Alors que le Conseil constitutionnel a mis les petits plats dans les grands afin de fêter le cinquième anniversaire de la Question prioritaire de constitutionnalité et que la Cour de cassation est en pleine ébullition pour faire face aux défis de demain, la plus haute juridiction de l’ordre administratif restera-t-elle une belle endormie ? Fort heureusement, l’actualité plaide pour une réponse négative. En annonçant en janvier dernier que les avis rendus par le Conseil d’État sur les projets de loi seraient désormais publics, le Président de la République n’a pas seulement rompu avec une tradition séculaire, il a enclenché une refondation de la fonction consultative du Conseil d’État.
Une publicité désormais systématique des avis du Conseil d’État
L’objectif de cette publicité des avis ne peut être plus clair : mieux légiférer. Le défi est de taille, tant la mauvaise qualité de loi est dénoncée par tous. Carcassonne avait d’ailleurs, il y a dix ans maintenant, stigmatisé la « boulimie législative » qui frappe la France. On légifère frénétiquement et, qui plus est, sur n’importe quel sujet. Ce désordre législatif se traduit par des normes toujours plus nombreuses, instables et incompréhensibles.
Mais faut-il forcément tenir le Parlement pour responsable ? La mainmise du Gouvernement sur le processus législatif laisse davantage entendre que, dans les cuisines législatives, c’est l’exécutif qui porte la toque alors que parlementaires et citoyens attendent ensemble, passivement, d’être servis.
Cette disposition du restaurant législatif – ou plutôt de la cantine législative tant le menu proposé est peu attrayant et servi avec autoritarisme – laisse paradoxalement entendre que les initiatives tendant à améliorer la qualité de la loi doivent être tournées vers le Gouvernement. À cet égard, la publication des avis rendus par le Conseil d’État sur les projets de loi pourrait mettre en partie fin au cauchemar en cuisine. Plus particulièrement, cette mesure permettrait d’abattre la cloison érigée entre la cuisine et la salle afin que la première ouvre enfin ses portes et se mue en une sorte d’Atelier.
Cette ouverture permettra d’abord d’améliorer la qualité du travail d’un Parlement trop souvent relégué à un rôle de chambre d’enregistrement, notamment par l’usage immodéré de la procédure accélérée. En prenant pleine connaissance de l’avis du Conseil d’État qui porte sur la qualité rédactionnelle des textes, leur régularité juridique et leur opportunité administrative, les parlementaires pourront effectivement opposer au Gouvernement les faiblesses de son texte et travailler intelligemment à son amélioration. Une meilleure vue sur la cuisine permettra ainsi aux parlementaires de composer leur menu de manière plus réfléchie.
L’ouverture de la cuisine contribuera ensuite à la responsabilisation du Gouvernement : soustraits à l’intimité des fourneaux, les cuisiniers ne sont-ils pas plus enclins à faire preuve de minutie, à rejeter l’utilisation de produits à la comestibilité douteuse ? Le relai par la presse et les acteurs publics d’avis critiques du Conseil d’État pourrait affaiblir politiquement les textes préparés par le Gouvernement qui aura donc à cœur d’échapper à la critique en travaillant à leur amélioration.
Certains pourraient soutenir l’inutilité de la publicité des avis, prétextant qu’une partie d’entre eux sont d’ores et déjà publiés dans les rapports annuels du Conseil d’État. Il y a ici une malheureuse confusion des objectifs de la publicité immédiate et celle intervenant a posteriori : alors que la première est une publicité d’action, permettant de corriger un texte présentant des scories, la seconde est une publicité de documentation destinée aux chercheurs et orientée sur l’activité consultative du Conseil d’État. Seule la première publicité participe de la qualité de la loi et, corrélativement, appelle une évolution de la fonction consultative du Conseil.
Une publicité synonyme de renouveau pour la fonction consultative du Conseil d’État
Nécessaire, la publicité systématique des avis du Conseil d’État n’est pas sans incidence sur sa fonction consultative : hier au service du seul Gouvernement, l’institution se retrouvera demain au service de la qualité normative, quitte à mettre en cause le travail gouvernemental. Ce changement de paradigme doit nécessairement être accompagné par une réflexion visant à enrichir les avis du Conseil d’État. Ne pourrait-on pas ainsi imaginer que les développements relatifs aux études d’impact soient plus substantiels ? Serait-il envisageable d’instituer un dialogue plus effectif entre le Conseil d’État et les parlementaires ? De nombreuses pistes sont exploitables et seront exploitées selon Jean-Marc Sauvé, Vice-Président du Conseil, qui relevait récemment que « le Conseil d’État sera en effet conduit à développer et enrichir, d’une manière systématique, son opinion sur chacune des questions majeures que soulève le texte examiné par lui ».
En définitive, la publicité des avis du Conseil d’État constitue une formidable opportunité pour la qualité de la loi et pour l’institution plus de deux fois centenaire. Si l’avenir permettra de mesurer l’impact de cette publicité, parions, comme Carcassonne au sujet du nouveau droit parlementaire issu de la révision constitutionnelle de 2008, que « l’acculturation progressive » des acteurs de la procédure législative contribuera à l’adoption de lois trois étoiles !
Pour aller plus loin :
- Carcassonne, « Penser la loi », Pouvoirs 2005/3 (n° 114), p. 39 s.
- -M. Sauvé, « Le rôle consultatif du Conseil d’Etat », 3 mars 2015 (disponible en ligne sur www.conseil-etat.fr).
- de la Raudière et R. Juanico (dir.), Rapport d’information sur la simplification législative, Assemblée nationale, 2014.
- Albertini, La crise de la loi, LexisNexis, 2015.
- de Castries et N. Molfessis (dir.), Sécurité juridique et initiative économique – Rapport du Club des juristes, Mare & Martin, 2015, p. 33 s.
Maxime Cormier
Doctorant contractuel à l’Université Panthéon-Assas
Erwann Laperdrix
Diplômé de l’Université Panthéon-Assas et de Sciences Po Paris