Le 10 février 2017, le Conseil constitutionnel a censuré le délit de consultation des sites terroristes, lequel a été intégré au Code pénal par la loi du 3 juin 2016 concernant la répression du terrorisme. L’accès de manière libre au site est limité par cette loi puisqu’il s’agit d’incriminer toutes consultations habituelles des sites faisant l’apologie ou encore, la propagande des actes terroristes.
Cette décision est aujourd’hui essentielle au regard des libertés garanties par la Constitution.
En effet, le fait d’incriminer la consultation des sites terroristes est utilisé dans la lutte contre la propagande terroriste. Toutefois, une telle incrimination doit s’accompagner de certaines garanties.
Les juges ont, à travers cette question prioritaire de constitutionnalité (QPC), mis en avant la liberté de communication au sein de notre société (I), permettant ainsi un contrôle a posteriori adéquat (II).
I. La protection de la liberté de communication, une formule constante en droit constitutionnel
La liberté de communication est au premier plan dans cette décision. En effet, les juges constitutionnels évoquent une atteinte à la liberté de communiquer en usant de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme de 1789.
La libre communication se distingue de la liberté d’expression en ce qu’elle comprend la diffusion des pensées et la réception de celles-ci. En l’espèce, il s’agit des propos qui ressortent des sites terroristes et de l’idéologie qui l’accompagne. À travers ce délit, la communication est compromise puisque les individus ne peuvent diffuser les pensées issues de ces sites au risque de se voir sanctionnés par les juges. Ainsi, prévenir un membre de sa famille ou un collègue du contenu de ces sites est mis en péril.
Toutefois, à travers la jurisprudence constante, la liberté de communication est analysée en lien avec la liberté d’expression.
En usant des termes « la liberté d’expression et de communication est d’autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés. Les atteintes portées à l’exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi », le Conseil constitutionnel réitère un principe déjà établi dans sa jurisprudence[1].
Ainsi, ces deux libertés n’ont pas pour objectif d’être confondues dans leur contenu mais il s’agit d’une expression des juges dès lors que l’une des deux libertés sera envisagée.
À travers cette décision, le Conseil compte accorder une protection spécifique à la liberté de communication tout comme cela a été le cas pour la liberté d’expression.
Pour le professeur Xavier Magnon, cette construction se justifie aisément au regard de l’importance symbolique de ces deux libertés, aussi bien au niveau constitutionnel qu’international avec les arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme (Handyside c. Royaume-Uni, 7 décembre 1976). De plus, les libertés de communication et d’expression sont liées et il arrive fréquemment que censurer la communication de certains contenus empêche l’expression de ceux-ci.
Ainsi, les juges constitutionnels examinent ce délit de consultation au regard de deux libertés essentielles au sein d’une démocratie libérale.
II. Le contrôle a posteriori du délit de consultation sous l’angle de la nécessité, l’adaptation et la proportionnalité
Les libertés d’expression et de communication se concrétisent par les contrôles effectués par les juges constitutionnels. Ces libertés sont aussi bien protégées par un contrôle a priori qu’a posteriori.
Dans cette décision, le Conseil constitutionnel a utilisé les méthodes d’un contrôle a posteriori. En matière de liberté d’expression, l’enjeu d’un contrôle a posteriori du juge est d’examiner si une conciliation entre les objectifs de la loi et l’atteinte à la liberté existe.
Le Conseil constitutionnel a approfondi cette exigence au fur et à mesure des décisions, jusqu’à distinguer deux contrôles.
En effet, dans une décision du 20 mai 2011, Mme Térésa C. et autre, le Conseil a censuré les dispositions de la loi du 19 juillet 1881 concernant l’exception de vérité des faits diffamatoires au regard de trois éléments : la nécessité et les caractères adéquat et proportionné.
En ce qui concerne le contrôle de nécessité, les juges font un état des lieux des dispositions juridiques déjà en vigueur et admettent que ce délit n’a rien de nécessaire. En effet, ils retiennent que la motivation du législateur ici est de prévenir la commission d’actes terroristes. Cet objectif est déjà prévu par plusieurs dispositions du Code pénal, notamment l’article 421-2-5 qui « réprime le fait de provoquer directement à des actes terroristes ou de faire publiquement l’apologie », ou encore l’article L.811-3 du Code de sécurité intérieure qui permet à l’autorité administrative de recueillir « des renseignements relatifs à la prévention du terrorisme ».
Le fait qu’il existe déjà des dispositions relatives à la prévention du terrorisme ne rend pas nécessaire ce délit puisque « les autorités administratives et judiciaires disposent, indépendamment de l’acte contesté de nombreuses prérogatives ». Ainsi, pour le Conseil constitutionnel, un énième délit réprimant la consultation habituelle des sites est quelque peu excessive et affecte la compréhension des citoyens. L’ajout d’un nouveau texte démontre une inflation législative contraire au principe de clarté de la loi, et à l’objectif d’intelligibilité de la loi. Le contrôle de nécessité reste restreint contrairement au contrôle strict de proportionnalité.
Concernant cette seconde exigence, à travers cette décision les juges analysent ensemble les caractères adéquats et de proportionnalité. Afin d’apprécier si la mesure est appropriée, ils vérifient si elle facilite la réalisation du but recherché, ou bien, si, par les charges qu’elle crée, elle n’est pas hors de proportion avec le résultat recherché.
Le Conseil constitutionnel déplore l’existence d’une exigence d’intention spécifique. En effet, les juges constatent que le délit en question ne requiert pas que l’auteur adhère, ou n’ait déjà adhéré, à l’idéologie terroriste. Pour le Conseil, cela engendre un délit qui appréhende de façon large les situations et constitue une atteinte que les juges viennent censurer par un contrôle strict. De plus, bien que le législateur admette une dépénalisation dès lors que la consultation est faite de « bonne foi », les travaux parlementaires n’apportent aucune précision supplémentaire. Ainsi, bien que le but recherché, à travers ce délit, est la lutte contre le terrorisme, elle reste disproportionnée.
Un tel contrôle est devenu habituel en matière de liberté de communication dans la jurisprudence du Conseil. En effet, à travers cette décision, on voit apparaître les trois éléments de la proportionnalité : la nécessité, le caractère adapté et le caractère proportionné stricto sensu.
Le délit de consultation habituelle a certes été censuré par le Conseil mais il existe toujours puisque le législateur s’est inspiré de la décision du 10 février 2017. En effet, le 13 février 2017, le Parlement a précisé l’article 421-2-5-2 du Code pénal selon lequel l’individu sera réprimé « lorsque cette consultation s’accompagne d’une manifestation de l’adhésion à l’idéologie exprimée sur ce service ». Il en va de même de la bonne foi et des motifs légitimes, en ajoutant que l’individu sera irresponsable pénalement lorsque la consultation « s’accompagne d’un signalement des contenus de ce service aux autorités publiques compétentes ». Le législateur a rendu ce délit plus équilibré face aux libertés fondamentales.
[1] Conseil constit., 28 mai 2010, Union des familles en Europe, n°2010-3, QPCEléonore ARRIAL
Master I de droit international et européen
En savoir + :
Décision : conseil-constitutionnel.fr – les décisions – décision n°2016-611 QPC
Contrôle de proportionnalité : conseil-constitutionnel.fr – nouveau cahier du conseil – cahier n°22
Délit : legifrance.fr – Code pénal – article 421-2-5-2
Signalement des sites terroristes : internet-signalement.gouv.fr