La constatation d’huissier lors d’un piquet de grève entraîne–t-elle une faute des salariés revendicatifs ?

Le droit de grève est inscrit dans le préambule de la constitution de la Vème République[1]. Le législateur ne donne pas de définition de la grève, c’est donc la jurisprudence qui l’a décrite comme : « La cessation collective et concertée du travail en vue d’appuyer des revendications professionnelles déjà déterminées auxquelles l’employeur refuse de donner satisfaction[2] ». Toutefois, même si la grève est un droit accordé aux salariés, l’employeur peut faire appel à la justice en cas d’abus de leur part.

La constatation d’huissier n’entraîne pas le caractère illicite du piquet de grève

Si les salariés disposent du droit de grève, ils ne peuvent pas en abuser. Un abus du droit de grève se caractérise par une désorganisation de l’entreprise, entravant sa bonne marche[3].

Par conséquent, au cours de la grève, les droits des salariés non-grévistes doivent être respectés, c’est pourquoi les piquets de grève empêchant l’entrer dans l’entreprise, tout comme les occupations de locaux, sont en principe considérés comme interdits.

Toutefois, un piquet de grève, s’il n’empêche pas totalement les salariés non-grévistes d’accéder à l’entreprise pour travailler, n’est pas considéré comme illicite[4]. De plus, c’est à l’employeur d’apporter la preuve que ledit piquet de grève bloque les accès au site, rendant ainsi impossible l’accès au lieu de travail. Le blocage de l’entrée principale par les grévistes ne suffit pas pour caractériser le piquet de grève comme illicite, la jurisprudence est d’ailleurs constante sur ce point.

L’employeur peut faire appel à un huissier de justice, ce dernier étant impartial, le constat qu’il devra établir sera objectif, cela permet de protéger à la fois l’employeur et les salariés en cas de litige. Dans le cas où l’huissier de justice ne constate aucun abus de la part des salariés grévistes, l’employeur ne pourra pas se prémunir de cette constatation pour les sanctionner. Il est important de noter que le seul motif de sanction disciplinaire ou de rupture de contrat possible pour un salarié gréviste est la faute lourde[5].

Par conséquent, la constatation par un huissier de justice d’un piquet de grève ne permet pas automatiquement à l’employeur de sanctionner les salariés participants s’ils ne cessent pas leur mouvement. En effet, leurs actions doivent être constitutives d’une faute lourde. L’élément déterminant est l’atteinte à la liberté du travail. Si le piquet de grève ne porte pas atteinte à cette liberté pour les salariés non-grévistes, alors les salariés grévistes pourront continuer leur action dans la licéité, même en cas de constatation du piquet de grève par un huissier de justice.

La constatation d’huissier d’un piquet de grève illicite constitue seule une preuve pour le juge 

Comme nous l’avons évoqué précédemment, les critères de l’abus du droit de grève sont : la désorganisation de l’entreprise[6] et l’atteinte à la liberté du travail[7] constituant une faute lourde pour les salariés grévistes.

L’employeur peut faire appel à un huissier afin de constater un comportement fautif du salarié, par exemple, lors d’un piquet de grève. En effet, rappelons l’ordonnance n°45-2592 du 2 novembre 1945 relative au statut de l’huissier : « Ils peuvent, commis par justice ou à la requête de particuliers, effectuer des constatations purement matérielles, exclusives de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter ». Ainsi, si cela n’est pas respecté, la constatation devient un moyen de preuve illicite. L’huissier ne pourra pas intervenir dans les relations de travail entre les salariés et l’employeur par un autre moyen que pour les nécessités de ses constatations.

Il est préférable de noter que si l’huissier intervient dans les relations de travail entre l’employeur et ses salariés, en défaveur des salariés, il émettra alors un avis ce qui excèdera donc ces pouvoirs. Il en est exemple dans un arrêt de la Cour de cassation du 2 mars 2004 n° 01-44644 et n° 01-44645 dans lequel l’huissier demande aux salariés de décliner leur identité et d’enlever des véhicules qui font obstruction aux livraisons de l’entreprise. L’illicéité du constat d’huissier constitue un moyen de preuve illicite : tout licenciement reposant sur ce constat sera dépourvu de cause réelle et sérieuse même s’il existe une gravité et une réalité du comportement du salarié. Le constat sera alors écarté des débats par le juge.

Lors de la constatation, l’huissier a l’obligation de décliner son identité et sa qualité mais il n’a pas d’obligation d’information préalable envers les salariés. De plus, l’huissier doit constater personnellement le comportement fautif du salarié et doit procéder personnellement à la vérification de l’identité des salariés qui font l’objet des constatations. Comment peut-il faire si les salariés du piquet de grève refusent de décliner leurs identités ? La Cour de cassation admet que l’huissier s’assure indirectement des identités si les procédés utilisés sont fiables, ces derniers sont spécifiques et décrits dans les jurisprudences[8].

Le constat d’huissier n’est pas une preuve irréfutable mais il est très difficile de le remettre en cause lorsqu’il est licite. Il s’agit donc une véritable preuve pour le juge. En effet, d’une part, le juge prend en compte les constatations. Ainsi, constitue un trouble manifestement illicite le licenciement d’un salarié gréviste, pour entrave à la liberté du travail, alors que les constats d’huissier produits par l’employeur ne faisaient état d’aucun fait précis imputable au salarié concernant des faits d’entrave à la liberté du travail[9]. D’autre part, le constat permet d’obtenir une ordonnance d’expulsion. Or constitue une faute lourde, les salariés qui refusent de l’exécuter même si le constat d’huissier est remis en cause. Il s’agit d’une jurisprudence constante[10], bien que le juge ait tendance à se montrer clément à l’égard des débordements des grévistes, il ne transige pas lorsqu’il s’agit de respecter une décision de justice.

C’est le cas dans un arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation du 3 mai 2016 n° 14-28353 pour lequel l’employeur a pu invoquer la faute lourde puisque les salariés d’un piquet de grève ont refusé de respecter l’ordonnance d’expulsion des grévistes. Pourtant, s’ils avaient quitté les lieux, il n’est pas certain que la faute lourde aurait pu être invoqué en plaidant l’inconscience et en soutenant qu’il n’y avait pas intention de nuire malgré l’occupation des locaux et le piquet de grève interdisant les non-grévistes de travailler.

Pauline Serre et Charlène Virgone

        

Pour aller plus loin/source :

http://www.huissiersdeparis.com/le-droit-de-greve-et-limportance-du-constat-dhuissier-de-justice/

http://www.juritravail.com/Actualite/motifs-personnels-de-licenciement/Id/16461

https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=LEGITEXT000006069177

Chambre des huissiers de justice de Paris => Les derniers dossiers mis en ligne => Le droit de grève et l’importance du constat d’huissier de justice

Jurisprudence sociale Lamy n°412, 20 juin 2016, Maintenir un piquet de grève en dépit d’une ordonnance d’expulsion est une faute lourde 

Droit du travail au quotidien, Wolters Kluwer, fiche 245-35, Dans quels cas l’employeur peut-il obtenir l’expulsion des grévistes ?                                                                                                                                                           

[1] Référence à l’alinéa 7 du préambule de la Constitution de 1946

[2] Cassation sociale, 17 janvier 1968, publié au bulletin, publication N 35

[3] Cassation sociale, 4 novembre 1992 n°90-41899

[4] Cassation sociale, 7 juin 1995 n°93-42789

[5] Cassation sociale, 16 décembre 1992 n°91-41215

[6] Cassation sociale, 4 novembre 1992 n° 90-41899

[7] Cassation sociale, 10 février 2009, n°07-43939

[8] Cassation sociale, 26 juillet 1984 n° 82-14355 /Cour d’appel de Paris, 1ère chambre, 23 mai 1995 D.96, som.com 75, obs. Hassler/ Cassation sociale, 14 mai 2008 n° 06-46095

[9] Cassation sociale, 13 juillet 1999 n° 97-43028

[10] Cassation sociale 28 octobre 1997 n° 95-43820/Cassation sociale 31 mars 1998 n° 95-45061

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