Par la loi du 15 août 2014 (1), le législateur a accouché d’une nouvelle « peine » en matière correctionnelle, la contrainte pénale, après plus de deux ans de gestation. Celle-ci a débuté en 2013 par la tenue d’une conférence inédite de consensus (2) sur le thème de la récidive que la politique de fermeté d’antan n’a pas su juguler, malgré l’instauration de « peines plancher » pour certains récidivistes (loi du 10 août 2007) et la création de nouvelles places en prison (loi du 27 mars 2012). À l’issue de cette conférence, il a été proposé au gouvernement d’abandonner les peines plancher, de créer une sanction pénale individualisée, tournée vers la réinsertion et détachée de l’emprisonnement, conformément à la politique pénale européenne (3), ainsi que de supprimer les peines et mesures non privatives de liberté existantes pour plus de lisibilité. Cette nouvelle sanction devait permettre de traiter plus intelligemment la petite délinquance qui s’endurcit au contact de la prison, et de mettre ainsi fin aux courtes peines d’emprisonnement, véritables « plaies de notre système pénitentiaire » (4) par la surpopulation carcérale qu’elles engendrent.
Reprenant cet objectif à son compte, le législateur a effectivement conçu une sanction individualisée et tournée vers la réinsertion, mais nullement détachée de l’emprisonnement, qui demeure l’étalon de la peine (5). En effet, il a renoncé pour le moment à ce que sa progéniture, logée à l’article 131-4-1 du code pénal (CP), puisse sanctionner à titre principal certaines infractions, en limitant son prononcé aux délits punis d’une peine d’emprisonnement de cinq ans au plus. Toutefois, il a déjà prévu d’étendre son application à l’horizon 2017 à tous les délits punis d’une peine d’emprisonnement, aussi longue soit-elle, voire de sanctionner certains délits à titre principal si le gouvernement y consentait. D’ailleurs, en positionnant la contrainte pénale au deuxième rang des peines énumérées à l’article 131-3 du code pénal, intercalée entre les deux peines principales de référence en matière correctionnelle (l’emprisonnement et l’amende) alors qu’elle n’est encore qu’une peine alternative à l’emprisonnement, le législateur lui réserve déjà un avenir prometteur.
Bridée par son géniteur, la nouvelle « peine » – qui est davantage une série de mesures, d’obligations et d’interdictions qu’une peine à la physionomie bien nette (6) – connaît un début de vie compliqué : noyée entre les autres peines alternatives à l’emprisonnement, que le législateur a préféré conserver, et souffrant de l’ombre jetée sur elle par l’emprisonnement (avec ou sans sursis), la contrainte pénale peine à émerger. En effet, elle n’a été prononcée qu’un millier de fois depuis le 1er octobre 2014 (7), soit un résultat très inférieur aux prévisions annexées au projet de loi qui attendait 8000 à 20 000 contraintes pénales chaque année. Or, un tel objectif ne pourra être atteint que si le législateur donne à sa progéniture une véritable identité (I) ainsi que les moyens de s’émanciper (II).
I. La contrainte pénale, une peine en quête d’identité
Loin d’être une peine à la physionomie bien nette dont le statut juridique aurait été clairement identifié par le législateur, la contrainte pénale occupe une place confuse dans l’arsenal judiciaire en matière correctionnelle (A), ce qui rend délicate la question de son application dans le temps (B).
A. La contrainte pénale, une peine alternative par défaut
Diagnostic. Le législateur a rangé la contrainte pénale parmi les peines principales de référence en matière correctionnelle, mais a renoncé à lui donner un tel statut. En effet, la contrainte pénale ne s’applique qu’à des délits punis d’une peine d’emprisonnement (article 131-4-1 CP). La nouvelle sanction ne constitue pas non plus une peine complémentaire dans la mesure où l’article 131-9 du code pénal interdit son cumul avec l’emprisonnement. Appelée à sanctionner des délits punis d’une peine d’emprisonnement sans pouvoir se cumuler avec celle-ci, il s’en déduit que la contrainte pénale est une peine alternative à l’emprisonnement : depuis le 1er octobre 2014 et pour les délits punis d’une peine d’emprisonnement de cinq ans au plus, le juge peut prononcer une contrainte pénale « à la place de l’emprisonnement » normalement prévu. En l’absence de texte l’indiquant expressément – contrairement aux autres peines alternatives à l’emprisonnement que sont le stage de citoyenneté, le travail d’intérêt général et les peines privatives ou restrictives de droits –, on peut regretter une atteinte au principe de légalité et à l’exigence de prévisibilité des sanctions pénales (8), bien que le Conseil constitutionnel n’y ait vu aucune atteinte aux divers principes de valeur constitutionnelle dans sa décision du 7 août 2014 (9). Pourtant, cette lacune législative a bien pour conséquence de soumettre l’auteur d’un fait délictueux à une peine dont il ne pouvait prévoir, au jour de l’infraction, ni le prononcé, ni le contenu, tant celui de la contrainte pénale apparaît modulable. À cet égard, la contrainte pénale pourrait être qualifiée de peine sui generis (10) tant elle se distingue des peines existantes. En effet, elle n’est pas une peine à la physionomie bien nette mais un ensemble de mesures, obligations et interdictions qui sont ordonnées par le juge lorsqu’elles ne sont pas imposées par le législateur.
Plus précisément, le prévenu est obligatoirement astreint, pendant toute la durée de la peine, aux mesures de contrôle prévues à l’article 132-44 du code pénal relatif au régime de la mise à l’épreuve. Au choix du juge, il peut être soumis aux obligations et interdictions prévues à l’article 132-45 du code pénal en matière de sursis avec mise à l’épreuve, à l’obligation d’effectuer un travail d’intérêt général ainsi qu’à une injonction de soins si la personne a été condamnée pour un délit pour lequel le suivi socio-judiciaire est encouru et qu’une expertise médicale a conclu qu’elle était susceptible de faire l’objet d’un traitement. La contrainte pénale peut donc facilement se confondre avec le sursis avec mise à l’épreuve et le sursis assorti de l’obligation d’accomplir un travail d’intérêt général, qui sont des modes d’exécution de la peine d’emprisonnement. Dans ces conditions, il est délicat de répondre à la question de l’application dans le temps de la contrainte pénale, tant la sévérité de celle-ci peut varier selon les mesures, obligations et interdictions retenues contre le prévenu.
Pronostic. L’article 8 ter du projet de loi relatif à l’individualisation des peines et à la prévention de la récidive prévoyait, à l’initiative du Sénat, la substitution de la contrainte pénale à la peine d’emprisonnement encourue pour des délits limitativement énumérés, parmi lesquels figuraient la filouterie (4°) et les dégradations (6°). La commission mixte paritaire a supprimé ces dispositions, sans toutefois condamner une telle évolution. En effet, le législateur a confié au gouvernement le soin de se prononcer, dans les deux ans suivant la promulgation de la loi du 15 août 2014, sur « la possibilité de sanctionner certains délits d’une contrainte pénale à titre de peine principale, en supprimant la peine d’emprisonnement encourue » (article 20). La contrainte pénale pourrait donc devenir la troisième peine de référence en matière correctionnelle, ce qui justifierait alors pleinement son second rang au sein des peines énumérées à l’article 131-3 du code pénal. D’ici là, la politique du « punir dehors » doit faire ses preuves pour qu’une telle évolution soit acceptée par l’opinion.
B. La délicate question de l’application dans le temps de la contrainte pénale
Diagnostic. Une nouvelle loi pénale de fond ne peut en principe s’appliquer à des faits commis antérieurement à son entrée en vigueur, à moins que les nouvelles dispositions soient moins sévères que les dispositions anciennes. Les principes de non-rétroactivité in pejus et de rétroactivité in mitius de la loi pénale de fond tirent respectivement leur fondement de l’article 8 de la DDHC (principe de légalité) et de l’article 112-1 al. 3 du code pénal. La question de la rétroactivité de la contrainte pénale se pose dès lors que l’on voit dans cette nouvelle peine, qui par essence devrait être considérée comme plus sévère, un adoucissement de la peine d’emprisonnement. En effet, s’il ne fait aucun doute que la contrainte pénale est plus sévère que le stage de citoyenneté, le travail d’intérêt général ou les peines privatives ou restrictives de droits, elle apparaît en revanche plus douce que la peine d’emprisonnement, le condamné à une contrainte pénale purgeant sa peine à l’extérieur et non en prison, à condition alors que l’emprisonnement évité soit « ferme », c’est-à-dire sans sursis. Le condamné à une contrainte pénale pouvant être astreint à davantage de mesures que le sursitaire, la nouvelle peine de l’article 131-4-1 du code pénal semble effectivement plus contraignante et donc plus sévère que le sursis avec mise à l’épreuve et le sursis assorti de l’obligation d’effectuer un travail d’intérêt général. Dès lors, la contrainte pénale serait plus sévère que les autres peines alternatives à l’emprisonnement et que l’emprisonnement avec sursis, mais plus douce que l’emprisonnement ferme.
Le législateur n’a prévu aucune disposition transitoire relative à l’application dans le temps de la contrainte pénale. Le seul élément de réponse émane d’un texte sans valeur normative. En effet, selon la circulaire du 26 septembre 2014 (11) (ci-après « circulaire »), la contrainte pénale devrait s’appliquer aux auteurs de délits commis avant le 1er octobre 2014 en ce qu’elle permet d’éviter le prononcé de la peine d’emprisonnement normalement encourue (p.2). La Cour de cassation a répondu à cette délicate question dans trois arrêts rendus le 14 avril 2015 (12). Dans la première affaire, le ministère public contestait devant la Haute juridiction la décision des juges du fond de ne pas appliquer rétroactivement la contrainte pénale à des faits commis avant son entrée en vigueur et punis le 11 décembre 2014 en appel d’une peine de huit mois d’emprisonnement assortie d’un sursis avec mise à l’épreuve. La chambre criminelle a estimé que les juges du fond ont eu tort de ne pas appliquer la nouvelle peine aux faits dont ils étaient saisis, car la contrainte pénale est « applicable à partir du 1er octobre 2014 aux jugements d’infractions commises avant cette date », mais n’a pas censuré leur arrêt au motif qu’une « peine d’emprisonnement sans sursis [n’a pas] été prononcée » (13). Dans les deux autres affaires, les pourvois étaient formés contre des décisions qui avaient condamné des individus à des peines d’emprisonnement avec sursis partiel, avant le 1er octobre 2014. Les condamnés à l’origine des pourvois espéraient en effet échapper à leur peine d’emprisonnement ferme avec l’arrivée de la contrainte pénale qu’ils estimaient plus douce. Si une peine d’emprisonnement sans sursis a effectivement été prononcée dans ces deux affaires, à la différence de la première, la Cour de cassation refuse d’annuler leur condamnation ou de la remplacer par une contrainte pénale au motif que « l’emprisonnement a été prononcé conformément aux exigences de l’article 132-24 al. 3 du code pénal, dans sa version alors en vigueur ». Il faut retenir de ces décisions que l’apparition de la contrainte pénale ne remet pas en cause les peines correctionnelles prononcées après le 1er octobre 2014 pour des faits commis antérieurement à cette date, à l’exception de la peine d’emprisonnement ferme (affaire 1), non plus toutes les peines correctionnelles, cette fois-ci sans exception, prononcées avant ladite date (affaires 2 et 3). En effet, la Haute juridiction considère que les peines d’emprisonnement sans sursis prononcées avant le 1er octobre 2014 étaient les seules adéquates aux faits condamnés, pour lesquels la contrainte pénale, réputée plus douce, n’aurait pas trouvé à s’appliquer. Dès lors, la contrainte pénale peut s’appliquer à des faits commis antérieurement à son entrée en vigueur, à condition qu’une décision de condamnation n’ait pas été prononcée contre leurs auteurs avant le 1er octobre 2014. Il s’en suit que l’antériorité des décisions à la date d’entrée en vigueur de la loi du 15 août 2014 fait obstacle à leur remise en cause ultérieure par la contrainte pénale.
Pronostic. La question de l’application dans le temps de la contrainte pénale est aujourd’hui résolue, même si la réponse apportée par la Cour de cassation peut surprendre au regard des éléments de comparaison retenus (14). Si la contrainte pénale venait à se substituer à la peine d’emprisonnement jusque-là encourue pour certains délits, la question de son application dans le temps serait cette fois-ci rapidement résolue : il y aurait sans aucun doute rétroactivité de la loi nouvelle, sauf à ce que le législateur en dispose autrement à travers des dispositions transitoires.
En l’état du droit, la contrainte pénale constitue une peine alternative à l’emprisonnement parmi d’autres. Cette identité « par défaut » contraste avec celle souhaitée par ses concepteurs : une peine de probation, détachée de la peine d’emprisonnement et substituée à toutes les autres peines et mesures non privatives de liberté existantes, capable d’égaler l’emprisonnement dans la pratique et, à terme, de s’y substituer. Ainsi, si l’emprisonnement est le porte-étendard de la politique du « punir entre les murs », la contrainte pénale constitue la figure de proue de la politique du « punir dehors » qui, malgré la suppression des peines plancher, a pris l’eau lors de l’élaboration de la loi du 15 août 2014. En effet, la contrainte pénale a été placée par la loi sous le joug de la peine d’emprisonnement, qui demeure au centre du système pénitentiaire. Dès lors, elle constitue seulement un assouplissement de la politique du « punir entre les murs » et non une remise en cause de celle-ci. Si le législateur promet une montée en puissance progressive de la contrainte pénale, cette dernière apparaît en l’état bien trop frêle pour se mesurer à l’emprisonnement. La contrainte pénale ne pourra se déployer entièrement qu’une fois libérée du carcan de l’emprisonnement ; elle doit donc s’émanciper pour exister et s’affirmer.
II. La contrainte pénale, une peine en quête d’émancipation
La contrainte pénale souffre non seulement d’un champ d’application trop restreint (A), mais également de l’insuffisance des moyens affectés à sa mise en oeuvre (B).
A. Le champ d’application restreint de la contrainte pénale
Diagnostic. La contrainte pénale n’est pas applicable à tous les délits et ne peut être prononcée qu’à l’encontre de certaines personnes. En effet, aux termes de l’article 131-4-1 du code pénal, seuls les délits punis d’une peine d’emprisonnement d’une durée inférieure ou égale à cinq ans sont susceptibles d’être sanctionnés par la contrainte pénale. En outre, la nouvelle peine s’adresse, selon les termes de la loi, aux prévenus dont la personnalité et la situation matérielle, familiale et sociale justifient un accompagnement socio-éducatif individualisé et soutenu. La prise en compte de la personnalité et de la situation matérielle, familiale et sociale du prévenu doit permettre le prononcé d’une peine individualisée. Il s’agit d’une exigence de portée générale mentionnée dans le code pénal, depuis la loi du 15 août 2014, aux deux derniers alinéas de l’article 132-1 : « toute peine prononcée […] doit être individualisée » (article 132-1 al.2 CP), ce qui implique pour la juridiction de prendre en considération la personnalité et la situation matérielle, familiale et sociale de l’auteur de l’infraction lors du choix de la peine (article 132-1 al.3 CP) (15).
Toutefois, le juge n’a pas à justifier la peine choisie, la détermination de celle-ci relevant d’une faculté dont il ne doit aucun compte, selon la formule employée par la Cour de cassation. Dès lors, il est impossible de déterminer les éléments retenus au titre de la personnalité et de la situation du prévenu justifiant le prononcé de telle ou telle peine et, en particulier, celui de la contrainte pénale. Cela suppose de faire confiance au juge qui prononcera la contrainte pénale contre des personnes ayant besoin d’un accompagnement soutenu. Il en résulte une potentielle atteinte au principe d’égalité et un risque d’arbitraire car le prononcé de la contrainte pénale contient une part importante de subjectivité (16). Ce risque est minimisé lorsque des lignes directrices ont été convenues par les magistrats pour envisager, dans le flou de la loi, les profils de personnes susceptibles de se voir appliquer une contrainte pénale. Tel est le cas des juges du tribunal de grande instance de Reims qui se sont accordés sur le fait que la nouvelle peine doit s’appliquer en priorité aux « personnes souffrant d’addictions importantes ou [aux] personnes dans des situations familiales très difficiles » (17). Cette analyse semble partagée au niveau national puisqu’il ressort des premiers chiffres que les personnes condamnées à la contrainte pénale sont celles « qui réitèrent fréquemment des infractions de gravité faible à moyenne et qui combinent plusieurs difficultés telles que l’addiction à l’alcool ou aux stupéfiants, la nécessité de soins psychiques, l’absence d’hébergement stable ou de soutien familial » (18).
Pronostic. A compter du 1er janvier 2017, la contrainte pénale sera applicable à tous les délits, peu importe la durée de la peine d’emprisonnement encourue. Elle pourrait aussi venir sanctionner certains délits à titre principal si le gouvernement y consentait (cf. supra). Une telle évolution impliquerait de revoir la condition mise au prononcé de la contrainte pénale tenant à la personne du prévenu. En effet, la contrainte pénale ne peut constituer la peine principale de certains délits, que si elle est susceptible d’être prononcée contre tous les auteurs de ces délits, et non uniquement contre ceux dont la personnalité et la situation justifient un accompagnement individualisé et soutenu, comme c’est le cas actuellement.
En ouvrant la contrainte pénale à tous les prévenus, le législateur serait confronté à la question de son articulation avec le sursis dont elle emprunte les mesures. En effet, appliquée à tous les délits et à tous les prévenus, le champ d’application de la contrainte pénale engloberait celui du sursis avec mise à l’épreuve qui, en l’état du droit, est applicable « aux condamnations à l’emprisonnement prononcées pour une durée de cinq ans au plus, en raison d’un crime ou d’un délit de droit commun, ainsi qu’aux condamnations à l’emprisonnement prononcées pour une durée de dix ans au plus en cas de récidive légale » (article 132-41 CP), et concerne les prévenus nécessitant « un suivi plus formel [que celui de la contrainte pénale] ou davantage axé sur le contrôle du respect des obligations et interdictions » (circulaire, p.5). La question se posera donc en présence de délits pour lesquels la contrainte pénale constitue une peine alternative à l’emprisonnement, le sursis étant – pour rappel – un mode d’exécution de celui-ci. Le sursis n’aurait guère plus d’intérêt que dans les cas où le juge envisageait de prononcer une peine d’emprisonnement d’une durée supérieure à deux ans, l’emprisonnement prononcé en cas de non respect des obligations et interdictions de la contrainte pénale ne pouvant excéder cette durée (article 131-4-1 CP al.10).
Le suivi renforcé des prévenus dans le cadre de la contrainte pénale requiert d’importants moyens, a fortiori si elle est appelée à s’appliquer le plus largement possible. Or, la nouvelle peine souffre aujourd’hui de l’insuffisance des moyens affectés à sa mise en oeuvre, la mise en place de la réforme s’étant faite « à moyen constant ».
B. L’insuffisance des moyens affectés à la mise en œuvre de la contrainte pénale
Diagnostic. Les modalités d’application de la contrainte pénale sont régies par les articles 713-42 à 713-48 du code de procédure pénale (CPP). Il ressort de ces textes que la mise en oeuvre de la contrainte pénale requiert l’intervention de plusieurs acteurs pour juger, évaluer et suivre la personne condamnée. En effet, dans les 8 jours (circulaire, p.6) suivant le prononcé de la peine par la juridiction de jugement, la personne comparaît devant le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) « en vue de déterminer les modalités d’exécution de la peine » (circulaire, p.6). Le SPIP évalue la personnalité et la situation de la personne condamnée à la contrainte pénale (article 713-42 CPP) et remet un rapport au juge de l’application des peines (JAP), dans un délai maximum de trois mois, afin de laisser au moins un mois au JAP pour rendre sa décision (circulaire, p.7) qui, selon l’article 743-43 in fine du code de procédure pénale, doit intervenir au plus tard dans les quatre mois qui suivent le jugement de condamnation. Le rapport du SPIP doit contenir des propositions de mesures, obligations et interdictions adaptées au profil de la personne condamnée et susceptibles d’être prononcées dans le cadre de la contrainte pénale (art 713-42 CPP in fine). Lorsque le contenu de la peine n’a pas été défini par la juridiction de jugement – car elle ne disposait pas d’éléments d’information suffisants sur la personnalité et la situation du condamné –, le JAP détermine, au vu de ce rapport, les mesures, obligations et interdictions auxquelles est astreint le condamné (article 713-43 al.1 CPP, première phrase). Lorsque celles-ci ont été définies dès le prononcé de la peine par la juridiction de jugement, le JAP a le pouvoir de modifier, supprimer ou compléter les obligations et interdictions décidées par la juridiction, au vu des propositions figurant dans le rapport du SPIP (article 713-43 al.1 CPP, deuxième phrase). Il peut également exercer ce pouvoir après chaque nouvelle évaluation de la situation du condamné, qui a lieu au moins une fois par an (article 713-44 CPP).
Doté d’un tel pouvoir, le JAP n’est plus un simple exécutant des décisions de justice : « il devient un visage central d’un nouveau paradigme de justice pénale dans lequel la peine est un régime continu de contrôle et d’évaluation de la personne condamnée » (19). Il en résulte une césure du procès pénal en deux phrases : une phase de jugement, d’une part, pendant laquelle l’infraction et la culpabilité du prévenu sont établies, et une phase de détermination, d’autre part, qui dure pendant toute la durée de la sanction et qui se traduit par la détermination et l’adaptation continue de la peine à la situation du condamné. Or, une telle césure menace l’autorité même de la justice pénale en permettant au JAF de revenir sur la décision rendue par la juridiction de jugement, et surtout interroge sur les conditions du prononcé de la contrainte pénale dès lors que l’on considère que le juge qui a décidé de l’appliquer a nécessairement en sa possession tous les éléments d’information nécessaires sur la personnalité et la situation du prévenu pour en définir lui-même le contenu (20). Admettre le contraire conduirait à reconnaître que la contrainte pénale puisse être prononcée contre des personnes qui, avec du recul, n’avaient pas besoin d’un tel encadrement. La contrainte pénale ne devrait donc pouvoir être prononcée qu’après que le juge ait recueilli, avec ou sans l’aide du SPIP, suffisamment d’éléments d’information sur la personnalité et la situation du prévenu qui rendent nécessaire une telle peine, quitte à ajourner le prononcé de celle-ci comme l’y autorise l’article 312-70-1 du code de procédure pénale. L’intervention du JAP dans la détermination de la peine ne se justifierait qu’en cas de changement de situation du condamné après son prononcé.
Les différents acteurs impliqués dans la mise en oeuvre de la contrainte pénale sont aujourd’hui en nombre insuffisant. La réforme s’est faite « à moyen constant » et a placé les services du SPIP dans une situation intenable, obligeant des tribunaux à limiter le nombre de contraintes pénales prononcées chaque mois afin d’éviter que les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP) ne se désinvestissent des autres mesures pour absorber la surcharge de travail engendrée par la nouvelle peine (21). Les syndicats s’étaient déjà inquiétés, avant l’entrée en vigueur de la nouvelle peine, d’une « course à l’intensivité » (22). Pour que la contrainte pénale soit un succès, il faut que les moyens affectés à sa mise en oeuvre soient renforcés.
Pronostic. Le renforcement des moyens affectés à la mise en oeuvre de la contrainte pénale est en cours (23). En visite au tribunal de grande instance de Créteil le 2 octobre dernier, la garde des Sceaux a rappelé que sur les 1000 postes de CPIP à créer, 700 l’ont déjà été, dont 510 sont effectifs. Un recrutement massif de magistrats est également prévu, avec 361 postes à pourvoir en 2016. Toutefois, cela pourrait ne pas suffire : le syndicat des personnels de l’administration pénitentiaire estimait en 2014 que le recrutement de 600 conseillers « ne bouleversera[it] certainement pas les équilibres pour des agents amenés à suivre de 100 à 250 personnes ».
Pierre-Arnaud GRAVER
Diplômé du Master 2 Droit privé fondamental de l’Université Paris-Sud
1. Loi n°2014-896 du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales ; comm. J.-H. Robert, « Réforme pénale – Punir Dehors », Dr. pén. 2014, étude 16.
2. J. Leblois-Happe, « La création d’une nouvelle peine de contrainte pénale : de la conférence de consensus au droit positif », Gaz. Pal. 2015, n°143, p.20 ; J. Pradel, « Un législateur bien imprudent », JCP G 2014, étude 952, §2.
3. P.-V. Tournier, « La contrainte pénale communautaire », AJ Pénal 2013, p.127 et s.
4. R. Saleilles, L’individualisation de la peine, Érès, rééd., 2001, p.67.
5. S. Detraz, « Le régime de la contrainte pénale issu de la loi du 15 août 2014 », Gaz. Pal. 2014, n°294, p.21.
6. Ibidem.
7. J. Mucchielli, « Un an après son application, un millier de contraintes pénales prononcées en France », D. actualité, 5 oct. 2015.
8. E. Dreyer, « Les conditions mises au prononcé d’une contrainte pénale par la loi du 15 août 2014 », Gaz. Pal. 2014, n°294, p.17, §2.
9. Cons. const., 7 août 2014, n°2014-696 DC.
10. G. Pitti, « La contrainte pénale, cette peine inachevée », Gaz. Pal. 2015, n°164, p.19.
11. Circulaire du 26 septembre 2014 de présentation des dispositions de la loi n°2014-896 du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines renforçant l’efficacité des sanctions pénales instituant la contrainte pénale.
12. Cass. Crim., 14 avril 2015, n°14-84260, n°14-84473 et n°15-80858 ; Gaz. Pal. 2014, n°164, p.19, note G. Pitti ; Dr. pén. 2015, étude 13, note E. Bonis-Garçon ; D. 2015, p.1307, note S. Detraz.
13. Cass. Crim., 14 avril 2015, n°15-80858.
14. E. Bonis-Garçon, art. cit., §4 et s.
15. V. E. Dreyer, Droit pénal général, LexisNexis, 3e éd., 2014, p.1063, n°1537 et s.
16. E. Dreyer, art. cit., §5.
17. B. Royer, « Prémices de la mise en œuvre de la loi du 15 août au sein de l’application des peines du TGI de Reims », AJ Pénal 2014, p.521.
18. Communiqué du ministère de la Justice, 2 octobre 2015.
19. R. Badinter et P. Beauvais, « A propos de la nouvelle réforme pénale », D. 2014, p.1869.
20. En ce sens : E. Dreyer, art. cit., §7.
21. B. Royer, art. cit.
22. J. Mucchielli, « Contrainte pénale : les syndicats craignent une « course à l’intensivité » », D. actualité, 23 sept. 2014.
23. J. Mucchielli, « Un an après son application, un millier de contraintes pénales prononcées en France », art. cit.