– Quel a été votre parcours ?
J’ai commencé par faire mes études à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris (Sciences Po). Je me suis de suite intéressée aux métiers de la fonction publique et j’ai rapidement su que j’allais souhaiter m’orienter vers l’administration et les institutions publiques. Après le diplôme de la section service public, j’ai préparé deux concours administratifs : l’ENA et le concours d’administrateur des services de l’Assemblée nationale. J’ai été admise au concours d’administrateur des services de l’Assemblée, concours très sélectif, relativement peu connu des étudiants, et organisé une fois tous les deux ans. C’est ainsi que j’ai eu la chance de débuter ma carrière en 1995 à l’Assemblée.
Pour vous donner un aperçu, le travail des administrateurs de l’Assemblée demande une grande disponibilité, une forte capacité d’expertise juridique et beaucoup d’adaptabilité. Il implique l’accompagnement de tous les aspects procéduraux, de fond comme de forme, du travail parlementaire. Il faut être en mesure d’aider le travail parlementaire, concrètement surtout, en commission, au moment de la conception des projets d’amendement et de la rédaction des rapports.
Comme vous devez le savoir, l’Assemblée nationale est composée de diverses commissions législatives. J’ai eu l’opportunité de connaître de l’intérieur le fonctionnement de deux commissions aux champs de compétences tout à fait passionnants. Tout d’abord, j’ai travaillé à la commission des affaires sociales pendant 5 ans. J’avais en charge l’analyse des projets de loi liés au droit du travail notamment ; ce poste fut très enrichissant. Puis, j’ai travaillé au sein de la commission des finances qui est, comme vous le savez, une commission prestigieuse. J’ai été affectée dans l’équipe du rapporteur général pendant trois ans et je m’occupais d’analyser les effets et conséquences de diverses réformes fiscales figurant dans les projets de loi de finances initiales ou rectificatives.
J’ai aussi participé dans ce cadre au travail sur la réforme et la modernisation de l’Etat et sur la mise en place concrète de la LOLF, de 2003 à 2006. Il s’agissait notamment de mettre en place la nouvelle maquette du budget général de l’Etat afin qu’elle soit la plus pertinente possible. La réflexion sur le contenu et les contours des indicateurs de performance date de cette époque ; et elle n’est toujours pas terminée…
Puis, en 2006, j’ai demandé à mon administration à effectuer une sorte de « mobilité » pour venir à la Cour des comptes. Une mobilité est une passerelle pour travailler temporairement dans un autre service, une autre administration. Au départ, j’étais donc rapporteur extérieur à la Cour des comptes. Les rapporteurs extérieurs sont des fonctionnaires qui viennent d’une autre administration et sont envoyés à la Cour pour une certaine durée (souvent trois ans). Ils contribuent aux travaux des chambres et font partie de ce que l’on appelle le « personnel de contrôle » de la Cour.
Cette expérience s’est finalement prolongée ; à la Cour j’ai beaucoup apprécié les méthodes de travail, le contenu des missions, qui d’ailleurs ont tendance à se développer, et les modalités d’organisation et de fonctionnement de la juridiction. En résumé, j’avais beaucoup appris à l’Assemblée et j’avais en même temps le souhait de continuer ma carrière au sein de la Cour, ce que m’a permis l’intégration, en 2009, dans le corps des magistrats.
– Quel est votre domaine de contrôle aujourd’hui à la Cour ?
Je suis actuellement affectée à la quatrième chambre de la Cour qui a dans son champ de compétences les ministères dits régaliens : Intérieur, Affaires étrangères, Justice ainsi que d’autres structures comme par exemple les services du Premier Ministre. Il se trouve que ces dernières années les contrôles que j’ai effectués ont concerné des services, directions du ministère de l’Intérieur ou opérateurs dépendant de ce ministère. J’ai pu mener, en équipe et en binôme, des contrôles très intéressants sur des aspects touchant à des politiques publiques, par exemple relativement à la politique d’immigration et d’intégration, ou sur d’autres thématiques a priori plus techniques mais aux enjeux budgétaires importants, comme la gestion des grandes applications informatiques.
– Quelles sont vos missions en tant que conseillère référendaire ?
Je peux vous rappeler en deux mots comment se passe un contrôle de gestion « classique » de la Cour. Le président de chambre notifie tout d’abord par lettre le contrôle à l’organisme concerné. Le responsable, reçoit donc un courrier l’informant que tel ou tel magistrat est désigné pour être le rapporteur du contrôle programmé et que tel autre sera le contre-rapporteur. Le contre-rapporteur a pour rôle de vérifier que les procédures ont été respectées et que le travail d’instruction et de collecte d’informations sur pièces et sur place s’est déroulé dans de bonnes conditions. Suite à l’envoi de cette lettre de notification, les rapporteurs doivent prendre contact avec le responsable de l’organisme et un rendez-vous dit de début de contrôle est alors fixé. Lors de ce rendez-vous, les rapporteurs expliquent le rôle de la Cour, le contenu et les contours du contrôle, son contexte et la période, ce que nous appelons la « période sous revue ». La Cour, comme vous le savez, contrôle la gestion des gestions passées par définition (les exercices sont clos), mais cela ne l’interdit nullement de faire des recommandations pour l’avenir.
Ensuite l’instruction se base sur la collecte de données à partir de premiers questionnaires écrits. Nous effectuons parallèlement un contrôle sur pièces et sur place. Des entretiens sont organisés avec les différentes strates de la structure concernée. Il faut regarder les faits, les chiffres, étudier les changements d’organigramme, la composition des effectifs d’une structure, les procédures internes de contrôle de gestion… Il s’agit de réaliser le contrôle et l’audit des comptes et de la gestion, mais tournés exclusivement vers les organismes publics.
A la fin de cette instruction, un rapport dit d’instruction sera rédigé ; un délibéré au sein de la chambre va avoir lieu à la suite duquel un rapport provisoire sera envoyé. Ce délibéré constitue un moment clé, la collégialité représentant un principe fort des méthodes de travail de la Cour. Un bon délibéré permet de structurer des messages clairs et cohérents qui vont vraiment aider l’organisme contrôlé.
Ce rapport provisoire est donc envoyé à l’administration contrôlée. Celle-ci disposera d’un délai d’un ou deux mois pour répondre à ce rapport. Cette période est appelée contradictoire car l’administration peut répondre par écrit. Les rapporteurs prendront en compte d’éventuels nouveaux éléments portés à leur connaissance qui pourraient modifier la teneur de certaines de leurs observations initiales.
Un rapport définitif est enfin élaboré après un délibéré et adressé à l’administration concernée.
– Quelles sont les qualités que devrait avoir une personne à votre poste ?
La rigueur bien-sûr, tout ce qu’on avance doit être étayé et documenté. Tout doit être prouvé par des pièces tangibles et ce que l’on écrit doit toujours avoir un vrai fondement (chiffré, factuel, reposant sur des données comptables ou budgétaire).
En entretien, pendant l’instruction, il faut développer une vraie capacité d’écoute. D’une manière générale il est essentiel de ne pas partir avec des idées préconçues sur l’organisme que l’on va contrôler. Il faut seulement constater les choses qu’on est amené à voir et analyser pièces à l’appui et savoir écouter ce qu’ont à nous dire nos interlocuteurs. De cette manière, le travail d’instruction sera serein et complet, sans a priori mais sans naïveté non plus.
Il faut admettre qu’il s’agit globalement d’un travail très spécifique. Nous passons tous du temps dans nos cabinets respectifs à analyser des piles de documents et dossiers. Ce n’est pas un travail en interaction tout le temps. Il y a certes des entretiens à organiser mais la plupart du temps, le travail est solitaire. Heureusement, les équipes de contrôle sont formées de deux ou trois personnes en général, ce qui permet d’échanger régulièrement sur les constats et diagnostics.
– Quelles sont les voies d’accès pour les étudiants qui veulent intégrer la Cour des comptes ?
Il y a plusieurs façons d’intégrer la Cour des comptes.
Tout d’abord, pour les étudiants, l’IEP reste un grand pourvoyeur de reçus aux principaux concours administratifs. C’est une sorte de « filière ». Chaque année, des étudiants de faculté de droit notamment après leurs Master se dirigent vers Sciences Po car ils s’orientent vers les concours administratifs.
Pour être auditeurs, comme vous le savez, il faut passer le concours de l’ENA et choisir comme sortie la Cour des comptes. Au bout de 3 ans environ d’auditorat, les auditeurs deviennent conseillers référendaires.
Il existe une possibilité pour être directement nommé conseiller référendaire. C’est la voie du tour extérieur pour les hauts fonctionnaires remplissant un certain nombre de conditions d’âge et d’ancienneté dans la fonction publique.
Le champ de possibilités est large. Lorsqu’on est étudiant et que l’on a la vocation du service public, il faut passer les concours et ne pas se fermer les portes. Ne pas avoir d’idées toutes faites pour éviter de se fermer des opportunités. Avoir l’esprit ouvert, être bon dans son domaine, c’est cela qui compte.
A la fin de douze années dans le grade de conseiller référendaire, le magistrat devient conseiller maître. Mais, des passerelles existent aussi pour l’accession à la maîtrise, au tour extérieur. Des personnes peuvent ainsi être directement nommées conseillers maîtres après une carrière importante dans l’administration centrale, la diplomatie, la préfectorale à titre d’exemple.
Propos recueillis par Inès Rodriguez