Le rachat de WhatsApp par Facebook remet les opérations de concentration dans l’actualité. Après un rappel de la notion de concentration (1), il sera question de ce qui justifie l’action actuelle de la Commission européenne en l’espèce (2)
La notion de concentration
Selon le règlement du Conseil des Communautés européennes du 21 décembre 1989, les concentrations sont « l’ensemble des opérations ayant pour objet l’accroissement de la dimension des entreprises et de leur puissance économique par la diminution de leur nombre ». Selon les articles 3 du Règlement européen n°139/2004 de 2004 et L.430-1 du code de commerce, trois types d’opérations constituent des concentrations : la fusion d’entreprises antérieurement indépendantes, la prise de contrôle d’une entreprise, et la création d’une entreprise commune.
Lorsqu’il y a une concentration à l’échelle européenne, elle doit être notifiée à la Commission européenne. Des seuils fixés en fonction des chiffres d’affaires permettent de déterminer si la concentration a une dimension européenne.
Il existe d’abord des seuils positifs déterminant la « grande dimension européenne ». Il faut que le chiffre d’affaires de l’ensemble des entreprises concernées dans le monde représente un montant supérieur à 5 milliards d’euros, et que le chiffre d’affaires total réalisées dans l’Union de chacune des entreprises dépasse 250 millions d’euros. Si ces deux seuils sont atteints, il y une concentration dite à grande dimension européenne.
La seconde série de seuils positifs définit une « petite dimension européenne ». Ces conditions cumulatives sont que le chiffre d’affaires total réalisé sur le plan mondial de l’ensemble des entreprises intéressées soit de 2,5 milliards d’euros ; que dans au moins 3 états membres de l’Union, le chiffre d’affaires global réalisé par l’ensemble des entreprises concernées soit d’au moins 100 millions d’euros ; et que chaque entreprise ait un chiffre d’affaires de plus de 25 millions d’euros.
Si l’une de ces dimensions est atteinte, la concentration sera alors de la compétence de la Commission européenne.
L’analyse menée ensuite par la Commission européenne a pour objectif de déterminer si l’opération de concentration porte atteinte à la concurrence. Celle-ci peut être le fait de la création ou du renforcement d’une position dominante. Il peut également s’agir de la création ou du renforcement de puissance d’achat mettant ses fournisseurs dans une position de dépendance économique. Cela signifie que le fournisseur ne peut disposer de solutions techniquement et économiquement équivalentes aux relations contractuelles qu’elle a avec l’entreprise en question.
Le problème posé par l’opération de rachat de WhatsApp par Facebook
En 2014, Facebook a notifié à la Commission européenne son projet de rachat de WhatsApp. Celle-ci l’a autorisé le 3 octobre 2014. Elle a examiné l’effet de l’opération sur les marchés des services de communication grand public, des services de réseaux sociaux et des services de publicité en ligne. En août 2014, Facebook avait indiqué à la Commission qu’il ne serait pas en mesure d’associer automatiquement et de manière fiable les comptes d’utilisateur de WhatsApp et les siens. Or, dans la mise à jour des conditions d’utilisation et la politique de confidentialité de WhatsApp, cette association entre les comptes est réalisée. Cela procure un avantage concurrentiel non négligeable à Facebook. En effet, les utilisateurs n’auront plus besoin de se ré-authentifier pour passer de Facebook à WhatsApp, alors que ce sera le cas pour les produits concurrents. Il s’agit d’un véritable avantage compétitif, et les informations qui ont été données sur ce point semblent être inexactes, ce qui pose donc un problème de fond.
En conséquence, la Commission craint que Facebook lui ait volontairement, ou par négligence, donné des informations inexactes ou trompeuses. Or, un tel comportement contrevient aux obligations des entreprises notifiantes en matière de contrôle des concentrations.
Le respect de cette obligation est pourtant important pour que l’examen de la concentration par la Commission soit efficace. Selon Mme Margrethe Vestager, commissaire chargée de la politique de concurrence : «Les sociétés sont tenues de fournir des informations exactes à la Commission lors des enquêtes sur les concentrations. Elles doivent prendre cette obligation au sérieux. L’examen objectif et en temps utile des opérations de concentration par la Commission dépend de l’exactitude des informations fournies par les sociétés concernées. Dans ce cas précis, la Commission estime, à titre préliminaire, que Facebook lui a fourni des renseignements inexacts ou trompeurs au cours de l’enquête menée sur le rachat de WhatsApp. Facebook a désormais la possibilité de répondre à la communication des griefs». Pour cause, les renseignements fournis par les parties à la concentration permettent d’évaluer les effets prévisibles sur la concurrence. Donner des informations inexactes fausse l’analyse et empêche donc la Commission de voir les réels impacts prévisibles sur les marchés.
Il est à noter que la Commission pourrait infliger à Facebook une amende allant jusqu’à 1% de son chiffre d’affaires (d’environ 5 milliards d’euros). Malgré cela, cette enquête n’a pas de conséquence sur la décision de rachat qui reste valable, et ne préjuge en rien de son issue. La Commission n’est pas tenue à un délai précis pour répondre. En conséquence, il n’est pas certain de savoir quand la réponse de la Commission interviendra. Cette durée peut donc varier en fonction notamment de la complexité de l’affaire, du degré de coopération des entreprises considérées, et de l’exercice des droits de la défense. Néanmoins, cette réponse sera basée sur le fait de savoir si les informations transmises étaient réellement inexactes ou trompeuses. De plus, la commission devra déterminer si les informations en question ont été transmises ainsi volontairement ou par négligence. Il convient toutefois de noter que Facebook affirme être de bonne foi.
Toutefois, il est possible de se demander si une amende de 1% du chiffre d’affaires est suffisante, et si cela est adéquat. En effet, si, in abstracto, 1% du chiffre d’affaires peut représenter une somme importante, cette somme peut en réalité être considérée comme négligeable par certaines entreprises. Ainsi, en l’espèce, l’opération de rachat a coûté plus de 20 milliards d’euros à Facebook. Il serait alors possible que certaines entreprises mentent ou omettent de déclarer des informations, et payent l’amende. Celle-ci paraitrait alors négligeable et pouvant être intégrée dans le coût final. Cela suffirait alors à maintenir la concentration.
Une autre solution aurait être de déterminer si le fait d’avoir cette information dès le départ aurait conduit à une interdiction de la concentration. Si c’est le cas, il serait compréhensible que la sanction soit l’annulation de l’autorisation de procéder à la concentration. Dans le cas contraire, l’amende pourrait alors suffire, car la fausse information n’aurait en réalité qu’une portée négligeable.
Toutefois, une telle annulation de concentration pourrait avoir des conséquences négatives importantes dans la pratique. Il serait alors possible d’appliquer un équivalent de la doctrine de l’estoppel, ou interdiction de se contredire au détriment d’autrui. Cela permet en quelque sorte de « transformer » un mensonge en vérité. Ce reviendrait en l’espèce à imposer à Facebook de forcer les utilisateurs à se reconnecter, même si ce n’est techniquement pas une nécessité. Il est à noter que l’utilisation de ce principe ne serait pas choquante, étant donné qu’il a été reconnu par la chambre commerciale de la Cour de cassation en 2011, et que le droit allemand connait une notion équivalente (le Rechtsverwerking), à laquelle les juges du fond belge font parfois référence.
Cyril AUFRECHTER
Pour en savoir plus :
Règlement 139/2004 de 2004 : http://eurlex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2004:024:0001:0022:fr:PDF
Article L430-1 du Code de commerce : https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do;?cidTexte=LEGITEXT000005634379&idArticle=LEGIARTI000006232012
http://www.lexisnexis.fr/depeches/index2.jsp?depeche=23-12-2016/03#top