Le législateur et les organismes de sécurité sociale ont développé différents dispositifs pour assurer aux cotisants une meilleure sécurité juridique face aux contrôles URSSAF. Ils ont notamment mis en place, depuis 2004, une charte détaillant ces étapes ou, plus récemment, complété les dispositions légales en vigueur par le décret du 8 juillet 2016 [1]. La Cour de cassation participe également à ce mouvement de sécurisation des procédures de contrôle. Elle sanctionne, dans un arrêt récent, l’absence de motivation d’une contrainte émise par l’URSSAF [2].
La complexité du contrôle URSSAF nécessite de rappeler tout d’abord le déroulement d’un contrôle Urssaf (I) pour évoquer l’obligation de motiver une contrainte (II).
I Le contrôle des cotisations sociales exercé par l’URSSAF
Les URSSAF contrôlent l’exhaustivité des informations produites par l’employeur (A). Elles effectuent ce contrôle en plusieurs étapes (B) et sont dotées de moyens coercitifs permettant de faciliter le recouvrement des sommes dues par l’employeur (C).
A) Quel est le rôle de l’Urssaf et quelle est sa mission en matière de contrôle ?
Chaque employeur est tenu de déclarer les salaires bruts, le nombre d’heures rémunérées, l’assiette et le montant des cotisations et contributions sociales. Le contrôle de la véracité de ces déclarations est confié aux URSSAF[3], qui assurent cette mission par le biais d’agents de contrôle assermentés[4] (contrôleurs ou inspecteurs).
Ces derniers effectuent des contrôles «sur pièces» pour les entreprises de moins de 11 salariés, c’est-à-dire à distance, et des contrôles « sur place», dans les locaux de l’entreprise, pour les entreprises de plus de 11 salariés.
B) Comment cette procédure de contrôle est-elle organisée ?
La procédure de contrôle est soumise à un certain formalisme : sauf en cas de travail dissimulé, elle doit être précédée de l’envoi d’un avis de contrôle à l’employeur. Cet avis fait état de plusieurs mentions obligatoires dont la possibilité de se faire assister pendant le contrôle et l’existence de la « Charte du cotisant contrôlé », document précisant les droits et obligations de l’employeur pendant le déroulement et à l’issue du contrôle[5]. A la fin du contrôle, l’agent de contrôle est tenu de remettre à l’employeur une lettre d’observation qui pourra, s’il y a lieu, donner suite à une phase d’échanges contradictoires entre l’employeur et l’Urssaf. Au terme de cette phase de dialogue, un procès-verbal est alors dressé et une mise en demeure est envoyée si des chefs de redressements subsistent. L’employeur peut alors contester cette mise en demeure devant la Commission de recours amiable (CRA). En cas d’échec de la procédure amiable, il peut alors saisir le Tribunal des affaires de Sécurité sociale (TASS).
C) Comment l’Urssaf peut-elle contraindre l’employeur à payer ?
L’Urssaf dispose de plusieurs moyens pour s’assurer que l’employeur paye ses cotisations et contributions sociales. Elle peut, par exemple, intenter une action en garantie de paiement[6] ou encore recourir à des mesures conservatoires[7]. Cependant, la contrainte demeure la technique la plus couramment utilisée par l’Urssaf tant en raison de sa simplicité d’exécution que de son efficacité[8]. La contrainte permet de recouvrer les sommes dues par la personne contrôlée qui n’a pas régularisée sa situation vis-à-vis de l’Urssaf. Seul le directeur de l’Urssaf dispose de la compétence pour la délivrer[9] même s’il peut toujours déléguer ce pouvoir. Si la contrainte est effectivement définie par les textes, la jurisprudence est venue précisée le contenu d’une contrainte dans le silence des textes législatifs et réglementaires sur ce point comme le témoigne le présent arrêt.
II L’annulation d’une contrainte non motivée
L’arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 3 novembre 2016 rappelle l’obligation de motiver, à peine de nullité, une contrainte (A) et précise également les modalités de cette obligation (B).
A) L’obligation de motiver une contrainte
Le deuxième chambre civile de la Cour de cassation rappelle, à travers cet arrêt, l’obligation de motiver les contraintes émises par les organismes de recouvrement.
En l’espèce, le litige confrontait un travailleur indépendant à son organisme de recouvrement. Dans le cadre d’un contrôle, le cotisant s’est vu, remettre une mise en demeure lui enjoignant de régler certaines cotisations impayées. Cette mise en demeure faisait l’objet d’une motivation de la part de l’organisme de recouvrement. Ne régularisant pas sa situation dans le délai d’un mois, l’organisme de recouvrement lui a notifié une contrainte. Cependant, cette contrainte n’avait pas été motivée par l’organisme de recouvrement contrairement à la mise en demeure.
Les juges du fond l’ont toutefois validé. Ils ont retenu, d’une part, que la mise en demeure n’avait pas été contestée et que, d’autre part, que cette dernière contenait « toutes les précisions sur la période de cotisation, leur montant et majoration ». Tel n’est pas l’avis de la Cour de Cassation qui, au visa des articles L. 244-2 et L. 244-9 du Code de la Sécurité sociale, casse l’arrêt de la Cour d’appel.
La cour énonce, en effet, que « la motivation de la mise en demeure adressée au cotisant ne dispense pas l’organisme social de motiver la contrainte qu’il décerne ensuite pour le recouvrement des cotisations mentionnées dans la mise en demeure ».
La Cour de cassation reprend ici un concept désormais répandu en droit de la Sécurité sociale à savoir l’obligation des organismes de Sécurité sociale de motiver leurs décisions[10]. Initiée il y a trente ans[11], cette obligation impose d’indiquer les considérations de droit et de fait pour lesquelles les décisions sont intervenues. Elle concerne essentiellement les décisions individuelles des caisses de Sécurité sociale et s’inscrit comme une garantie essentielle contre tout arbitraire.
B) Les mentions obligatoires de la contrainte précisées
La Cour détaille également les mentions obligatoires de la contrainte. Cette dernière doit contenir « outre la nature et le montant des cotisations réclamées, la période à laquelle elle se rapportent sans que soit exigée la preuve d’un préjudice ». Cette exigence n’est pas nouvelle. La Cour a déjà censuré certains arrêts des juges du fond qui avaient validé des contraintes sans de telles mentions[12]. Ces mentions doivent permettre à l’intéressé (le débiteur) d’obtenir suffisamment d’informations afin qu’il soit en mesure de connaître les éléments qu’on lui réclame et à quelle période ils font références. La présence de telles mentions dans la contrainte est donc essentielle. En leurs absences, la nullité de l’acte pourra être prononcée.
Florian Lafont et Léna Le Guyader
Master droit de la protection sociale d’entreprise Ecole de droit de la Sorbonne, Université de Paris 1
[1] “Charte du cotisant contrôlé” disponible sur le site de l’Urssaf ; Décret n° 2016-941 du 8 juillet 2016 relatif au renforcement des droits des cotisants
[2] Cass., 2e civ.,3 novembre 2016 n°15-20.433 P+B
[3] CSS L. 213-1 et L. 243-7 alinéa 1er
[4] CSS L. 243-7 du Code de la Sécurité sociale ; Arrêté du 9 septembre 2008 : Journal Officiel 14 septembre 2008
[5] CSS R. 243-59
[6] CSS art. L. 243-4 – CSS art L. 243-5
[7] C. exécution art. L. 511-1 et suivants
[8] CSS art. L. 244-9 – CSS art. R133-3 à R. 133-6
[9] CSS art. R. 133-4
[10] Pour plus d’informations sur ce sujet voir la troisième partie intitulée le droit de savoir du Rapport annuel de 2010 de la Cour de c assation.
[11] Loi n°79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l’amélioration des relations entre l’administration et le public
[12] Cass. Soc, 19 mars 1992, n°88-11.682 – Cass. Soc., 21 décembre 2001, n°00-12.733 – Cass Soc 2ème civ., 16 mars 2004 n°02-310.62