Lors d’une prise de poste ou au cours d’une carrière, il est fréquent que les salariés aient besoin d’une ou plusieurs formations. Si la formation développe leurs compétences, cela permet également d’augmenter de la valeur ajoutée de l’entreprise. En effet, ces nouveaux savoir-faire seront mis au profit de la structure.
Il existe une obligation légale de l’employeur de former ses salariés. Cependant, il s’agit d’un minimum légal, ce dernier peut aller au-delà. Dans un tel cas, et puisque les formations ont un coût pour l’entreprise, il est concevable que l’employeur puisse vouloir se prémunir d’un départ prématuré des salariés concernés. Dans ce contexte, la clause de dédit-formation prend tout son sens. Après avoir précisé les conditions de validité d’une telle clause, sera envisagé le point le plus litigieux : à savoir l’indemnité de dédit-formation.
I- Clause dédit formation : essence et conditions de validité
La clause de dédit formation peut se définir comme une disposition au sein d’un contrat de travail ou d’un avenant prévoyant une durée pendant laquelle le salarié concerné s’engage à ne pas quitter l’entreprise. En contrepartie, l’employeur s’engage à lui financer une formation nécessaire à la réalisation de son travail. Cette clause jouera alors en cas de non-respect de l’engagement pris par le salarié.
Il est important de préciser que le Code du travail n’envisage pas la clause de dédit-formation. La jurisprudence a donc construit, au fil de ses arrêts, les contours de cette notion, et notamment ses conditions de validité.
Concernant ces dernières, la jurisprudence n’a cessé d’affiner son raisonnement. Dans un arrêt du 05 juin 2002, la chambre sociale de la Haute Juridiction précisait que « les clauses de dédit-formation sont licites dans la mesure où elles constituent la contrepartie d’un engagement pris par l’employeur d’assurer une formation entraînant des frais réels au-delà des dépenses imposées par la loi ou la convention collective, que le montant de l’indemnité de dédit soit proportionné aux frais de formation engagés et qu’elles n’ont pas pour effet de priver le salarié de la faculté de démissionner »[1].
Par la suite, elle précise que la convention « doit, pour être valable, faire l’objet d’une convention particulière conclue avant le début de la formation et qui précise la date, la nature, la durée de la formation et son coût réel pour l’employeur, ainsi que le montant et les modalités du remboursement à la charge du salarié »[2].
Pour résumé, pour que cette clause soit valable, les éléments ci-dessous doivent être présents :
- Signature d’une convention avant le début de la formation[3]
- Précision sur la formation : date, nature et durée
- Obligation que l’employeur aille au-delà de ses obligations légales en termes de formation
- Indication du coût réel de la formation
- Modalités du remboursement par le salarié
- Indemnité due en cas de rupture à l’initiative du salarié
Revenons tout d’abord sur la troisième condition mentionnée ci-dessus. Il pèse sur l’employeur une obligation légale en matière de formation. Celui-ci doit permettre aux salariés de s’adapter à leur poste de travail, de s’adapter aux mutations technologiques ou économiques. Cela passe notamment par la formation. Le certificat CléA, la période de professionnalisation, le Compte Personnel de Formation (CPF)[4] ou le Congé Individuel de Formation (CIF) peuvent alors être mobilisés.
A cette obligation générale, s’en ajoute de nouvelles selon la situation de l’entreprise. Le cas du licenciement économique ou de l’inaptitude fait en effet peser une obligation supplémentaire sur l’employeur. Ce dernier devant tout mettre en œuvre pour reclasser le salarié concerné, au besoin, par le biais d’une formation. La clause de dédit-formation se place en dehors de toute obligation légale. Il s’agit d’une formation proposée à l’initiative de l’employeur. En ce sens, elle génère un coût supplémentaire pour l’entreprise. L’arrêt du 05 janvier 1995 illustre parfaitement l’impossibilité de faire jouer la clause de dédit-formation quand l’employeur engage des dépenses de formation imposées par la loi. En l’espèce, la Cour de cassation a retenu que « l’employeur avait reconnu à l’intéressée la qualité d’élève aide-soignante et relevé que sa rémunération correspondait à celle définie par la convention collective (…), l’engagement de l’employeur n’excédait pas – donc pas – l’obligation mise à sa charge par celle-ci ». La clause de dédit-formation était donc vide de sens.
A noter : une telle clause est illicite dans les contrats de professionnalisation (article L. 6325-15 du Code du travail). Il semblerait logique qu’il en aille de même pour les contrats d’apprentissage.
Les clauses de dédit-formation sont, le plus souvent, illicite en raison de l’absence du coût réel de la formation et de précision sur les modalités du remboursement. La Jurisprudence est catégorique : l’entreprise doit faire apparaître précisément ces éléments au sein de la convention. Dans le cas contraire, cette clause sera déclarée nulle[5].
A titre d’illustration, la mention d’un coût forfaitaire ne suffit pas pour pouvoir actionner la clause[6]. Il en va de même pour les clauses prévoyant « le remboursement des frais de formation ».
Enfin, il est essentiel que la rupture soit imputable au salarié pour que l’employeur puisse obtenir l’indemnité de dédit-formation. Ce qui est sanctionné c’est le non-respect de l’engagement pris par le salarié. La raison d’être de cette clause est d’empêcher ce dernier de bénéficier abusivement d’une formation non imposée par la loi. Toute formation ayant un coût, il est essentiel pour les entreprises de pouvoir amortir cette dépense.
La jurisprudence, consciente des dérives possibles de la part des employeurs, apprécie les litiges in concreto. Aussi, un salarié qui démissionne en raison d’un ou plusieurs manquements de l’employeur à ses obligations, ne devra pas verser cette indemnité à l’entreprise qui l’emploie[7]. Il en va de même lorsque que la prise d’acte à l’initiative du salarié est requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse par le juge[8].
Concernant, la rupture du contrat de travail à l’initiative du salarié pendant la période d’essai, la Cour de cassation a jugé que cette décision s’analysait en une démission. La période d’essai n’empêche donc pas l’actionnement de la clause de dédit-formation[9].
Nous venons d’envisager les conditions de validité de la clause de dédit-formation. Si celle-ci est valide, encore faut-il qu’elle respecte plusieurs exigences lors de sa mise en œuvre.
II- L’indemnité de dédit-formation : au centre des intérêts des parties, au cœur de nombreux litiges
Les notions de loyauté, réalité et de proportionnalité sont au cœur de l’actionnement de la clause de dédit-formation. Si cette dernière remplie les conditions de validité, encore faut-il qu’elle soit mise en œuvre dans le respect de la Jurisprudence. En effet, il est impératif que la clause de dédit-formation n’empêche pas le salarié de démissionner en raison d’un montant trop élevé ou d’une durée d’engagement excessive.
Tout d’abord, l’indemnité doit être proportionnée dans son montant. Cela implique que seuls les frais réels soient pris en compte dans le calcul de l’indemnité. En pratique, il est fréquent que les clauses de dédit-formation prévoient de calculer l’indemnité en fonction de l’amortissement déjà réalisé du coût de la formation. Concrètement, il s’agit bien souvent d’un calcul au prorata temporis qui aboutit à un remboursement dégressif selon la durée pendant laquelle le salarié a tenu son engagement. Cette notion de proportionnalité est apparue dans l’arrêt rendu par la Haute Juridiction le 21 mai 2002[10]. Depuis, cette notion est très régulièrement reprise par les juges. Il semble donc que celle-ci, si elle n’est pas devenue un critère de validité de la clause, permette de différencier les clauses proportionnées de celles manifestement dérisoires ou excessives.
Ensuite, la durée pendant laquelle le salarié s’engage à ne pas démissionner ne doit pas être excessive. Sur ce point, il n’existe aucun texte ni règle précise. Pour autant, il semble conseiller de fixer la durée selon le type et le montant de la formation. Par exemple, une formation de pilote de ligne, en raison de sa nature et de son coût pourra donner lieu à une clause de dédit-formation plus longue qu’une formation dite basique. A la lecture de la Jurisprudence et d’articles, les juges ont tendance à ne pas juger excessive une clause prévoyant un engagement de 2 à 5 ans selon le type de formation[11]. A titre d’exemple, dans un arrêt du 6 octobre 2010, la Haute Juridiction a rejeté la demande d’un employeur souhaitant actionner la clause de dédit-formation. En l’espèce, « l’article 23 de la charte du football professionnel interdit au joueur espoir de conclure un contrat de travail avec un autre club que celui qui l’a formé, sans prévoir la possibilité de se libérer de cette obligation par le versement d’une indemnité dont le montant soit en rapport avec le coût de la formation dispensée et fixée au moment de la signature de son contrat de formation ». La Cour rejette le pourvoi au motif que « le joueur » espoir » est ainsi exposé à une demande de dommages et intérêts de son club formateur dont le montant est susceptible de le dissuader d’exercer son droit à la libre circulation et qui constitue une entrave à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union en vertu de l’article 45 TFUE »[12].
La détermination du montant et de la durée de la clause de dédit-formation sont indéniablement liés puisqu’ils permettent de calculer l’amortissement du coût de la formation. Pour autant, le juge se réserve le droit de réviser une clause excessive de par son montant ou sa durée. Le but étant de ne pas empêcher le salarié de démissionner. La logique est semblable à la clause de non-concurrence. Il faut noter que le juge peut utiliser son pouvoir de révision dans le sens opposé : à savoir si la clause est dérisoire, celle-ci pourra être revue à la hausse.
Enfin, il convient de s’arrêter sur le calcul de l’indemnité et le sort des salaires versés lors des formations. L’article L 6321-2 du Code du travail dispose « toute action de formation suivie par un salarié pour assurer son adaptation au poste de travail ou liée à l’évolution ou au maintien dans l’emploi dans l’entreprise constitue un temps de travail effectif et donne lieu pendant sa réalisation au maintien par l’entreprise de la rémunération ». Dans un tel cas, la rémunération du salarié est donc une obligation, car le temps de formation est assimilé à du temps de travail effectif. C’est sur cette base que la Cour de cassation a jugé, dans un arrêt du 05 octobre 2016[13], que le coût des salaires perçus durant une telle formation ne pouvait intégrer le coût réel de formation déclaré par l’employeur. Cette somme ne peut donc être prise en compte dans le calcul de l’indemnité de dédit-formation. Seuls les frais directs (frais d’inscription notamment) et annexes (frais de transports et d’hébergement par exemple) peuvent entrer dans cette notion de coût réel. Cette décision se place dans la continuité des arrêts antérieurs. Pour illustration, dans un arrêt du 23 octobre 2013, la Haute Juridiction avait jugé, sur la base de l’article L 6321-2 du code du travail, que « la clause de dédit-formation, qui prévoit qu’en cas de départ prématuré, le salarié devra rembourser les rémunérations qu’il a perçues durant sa formation, est nulle[14] ».
En conclusion, la clause de dédit-formation, bien que non prévue par la loi, est soumise à de nombreuses conditions de validité. Nous l’avons constaté, la Jurisprudence ajuste les contours de cette notion au gré de ses décisions. L’objectif étant, une fois encore, de trouver l’équilibre le plus juste entre les intérêts des entreprises et celles salariés. L’exercice est périlleux. Amortissement – Libre concurrence : deux notions complémentaires, bien qu’elles semblent à priori opposées.
Bérénice Echelard
Pour en savoir plus :
http://www.wk-ce.fr/actualites/detail/66498/la-clause-de-dedit-formation.html
[1] Chambre sociale de la Cour de cassation, 05juin 2002- N° de pourvoi: 00-44327
[2] Chambre sociale de la Cour de cassation, 04 février 2004 – N° de pourvoi: 01-43651 et 09 février 2010 – N° de pourvoi: 08-44477
[3] Chambre sociale de la Cour de cassation, 16 mars 2005 – N° de pourvoi: 02-47007
[4] Anciennement « DIF » = Droit Individuel à la Formation
[5] Chambre sociale de la Cour de cassation, 28 septembre 2005 – N° de pourvoi: 03-47761 et 16 mai 2007 – N° de pourvoi: 05-16647
[6] Chambre sociale de la Cour de cassation, 06 novembre 2013 – N° de pourvoi : 11-12869 11-15586
[7] Chambre sociale de la Cour de cassation, 04 juillet 1990 – N° de pourvoi: 87-43787
[8] Chambre sociale de la Cour de cassation, 11 janvier 2012 – N° de pourvoi: 10-15481
[9] Chambre sociale de la Cour de cassation, 05 juin 2002 – N° de pourvoi: 00-44327
[10] Chambre sociale de la Cour de cassation, 21 mai 2002 – N° de pourvoi: 00-42909
[11] Chambre sociale de la Cour de cassation, 18 juin 1981 – N° de pourvoi : 78-40939
[12] Chambre sociale de la Cour de cassation, 06 octobre 2010 – N° de pourvoi : 07-42023
[13] Chambre sociale de la Cour de cassation, 05 octobre 2016 – N° de pourvoi : 15-17127
[14] Chambre sociale de la Cour de cassation, 23 octobre 2013 – N° de pourvoi: 11-16032
Bonjour,
Est-ce qu’une clause de dédie-formation peut être considérée comme abusive si elle doit être remboursée dans le cas d’un licenciement non économique ?
Merci