L’absence d’un salarié est toujours une situation complexe à gérer à la fois pour ce dernier, mais également pour l’entreprise. Nous allons nous concentrer sur les difficultés rencontrées par les employeurs en cas d’absences répétées ou durables du personnel. Le Législateur et les juges tentent de trouver le juste équilibre entre les intérêts du salarié et ceux de l’entreprise. En effet, celle-ci peut être fortement pénalisée en cas d’absence. S’il est inenvisageable de licencier un salarié en raison d’un ou plusieurs arrêts maladies, les conséquences de cette absence peuvent légitimer une telle procédure. Pour cette raison, il est possible de licencier un salarié sous réserve de remplir deux conditions : l’existence d’une perturbation de l’entreprise (I) et la nécessité de remplacer définitivement le salarié (II).
En premier lieu, il convient de rappeler que l’état de santé, tout comme le sexe ou la religion, est un élément qui ne doit pas entrer en ligne de compte dans le cadre d’un recrutement. Il ne peut pas non plus justifier une sanction éventuelle ou un licenciement1. Toute pratique contraire pourra s’analyser en une discrimination. L’article L 1132-4 du code du travail précise que les actes et dispositions pris sur cette base seront considérés comme nuls. Le licenciement pourra donc être annulé ou être requalifié en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Pour autant, s’il est indispensable de protéger et de prendre en compte la situation du salarié, il est également important de préserver les intérêts de l’entreprise qui l’emploie. Pour cela, il est, sous certaines conditions, possible de licencier un salarié en raison de son absence. Il ne s’agit alors pas d’une exception au principe dans la mesure où ce n’est pas la raison de l’absence mais ses conséquences qui servent de motif au licenciement.
Au regard de la jurisprudence, il existe deux conditions cumulatives :
• La perturbation de l’entreprise liée à / au(x) absence(s) du salarié
• La nécessité de procéder à un remplacement définitif de ladite personne
Celles-ci sont cumulatives2. Nous allons nous arrêter successivement sur ces deux éléments. Ces derniers s’apprécient de manière objective.
I. La condition liée à l’existence d’une perturbation de l’entreprise
Tout d’abord, afin de rechercher si la condition de la perturbation de l’entreprise est remplie, les juges vont analyser des éléments concrets et tangibles. Pour cela, ils ont, au fil de leurs décisions, mis en place une grille de lecture. Celle-ci donne quelques indicateurs possibles. Ces derniers permettent de comprendre qu’au travers de la perturbation de l’entreprise, les juges recherchent davantage un trouble grave qu’une simple gêne.
1) La taille de l’entreprise
Aussi, afin d’apprécier la situation le plus finement possible, ils pourront prendre en compte la taille de l’entreprise. En effet, une petite entreprise de moins de 10 salariés3 aura, à priori, plus de difficultés à faire face à ce type d’évenemment qu’une grande entreprise de 500 salariés ou qu’une structure dans laquelle toute l’équipe possède la même spécialité4 .
2) Le niveau de qualification et la spécialisation du salarié
Le niveau de qualification et de spécialisation dudit salarié est également un élément à prendre en considération. Plus la qualification est faible, plus il sera aisé pour la structure de remplacer la personne absente. La perturbation ne pourra donc pas être retenue5 .
3) La durée et la fréquence des absences
La durée et la fréquence des absences rentrent également en ligne de compte. Comme nous l’avons précisé précédemment, il existe une grille de lecture. Aussi, la combinaison de certains éléments va permettre d’établir l’existence ou non de la perturbation. Tel est le cas entre la taille de la structure et la durée de l’absence. A titre d’illustration, l’absence d’une secrétaire pendant deux mois au sein d’un établissement de 6 personnes pourra être jugée pénalisante au regard des tâches quotidiennes et de la dimension de la structure6 . De même, afin d’apprécier si la fréquence des arrêts maladie peut impacter l’activité de l’entreprise, l’appréciation du niveau du poste concerné peut être pertinente. A ce titre, l’absence répétée d’une ouvrière (445 jours sur 5 années) n’a pas été considérée comme source de perturbation pour l’entreprise en raison de la facilité de son remplacement7.
Enfin, pour finir sur cette condition, la question de l’échelle de la perturbation doit être évoquée. Jusqu’à présent la Jurisprudence visait uniquement la perturbation de l’entreprise elle-même. Dans un arrêt rendu le 01 février 20178 , la chambre sociale de la Haute Juridiction estime que « la lettre de licenciement visait une perturbation dans le fonctionnement du service juridique dans lequel travaillait la salariée et non de l’entreprise, ce dont il résultait que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse ». Aussi, la perturbation d’un simple service était jusqu’à présent insuffisante. Pour autant, dans un arrêt du 23 mai 20179 , la cour de Cassation explique qu’ « en relevant une perturbation du seul service de prospection et de fidélisation de la clientèle, sans constater le caractère essentiel de ce service dans l’entreprise, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ». En l’espèce, la cour d’appel avait validé la perturbation de l’entreprise en raison de la désorganisation d’un service. Au travers de cette phrase, la Cour fait-elle évoluer sa position ? La désorganisation d’un service stratégique permettra-t-elle d’attester de la perturbation de l’entreprise elle-même ? Quels seront les critères permettant d’attester du caractère essentiel du service ? Il convient de suivre les prochains arrêts en la matière pour le savoir.
II. La condition liée à un remplacement définitif dudit salarié
La deuxième condition suppose que la perturbation est telle qu’elle exige un remplacement définitif du salarié absent. Celle-ci s’apprécie une nouvelle fois de manière très concrète. Si l’employeur ne peut pas ou ne peut plus recouvrir à des situations temporaires (permutations de ses salariés, recours aux entreprises de travail temporaire…) pour combler l’absence dudit salarié, alors la condition est satisfaite. Il est nécessaire que ce remplacement définitif soit indispensable à l’entreprise. Concrètement, si un employeur comble l’absence d’un plongeur en restaurant par la permutation successive de ses autres salariés de service en service, la condition n’est pas remplie10 . L’employeur doit pouvoir justifier en quoi les solutions temporaires mises en place jusqu’ici ne peuvent plus perdurer. En ce sens, l’arrêt du 16 février 1999 est significatif. En l’espèce, un employeur a eu recours à une personne intérimaire pendant 6 mois afin de remplacer un salarié absent. A la réception de la prolongation de l’arrêt, l’employeur estime que l’absence perturbe l’entreprise et impose un remplacement définitif. Il licencie donc le salarié absent. La cour de Cassation estime que l’employeur n’apporte aucun élément permettant d’attester que la situation s’était aggravée et qu’elle ne permettait alors plus le recours à une personne intérimaire.
Concernant ce remplacement, il faut noter qu’il doit intervenir dans un « délai raisonnable » qui varie selon les spécificités du poste et de l’entreprise. Cependant, dans un arrêt du 31 mars 201611 , la Haute Juridiction semble estimer que le remplacement ne doit pas avoir lieu plus de trois mois après le licenciement. L’employeur peut alors choisir le remplaçant avant12 ou après le licenciement13 .
Enfin, concernant le recrutement en lui-même, il est nécessaire que le remplaçant soit une personne extérieure à l’entreprise14 (mutation / mobilité interne impossible) et qu’elle soit embauchée en contrat à durée indéterminée.
En conclusion, le licenciement d’un salarié dont l’absence cause une perturbation importante à l’entreprise et nécessite un remplacement définitif est donc possible. Il existe néanmoins une limite importante. En effet, cette solution ne pourra s’appliquer en cas d’arrêt du salarié du fait de l’employeur (harcèlement, négligence de son devoir de sécurité…). Enfin, il faudra veiller à mentionner les deux conditions de validité d’une telle procédure dans la lettre de licenciement. A défaut, le licenciement pourra être jugé discriminatoire voire sans cause réelle et sérieuse.
Bérénice ECHELARD
1Article L 1132-1 du code du travail.
2Chambre sociale de la cour de Cassation, arrêt du 05 mai 2009 – Numéro de pourvoi : 07-45713.
3Chambre sociale de la cour de Cassation, arrêt du 13 mars 2001 – Numéro de pourvoi : 99-40110.
4Chambre sociale de la cour de Cassation, arrêt du 31 octobre 2006 – Numéro de pourvoi : 05-42206.
5Chambre sociale de la cour de Cassation, arrêt du 05 octobre 1999 – Numéro de pourvoi : 97-42882.
6Chambre sociale de la cour de Cassation, arrêt du 24 avril 1990 – Numéro de pourvoi : 87-44817.
7Chambre sociale de la cour de Cassation, arrêt du 10 octobre 1989 – Numéro de pourvoi : 86-43670.
8Numéro de pourvoi : 15-17101.
9Numéro de pourvoi : 14-11929.
10Chambre sociale de la cour de Cassation, arrêt du 04 février 2002 – Numéro de pourvoi : 01-46921.
11Chambre sociale de la cour de Cassation, arrêt du 31 mars 2016 – Numéro de pourvoi : 14-21682.
12Chambre sociale de la cour de Cassation, arrêt du 16 septembre 2009 – Numéro de pourvoi : 08-41879.
13Arrêt mentionné précédemment en date du 31 mars 2016.
14Chambre sociale de la cour de Cassation, arrêt du 23 septembre 2009 – Numéro de pourvoi : 08-41970 et arrêt du 10 mai 2006 – Numéro de pourvoi : 04-45500.