d’urgence d’éloignement et de confinement afin de ralentir la propagation du virus. En conséquence, de nombreuses mesures sont prises afin de limiter les déplacements et le regroupement de personnes. Il était dès lors assuré que les pouvoirs allaient s’intéresser à la question du virus dans les différentes prisons de France.
Fluidifier les affectations des détenus dans les prisons
L’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 a prévu, quant à elle, dans ses articles 21 à 23, des dispositions permettant, par dérogation, de faciliter les affectations des personnes mises en examen, prévenues ou accusées dans les différents services ou au sein de différents établissements pénitentiaires aux fins de lutte contre la propagation du virus.
Par ailleurs, le rapport remis au Président de la République, à l’occasion de l’ordonnance du 25 mars 2020, précise, à cet égard, que les articles 21 à 23 permettent à l’administration pénitentiaire de fluidifier les affectations des détenus dans les établissements pénitentiaires. En effet, il a été permis de prendre des mesures permettant de décider de transferts dans un établissement pénitentiaire comportant un quartier de quarantaine ou un quartier pouvant accueillir des détenus atteints d’une pathologie.
Le rapport précise également qu’à l’aune de l’article 28, il était permis la sortie anticipée des détenus condamnés à une peine inférieure ou égale à cinq ans ayant deux mois ou moins de détention à subir. On permet, ainsi, une mutation de la peine sous la forme d’une assignation à résidence avec interdiction d’en sortir.
De manière générale, il semblerait que ces mesures ne comblent que partiellement les besoins de la prison dans ce contexte et fait courir, malgré tout, un risque particulièrement grave aux différentes personnes dans ces lieux.
Les atteintes aux libertés fondamentales des détenus en milieu carcéral
Cette catastrophe sanitaire en prison susceptible de porter atteinte à la santé des détenus, laquelle est notamment protégée par l’article 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après CESDH) portant sur le droit à la vie. On comprend ici l’importance de l’affirmation de ce droit dans les contextes de crises sanitaires.
La Cour européenne des droits de l’homme (ci-après CEDH) a en effet consacré ce droit à la vie comme l’une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques qui forment le Conseil de l’Europe (CEDH 27 sept. 1995, McCann c/ Royaume-Uni, no 18984/91).
L’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme impose en effet, aux États contractants, l’obligation, non seulement de s’abstenir de donner la mort « intentionnellement » ou par le biais d’un « recours à la force » disproportionné mais, aussi de prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant de leur juridiction (CEDH 9 juin 1998, L.C.B. c/ Royaume-Uni, no 23413/94).
Aussi, repose sur l’Etat la charge de prouver qu’il a, effectivement, pris toutes les mesures nécessaires et attendues pour protéger les personnes privées de leur liberté (CEDH 14 mars 2002, Paul et Audrey Edwards c/ Royaume-Uni, no 46477/99), peu importe l’origine du problème ayant obligé aux mesures (CEDH 27 juin 2000, Salman c/ Turquie, no 21986/93). La CEDH impose aux Etats l’obligation de « dispenser avec diligence les soins médicaux à même de prévenir une issue fatale » (CEDH 16 nov. 2006, Huylu c/ Turquie, no 52955/99).
Dans un contexte comme celui de la prison, au sein duquel, au 1er janvier 2020, 70 651 personnes étaient détenues dans les prisons françaises pour 61 080 places effectives, pour un taux d’occupation moyen de 116 % (chiffres présentés par l’OIP), on ne peut que s’indigner de l’autoclave dans lequel on a placé surveillants comme détenus. En cette période où les mesures générales prises pour la population furent celles du confinement et de la distanciation sociale, la promiscuité maintenue des détenus questionne.
On rappellera que la CEDH a, le 30 janvier 2020, condamné la France pour violation de l’article 3 de la CESDH en raison de la surpopulation carcérale.
L’arrêt réitère les principes relatifs à la conventionnalité des conditions matérielles de détention et précisément les lignes directrices applicables depuis l’arrêt Muršic contre Croatie (CEDH, grande chambre, 20 oct. 2016, n°7334/13) en matière d’espace personnel. Les États sont donc débiteurs de l’obligation positive générale d’organiser leur système pénitentiaire de façon à assurer aux détenus le respect de leur dignité (CEDH, 27 mars 2008, n° 63955/00, Sukhovoy c/ Russie).
Parallèlement à cette obligation d’agir, il est nécessaire d’identifier les conditions de détention incompatibles avec l’article 3 et, en l’espèce notamment, de caractériser un espace personnel constitutif d’un traitement inhumain et dégradant. La Cour, précise qu’un espace personnel se situant en-deçà des 3 m2 fait naître une « forte présomption » de violation de l’article 3.
La crise sanitaire que nous vivons actuellement met donc en lumière les limites de notre système carcéral, en France. La surpopulation des prisons pourrait notamment entraîner une propagation virulente du Coronavirus entre détenus et surveillants. Le désengorgement des établissements pénitentiaires apparaît dès lors comme plus que jamais d’actualité.
Par Ibrahim SHALABI, élève avocat à l’EFB et Jocelyn ZIEGLER, modérateur de la rubrique droit administratif et élève avocat à l’EFB