L’appréciation par le Conseil constitutionnel du cumul des sanctions administratives et pénales

En matière boursière, notre droit français admet le cumul des poursuites administratives et pénales. Pourtant, ce cumul des poursuites a été jugé comme portant atteinte à la règle « non bis in idem » qui est un principe fondamental de la procédure pénale aux termes duquel « nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement à raison des mêmes faits ». Par ailleurs, il s’applique non seulement au niveau national, mais également dans les relations entre États.

Par le passé, ce cumul des poursuites avait reçu l’aval du Conseil constitutionnel dans une décision du 28 juillet 1989[1] au motif que les éléments constitutifs des manquements administratifs étaient distincts de ceux des délits pénaux.

En revanche, dans un arrêt Grande Stevens et a. c/ Italie du 4 mars 2014, la Cour européenne des Droits de l’Homme a considéré que le fait de prévoir qu’un délit d’initié peut être poursuivi à la fois par une autorité administrative indépendante chargée du contrôle des marchés boursiers et par le juge pénal, violait l’article 4 du Protocole n°7 de la Convention.
C’est ainsi que dans deux décisions du 18 mars 2015 « affaire EADS », le Conseil constitutionnel a aligné sa jurisprudence sur celle de la Cour européenne.

I/ L’appréciation du cumul des sanctions au regard du principe de nécessité des délits et des peines

Les 19 décembre 2014 et 4 février 2015, le Conseil constitutionnel avait été saisi par la Cour de cassation de trois questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) portant sur la conformité à la Constitution de certaines dispositions de l’article 6 du Code de procédure pénale (CPP) et des articles L465-1, L466-1, L621-15, L621-15-1, L621-16, L621-16-1 et L621-20-1 du Code monétaire et financier (CMF).

Par deux décisions du 18 mars 2015[2], le Conseil constitutionnel a rappelé sa jurisprudence constante selon laquelle le principe de nécessité des délits et des peines énoncé à l’article 8 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 ne fait pas obstacle à ce que des mêmes faits commis par une même personne puissent faire l’objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature différente, en application de corps de règles distincts devant leur propre ordre de juridiction.

Au regard de ce principe, le Conseil constitutionnel a, tout d’abord, jugé que les dispositions contestées de l’article 6 du CPP et l’article L621-20-1 du CMF étaient conformes à la Constitution. Puis, il a examiné les articles L465-1 du CMF relatif au délit d’initié et L621-15 du CMF relatif au manquement d’initié et procédé à une démonstration en quatre points.

Il a, en premier lieu, comparé les définitions du délit d’initié et du manquement d’initié, jugeant que ces deux articles définissent et qualifient de manière identique ces deux notions.

Le Conseil constitutionnel a ensuite relevé que la finalité des incriminations est également similaire dans les deux cas. En effet, leur répression poursuit une seule et même finalité de protection du bon fonctionnement et de l’intégrité des marchés financiers. Le Conseil en a donc conclu que ces deux répressions protègent les mêmes intérêts sociaux.

Le Conseil a relevé que seul le juge pénal peut prononcer une peine d’emprisonnement mais que la peine d’amende est sur le principe commune au juge pénal et à l’Autorité des marchés financiers (AMF). En effet, le montant de l’amende prononcée par l’AMF est tel (dix millions d’euros) que sa gravité la rapproche d’une sanction pénale. Les peines prononcées ne sont donc pas de nature différente.

Enfin, les voies de recours contre une décision de sanction sont toujours exercées devant une juridiction de l’ordre judiciaire, que la sanction soit prononcée par la juridiction répressive ou par l’AMF.

En conséquence, le Conseil constitutionnel a constaté que les sanctions du délit d’initié et du manquement d’initié ne peuvent être regardées comme de nature différente en application de corps de règles distincts devant leur propre ordre de juridiction. Il en résulte ainsi que les articles L465-1 et L621-15 du CMF méconnaissent le principe de nécessité des délits et des peines, en ce qu’ils peuvent être appliqués à une personne ou une entité autre que celles mentionnées au paragraphe II de l’article L621-9 du CMF.

Ces deux dispositions sont donc contraires à la Constitution de même que les dispositions contestées des articles L466-1, L621-15-1, L621-16 et L621-16-1 du CMF.

Néanmoins, le Conseil constitutionnel avait reporté au 1er septembre 2016 la date d’abrogation de ces dispositions, dès lors que leur abrogation immédiate aurait des conséquences manifestement excessives en empêchant toute poursuite et en mettant fin à celles engagées à l’encontre des personnes ayant commis des faits qualifiés de délit d’initié ou de manquement d’initié.

II/ Le revirement de jurisprudence par le Conseil constitutionnel en matière fiscale

En matière fiscale, le Conseil constitutionnel a opéré un virement de jurisprudence par deux décisions du 24 juin 2016 dites « affaire Cahuzac » et « affaire Wildenstein »[3], dans lesquelles il valide, sous trois réserves, le cumul des sanctions fiscales pour insuffisance de déclaration prévue à l’article 1729 du Code général des impôts (CGI) et des poursuites pénales pour fraude fiscale énoncée à l’article 1741 du même code.

Jusqu’à présent, en matière fiscale, la Cour de cassation refusait la transmission de questions prioritaires de constitutionnalité au motif que la jurisprudence du Conseil constitutionnel admettait le cumul plafonné des sanctions pénales et administratives dans des cas similaires[4].

Mais cette jurisprudence a été remise en cause par les deux décisions du Conseil constitutionnel du 18 mars 2015 vues précédemment.

Les décisions du 24 juin 2016 ont réaffirmé la possibilité que des mêmes faits soient poursuivis par des juridictions différentes sans que cette faculté prévue par l’article 1741 du CGI ne porte atteinte au principe de nécessité des délits et des peines énoncé à l’article 8 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.

Le Conseil constitutionnel renouvelle d’ailleurs sa position dans une décision du 22 juillet 2016[5] retenant que les sanctions administratives et pénales n’étaient pas véritablement de même nature et de ce fait les deux procédures étaient complémentaires.

Cependant, ce cumul des sanctions doit être réservé aux fraudes les plus graves et le montant global des sanctions ne doit pas être supérieur au montant le plus élevé de ces deux sanctions.

Sur cette question du cumul des sanctions en matières pénale et fiscale, la jurisprudence européenne paraît plus souple par rapport à celle du Conseil constitutionnel. En 2015, la Cour européenne s’était d’ailleurs opposée à ce qu’une personne acquittée devant la juridiction répressive puisse se voir infliger par la suite des pénalités, à raison des mêmes faits, devant le juge fiscal[6].

Laury MAESTRE

[1] Cons. Const., 28 juillet 1989, n°89-260.
[2] Cons. Const., 18 mars 2015, n°2014-453/454 QPC et 2015-462 (QPC).
[3] Cons. Const., 24 juin 2016, n°2016-545 QPC et 2016-546 (QPC).
[4] Cons. Const., 24 octobre 2014, n°2014-423 (QPC).
[5] Cons. Const., 22 juillet 2016, n°2016-556 (QPC).
[6] CEDH, 30 avril 2015, n°3453/12, 42941/12 et 9028/13, Kapetanios et a. c/ Grèce.

Voir aussi sur le même sujet :
https://www.lepetitjuriste.fr/droit-penal/droit-penal- general/regle-ne-bis-in-idem-droit-penal-francais-elements-de-comprehension-danalyse/
https://www.lepetitjuriste.fr/droit-fiscal/fiscalite-des-particuliers/cumul-sanctions-penale- fiscale-peccare-idem-bis-haud-viri-sapientis-2/

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