Les frontières entre le contrat de travail et l’entraide familiale peuvent parfois être floues. En effet, travailler ou rendre service à un membre de sa famille ne pose pas de difficultés lorsque les relations sont au beau fixe. Cependant, lorsqu’elles se dégradent, le proche qui apporte son aide peut se retrouver sans travail et sans indemnité et peut souhaiter que soit reconnu un contrat de travail, comme l’illustre l’arrêt du 24 octobre 2018 de la chambre sociale (n°17-21141). Dans cette affaire, deux soeurs travaillaient ensemble dans une boutique florale. Une des deux soeurs, gérante du commerce, hébergeait sa cadette à son domicile et la faisait travailler dans la boutique. Suite à un différend familial, la gérante décide d’empêcher sa soeur de travailler et d’accéder à son logement en changeant de serrure. La seconde a donc cherché à faire reconnaître un contrat de travail devant les juges pour être indemnisée, mais la Cour, qui n’a pas reconnu un lien de subordination, n’a pas fait droit à sa demande.
Si la solution semble sévère, la Cour tient ici à rappeler l’importance de la qualification des critères du contrat de travail pour opérer une requalification, en particulier celle du lien de subordination.
Tout d’abord, il convient de rappeler qu’un contrat de travail ne peut exister sans rémunération. Le contrat de travail pourrait alors facilement être écarté dès lors que la personne qui travaille pour un proche ne reçoit aucune contrepartie. Cependant, la rémunération peut prendre plusieurs formes et ne se limite pas au versement d’une somme d’argent. La rémunération peut donc exister sans la perception d’un salaire, par exemple, la fourniture d’un logement peut être une rémunération. Dans l’affaire en question, la requérante était hébergée par sa soeur, ce qui aurait pu caractériser une rémunération, mais la Cour ne s’est pas prononcée sur ce point.
Ce qui différencie l’entraide familiale du contrat de travail est essentiellement le lien de subordination qui existe entre l’employeur et le salarié. Ce rapport ne se retrouve pas dans l’entraide familiale qui s’exerce en dehors de toute contrainte. Plus précisément, le lien de subordination recouvre le pouvoir de donner des ordres, d’en contrôler l’exécution et d’en sanctionner les manquements. Seuls ces trois critères sont exigés mais tous doivent être remplis. C’est dans ce cadre que la Haute Cour, dans l’arrêt du 24 octobre, a considéré que la fleuriste travaillant pour sa soeur avait pu être privée de travail et privée de logement sans recevoir aucune indemnité, car les juges avaient seulement caractérisé un pouvoir de direction, en occultant les pouvoirs de contrôle et de sanction.
C’est sur ce point que réside toute la difficulté de la distinction avec l’entraide familiale. Si le pouvoir de direction est plutôt clair à établir, puisqu’il suffit de donner des tâches à effectuer, il en va autrement pour les pouvoirs de contrôle et de sanction. En effet, une sanction prise à l’égard d’un proche peut tout à fait relever d’une querelle familiale sans lien avec le travail. Dans l’affaire étudiée, rien n’indiquait que les sanctions étaient liées au travail. Au contraire, les juges ont relevé qu’elles faisaient suite à un différend entre les deux soeurs. C’est probablement ce que la Cour a voulu mettre en avant. La privation du logement et du travail était la conséquence d’une affaire familiale et non de la relation de travail, ce qui rendait difficile la caractérisation d’un pouvoir de sanction lié à l’activité de fleuriste des deux soeurs.
Ainsi, il semble essentiel de fixer des limites lorsque l’on décide d’aider un membre de sa famille. Soit en établissant directement un contrat de travail, soit en veillant à ne pas fournir un aide régulière, tout en évitant de créer une relation de subordination.
Harold Herve
M1 droit social, Université Toulouse 1 Capitole