Com., 23 janvier 2019, n° 17-18693, Caravane c/ Roche Bobois
La contrefaçon de marque par reproduction ou similarité doit induire un risque de confusion pour le consommateur d’attention moyenne, normalement attentif et avisé. Cependant, ce risque de confusion implique que la marque soit au préalable utilisée en tant que marque dans la vie des affaires. En effet, la fonction essentielle de la marque consiste à garantir la provenance des produits et/ou services d’une entreprise, en les distinguant des autres produits et/ou services proposés par des entreprises tierces1. En l’absence d’un tel usage du signe par le contrefacteur, l’atteinte au droit de propriété de la société requérante ne saurait être caractérisée.
A cet effet, se pose notamment la question de l’utilisation à titre de marque des signes attribués en tant que référencement de produits. Si les enseignes désignent leurs produits ou gammes de produits commercialisés sous leur marque par le biais de référencement, les dénominations utilisées à cette fin n’ont pas pour vocation première l’individualisation des produits et/ou services d’une entreprise aux yeux du consommateur. Toutefois, cette problématique a récemment été soulevée au titre d’une action en contrefaçon. Dans le cadre de celle-ci, la société défenderesse considérait que le signe litigieux n’était pas utilisé à titre de marque, de sorte que l’usage de ce signe dans la vie des affaires ne pouvait constituer une contrefaçon de la marque qui lui était opposée.
Le référencement d’un produit ou d’une gamme de produits est-il susceptible d’indiquer la provenance commerciale des produits marqués au consommateur ? Le cas échéant, l’imitation par un opérateur économique de la marque d’un concurrent à titre de référencement constitue-t-elle une contrefaçon du droit de marque ?
Le 23 janvier 2019, la chambre commerciale de la Cour de cassation s’est positionnée en confirmant la décision rendue par la cour d’appel de Douai. La Haute Juridiction a retenu que la dénomination servant de référencement d’une gamme de modèles peut être utilisée à titre de marque. Par conséquent, le juge peut déduire par un faisceau d’indices qu’un référencement est susceptible de remplir la fonction essentielle de garantie d’identité d’origine propre à la marque.
Si l’absence d’identité entre marque et référencement est patent (I), le référencement est susceptible d’exercer une garantie de provenance propre à rattacher son régime de signe distinctif à celui plus spécifique du droit de marque (II).
I. L’absence d’identité entre marque et référencement
L’usage non-équivoque du référencement dans la vie des affaires (A) ne peut seul prouver que le signe remplisse une fonction de garantie de provenance. Encore faut-il que le signe soit utilisé en tant que marque et non en tant que simple désignation de produits (B).
A. Un usage non-équivoque du référencement dans la vie des affaires
En 2002, la Cour de Justice indiquait que le titulaire d’un droit de marque peut s’opposer à l’usage fait par un tiers d’un signe identique à une marque valablement enregistrée, sur des produits identiques à ceux pour lesquels cette dernière est enregistrée, si cet usage est réalisé dans la vie des affaires2. La Cour rappelait que l’usage d’un signe identique à la marque est susceptible de mettre en péril la garantie de provenance qui constitue la fonction essentielle de la marque.
À cet égard, la Cour de cassation s’est en l’occurrence interrogée sur la capacité d’un référencement à constituer une atteinte à une marque valablement enregistrée. En l’espèce, la société Caravane, titulaire de la marque française verbale et de la marque internationale verbale « Caravane », poursuivait la société Roche Bobois pour la commercialisation de produits sous l’appellation « Karawan ». Selon la société Caravane, la société Roche Bobois aurait contrefait ses marques française et internationale en reprenant une dénomination quasiment identique afin de désigner des produits identiques, à savoir des canapés.
Aux termes de l’article L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle, l’imitation d’une marque et l’usage d’une marque imitée, pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l’enregistrement, sont interdits, sauf autorisation du propriétaire, sous réserve d’un risque de confusion dans l’esprit du public. Néanmoins, l’appréciation d’un tel risque de confusion implique que le signe litigieux ait bien été utilisé dans la vie des affaires afin d’individualiser des produits et services provenant d’une entreprise en particulier. En effet, la défense de la société Roche Bobois se fondait sur l’usage du terme « Karawan » à titre de référencement et non à titre de marque.
Il convient de préciser que la Cour de Justice retenait dès 2010 qu’un signe utilisé en tant que mot-clé permettant de déclencher un affichage publicitaire sur Internet fonde l’utilisation dudit signe dans la vie des affaires3. Toutefois, le grief fondé sur l’atteinte à la fonction d’investissement de la marque était rejeté, dans la mesure où il appartient aux opérateurs économiques de s’adapter à de telles pratiques dans l’acquisition ou la conservation de leur réputation susceptible de fidéliser la clientèle. L’usage du signe dans la vie des affaires implique donc une démarche active de la part de l’acteur économique afin d’écouler ses produits et d’ouvrir des débouchés commerciaux pour ses marchandises.
En conséquence, il apparaît que la société Roche Bobois, en reprenant une dénomination similaire à la marque de la demanderesse afin de désigner des produits identiques à ceux pour lesquels la marque « Caravane » était enregistrée, faisait un usage de son signe distinctif dans la vie des affaires. Néanmoins, les contours de cet usage nécessitaient une définition plus précise de la part de la Cour de cassation, afin notamment de rattacher ou non l’usage effectué du référencement à un usage effectué en tant que marque.
B. L’exigence de l’usage du signe en tant que marque
Pour que l’usage d’une marque soit caractérisé en tant que tel, il est nécessaire que son caractère distinctif lui permette d’individualiser des produits et services sur le marché par son caractère arbitraire vis-à-vis des produits et services désignés4.
Cette exigence est renforcée par les dispositions de l’article 4-1 b) de la directive de 2015 consacrant à l’échelle européenne la distinctivité intrinsèque de la marque. Ainsi, une marque verbale perçue comme un message promotionnel ou comme la description d’un service n’est pas considérée comme étant utilisée à titre de marque, du fait de son défaut de distinctivité intrinsèque5.
Dans un arrêt très commenté de 2011, la Haute Juridiction relevait que l’image de Che Guevara issue de la célèbre photographie n’est pas apte à individualiser des produits et services dans le cadre de la commercialisation de vêtements et de produits de l’édition6. En effet, le consommateur concerné percevra la marque non comme un signe lui désignant l’origine des produits ou services auxquels il s’intéresse, mais comme une référence politique ou artistique. La perception de la photographie par le public pertinent était donc considérée comme exclusive de son utilisation pour désigner à ses yeux l’origine des produits et services pour lesquels elle a été enregistrée. La Cour concluait ainsi au défaut de distinctivité de la marque en cause du fait de la perception du consommateur d’attention moyenne.
En l’occurrence, il apparaît que le terme « Karawan » est parfaitement distinctif au regard des produits et services désignés. En effet, cette dénomination apparaît comme étant tout à fait arbitraire vis-à-vis des classes revendiquées, en ce qu’elle ne constitue pas la dénomination nécessaire, générique ou usuelle permettant de désigner des canapés. Dès lors, le signe litigieux serait apte à assurer une indication sur l’origine commerciale du produit. Confronté à ce signe, le consommateur n’y percevrait ni un slogan ni un message promotionnel, mais pourrait y déceler une garantie d’identité d’origine des produits commercialisés. Toutefois, la société Roche Bobois arguait qu’il est usuel que les enseignes d’ameublement attribuent des dénominations aux produits ou gammes de produits vendus sous leur marque. Cette pratique faciliterait le référencement des produits et le consommateur, habitué à cet usage, ne pourrait percevoir ces dénominations comme des garantes de la provenance commerciale des produits.
Dès lors, il importe peu que le signe « Karawan » ait fait l’objet d’un usage sur le même marché que celui pour lequel la société Caravane exploite sa marque, et ce, pour désigner des produits de même nature, probablement fournis par les mêmes canaux de distribution. En effet, selon la société Roche Bobois, seule la marque de l’entreprise pourrait assurer la fonction de garantie d’identité d’origine. Il appartient donc à la Cour de cassation de se livrer à une analyse in concreto afin de déterminer si un signe utilisé à titre de référencement peut être perçu comme exerçant une garantie de provenance des produits marqués auprès du consommateur.
II. L’exercice d’une garantie de provenance par le biais du référencement
Du fait de la jurisprudence de la Cour de Justice, le domaine de la fonction essentielle de la marque faisait l’objet d’un élargissement significatif (A). Peu à peu, d’autres signes distinctifs tels que le référencement sont reconnus aptes à permettre une individualisation des produits marqués auprès du consommateur (B).
A. Un élargissement du domaine de la fonction essentielle de la marque
Tel qu’il l’a été vu en amont, la société Roche Bobois fonde essentiellement sa défense sur l’incapacité pour sa marque « Karawan » d’opérer auprès du consommateur d’attention moyenne une fonction de garantie d’identité d’origine des produits commercialisés. Or, il convient de relever que le domaine de la fonction essentielle de la marque connaissait un élargissement sans précédent du fait de l’intervention de la Cour de Justice. Ainsi, une fonction de qualité de la marque était reconnue dès 19967, de même qu’une fonction de renommée et de prestige en 19978. Enfin, la nouvelle expansion de 2009 permettait d’étendre la fonction essentielle de la marque aux fonctions d’investissement, de communication et de publicité9. Du fait de la consécration de ces notions autonomes, l’application homogène de ces nouvelles fonctions était assurée au sein de l’ordre juridique des Etats membres.
Dès lors, il est possible de se demander pourquoi la société Caravane ne s’est pas également prévalue de l’atteinte aux fonctions d’investissement, de communication et de publicité de la marque « Caravane », en sus de l’atteinte à la fonction de garantie de provenance. Néanmoins, force est de constater par exemple que, eu égard à l’état de la jurisprudence, l’atteinte à la fonction publicitaire n’est pas aisé à démontrer.
A ce titre, la Cour de Justice a refusé de retenir l’atteinte per se à la fonction publicitaire alors que l’annonceur avait utilisé un signe identique à la marque d’autrui dans un service de référencement10. Nonobstant, l’atteinte à la fonction de garantie d’identité d’origine était retenue dans la mesure où l’annonce était trop vague sur l’origine des produits et services proposés, de sorte que l’internaute raisonnablement informé était susceptible de se méprendre sur la provenance commerciale des produits. De même, l’atteinte à la fonction d’investissement était retenue car l’usage de la marque par un concurrent gênait de manière substantielle l’emploi de sa marque par le titulaire des droits afin d’acquérir ou conserver une réputation susceptible d’attirer et de fidéliser des consommateurs. Les juridictions nationales reprenaient cette analyse en rejetant l’atteinte à la fonction d’identité d’origine de la marque, lorsque le mot-clé n’apparaît pas dans l’annonce publicitaire litigieuse. En l’absence de risque de confusion du consommateur, ni la valeur de la garantie de provenance, la valeur des instruments de promotion des ventes et de stratégie commerciale n’est affectée11.
En l’espèce, la Haute Juridiction statuait sur l’atteinte alléguée à la fonction de garantie d’identité d’origine de la marque « Caravane ». Toutefois, reprenant la méthode de la méthode de la Cour de Justice pour caractériser la distinctivité du signe litigieux, le juge se fondait sur des catalogues et autres documents publicitaires servant de support au signe contesté afin de statuer sur la capacité du référencement à indiquer l’origine commerciale des produits vendus par l’enseigne. Ainsi, il semblerait que ces diverses fonctions essentielles puissent servir d’appui à la reconnaissance de la garantie de provenance du signe en cause.
B. Une individualisation des produits auprès du consommateur
Dans la présente affaire, la Cour de cassation relevait que le signe litigieux figurait en grosses lettres capitales en haut des affiches de présentation des produits. La dénomination « Roche Bobois » était inscrite en lettres plus petites en bas de l’affiche, se trouvant donc éclipsée par le signe en cause. En outre, le signe « Karawan » était reproduit sur les présentoirs ainsi que sur des catalogues diffusés au public. Enfin, le moteur de recherche Google dirigeait immédiatement vers la gamme de produits litigieux avec les mots-clés « canapés » et « Karawan ». La Cour constatait que le signe « Karawan » était prééminent sur les publicités que le consommateur découvrait hors des lieux de commercialisation dédiés à la marque « Roche Bobois », de sorte que le signe en cause revêtait une certaine distinctivité indépendamment de la perception par le public pertinent de la marque « Roche Bobois ».
Il semblerait donc que le terme « Karawan » et son mode d’utilisation résultaient bien d’un choix stratégique et commercial de la société poursuivie. La Cour tranchait en estimant qu’il s’agissait pour cette dernière d’un moyen de distinguer et d’individualiser ses produits auprès du consommateur et non d’assurer un simple référencement. Par conséquent, le signe litigieux possède bien une fonction d’indicateur d’origine permettant son assimilation au régime de la marque. Dès lors, la présence de la marque « Roche Bobois » et la commercialisation des produits marqués dans un magasin dédié à cette marque ne sont pas de nature à ôter au signe « Karawan » sa fonction de garantie d’identité d’origine desdits produits.
En raison de la distinctivité de la marque antérieure « Caravane », force est de constater que l’usage par Roche Bobois d’un signe similaire à celui de son concurrent est susceptible d’induire un risque de confusion chez le public pertinent. Il convient de rappeler que plus la similitude des produits ou des services couverts est grande et plus le caractère distinctif de la marque antérieure est fort, plus le risque de confusion est élevé12. En effet, il n’est manifestement pas possible de déterminer, sur la base du lien promotionnel et du message commercial joint, si l’opérateur avait la qualité de tiers ou s’il était économiquement lié au titulaire de la marque. Si le consommateur n’est pas mis en mesure de déterminer la provenance commerciale des produits marqués du fait de messages promotionnels et publicitaires trop vagues, le risque de confusion est caractérisé13. A contrario, il est indifférent qu’un acteur économique ait procédé à l’achat d’un mot-clé reprenant la marque d’un concurrent, si l’annonce déclenchée par le mot-clé permet à l’internaute attentif de déterminer qu’il n’existe aucun lien économique et commercial entre les sites en cause14.
En conséquence, le signe servant de référencement des produits vendus peut être utilisé à titre de marque, dans la mesure où ce signe est apte à assurer une fonction d’identité d’origine des produits marqués. Il convient de noter une assimilation du référencement au régime de la marque, du fait de l’usage effectué de ce signe dans la vie des affaires. Ledit référencement est donc susceptible de porter atteinte à une marque antérieure, fondant ainsi les griefs de contrefaçon de la société demanderesse.
Clara GRUDLER
1) CJCE, 22 juin 1976, C-119/75, Terrapin
2) CJCE, 12 novembre 2002, C-206/01, Arsenal football club
3) CJUE, 23 mars 2010 C-236/38, Google France
4) TPICE, 15 septembre 2005, Live Richly
5) CJUE, 4 octobre 2001, Merz & Krell, C-517/99, marque nominale « bravo » pour du matériel pour l’écriture ; TPICE, 10 octobre 2008, Light & Space, pour des produits de peinture
6) Civ. 1e, 12 juillet 2011, n° 09-16188
7) CJCE, 11 juillet 1996, aff. C-427/93, C-429/93, C-436/93, Bristol-Myers c/ Paranova A/S
8) CJCE, 4 novembre 1997, aff. C-337/95, Parfums Christian Dior SA et Parfums Christian Dior BV c/ Evora BV ; CJCE, 11 novembre 1997, aff. C-349/95, F. Loendersloot Internationale Expeditie c/ George Ballantine & Son Ltd
9) CJCE, 18 juin 2009, C-487/07, L’Oréal
10) CJUE, 22 sept. 2011, aff. C-323/09, Interflora
11) TGI Paris, 13 juin 2013, Mobeco-Codefo c/ Home Concept Paris Asian Interior
12) CJCE, 22 juin 1999, C-342/97, Lloyd Schuhfabrik Meyer
13) TGI Bordeaux, 25 septembre 2012, Panosol/AD Validem
14) TGI Nanterre, 1 re ch., 6 sept. 2012, Sté Eurochallenges c/ Lina H